Selectorama : Midlake

Midlake
Midlake

La résilience en deux temps. Midlake avait déjà survécu au départ de son leader originel, Tim Smith, après la publication de son troisième album en 2010. Après dix ans de silence presque complet, c’est un deuil plus intime qu’il s’agit ici de surmonter. Le père du claviériste Jesse Chandler, décédé en 2018, lui serait apparu en rêve pour l’encourager à prolonger l’aventure collective. Une impulsion d’outre-tombe qui confère à For The Sake Of Bethel Woods une résonance dramatique, amplifiée par la mise en son très ambitieuse, confiée pour la première fois à un producteur extérieur, John Congleton en l’occurrence. Sans oublier d’écrire des chansons, Midlake y redonne ses lettre de noblesse à une forme de musique progressive, réhabilitant au passage un mysticisme élégant et des arrangements amples et complexes. Un hommage aussi à une époque et un lieu – Bethel, dans l’état de New-York, où ont longtemps résidé Chandler et sa famille et où s’est tenu le festival de Woodstock – qui marquent cette sélection de dix titres. C’est donc lui qui se charge de la visite guidée du patrimoine local.

01. Happy & Artie Traum, Going Down To See Bessie

C’est une de mes chansons préférées. On dirait presque un inédit de The Band. Les frères Traum sont devenus une sorte d’institution sur la scène de Woodstock et Happy est toujours actif. Je crois même qu’il compose toujours. La magie de leur deux voix mélangées ne peut appartenir qu’à ceux qui partagent les liens du sang. On peut vraiment ressentir leur passion et leur âme.

02. Jesse Winchester, Yankee Lady

C’est à Jesse Winchester que je dois mon prénom et je ne crois pas que mes parents étaient même conscients qu’il avait enregistré son premier album éponyme à Woodstock (où ils ont fini eux-mêmes par emménager), avec l’aide de plusieurs membres de The Band, pour le compte du label Bearsville qu’Albert B. Grossman venait de fonder. C’était un objecteur de conscience et il a dû s’exiler au Canada pendant de nombreuses années après avoir refusé de combattre au Vietnam.

03. Karen Dalton, Something’s On Your Mind

Karen Dalton est une de mes chanteuses préférées de tous les temps. C’est tellement bouleversant. Dans cette version enregistrée au festival de Montreux, on aperçoit le regretté Bill Keith au banjo – il a joué aussi sur l’album In My Own Time, 1971 qu’elle a enregistré à Woodstock. C’est le père de mon meilleur ami d’enfance, Martin Keith. Je le connais depuis que j’ai cinq ans : il est désormais luthier à Woodstock, et c’est lui qui me tient au courant de tout ce qui se passer d’intéressant là-bas.

04. Peter Walker, Camel Ride

Peter Walker a enregistré ce morceau dans la grange de Levon Helm, alors que celui-ci s’était absenté, sans doute pour partir en tournée avec The Band. Peter est une sorte de gourou de la guitare. Il était quasiment musicien à demeure  chez Timothy Leary quand on y distribuait largement du LSD et il a croisé la route de bon nombre de figures majeures de la contre-culture des années 1960 : des hommes politiques comme Robert Kennedy ou Martin Luther King, les Beatles. J’ai eu la chance d’enregistrer un album avec lui, en compagnie de Nels Cline, Steve Shelley et Mercury Rev. Il nous a régalés de toute une série d’anecdotes croustillantes et sordides sur ses mésaventures de l’époque. C’est une personnalité hors du commun et, pendant les sessions, il a même apporté une vieille guitare qui avait appartenu à Karen Dalton. J’adore la décontraction et la nonchalance qu’on entend dans ce morceau. Et le solo de flûte psychédélique est parfaitement pertinent !

05. Don Cherry, Chenrezig

Cet extrait de ce qui est sans doute le meilleur album de Don Cherry – et c’est un choix difficile ! – a été enregistré dans les faubourgs de Woodstock, à Grogskill Road pour être exact. J’adore Don Cherry : il a tellement fait pour le jazz, avec Ornette mais pas uniquement. Il a réussi à rassembler des fragments de musiques de tous les coins du monde et à les mélanger – un peu comme les tapisseries que sa femme Moki tissait et qui ont servi d’illustrations à bon nombre de ses pochettes. J’ai visité une exposition à Stockholm presque entièrement consacrée à leur collaboration artistique et j’ai vraiment été fasciné. Cherry a vécu quelques temps à Woodstock et il a participé au travail artistique au sein du Creative Music Studio, au même titre que Karl Berger, Anthony Braxton et beaucoup d’autres.

06. M. Frog, We Are Crazy

Je ne sais pas grand chose de M Frog et le peu que je sais, je l’ai appris en lisant l’ouvrage remarquable que Barney Hoskyns a consacré à la scène musicale de Woodstock et qui s’intitule Small Town Talk, 2016. M Frog est le pseudonyme de Jean-Yves Labat, un musicien français qui a joué avec Todd Rundgren, à l’époque où se dernier dirigeait les studios Bearsville à Woodstock. J’adore la manière dont il triture les boutons de sa console, ça avait l’air d’être un type intéressant. Je suis assez attiré par toutes les expérimentations synthétiques qu’on trouve sur cet album et qui sont nettement en décalage avec la musique plus roots qu’on jouait en général à Woodstock à cette époque.

07. Bobby Charles, Tennessee Blues

Cet album est considéré comme un classique à Woodstock. Tous les musiciens de The Band y ont contribué, à l’exception de Robbie Robertson et on retrouve cette même impression de décontraction que dans leurs premiers albums. Bobby Charles venait de Louisiane mais son mélange de funk, de blues, de musique swamp, de folk et de country-rock constitue vraiment l’archétype du son de Woodstock au début des années 1970. J’ai choisi ce titre en particulier pour les merveilleuses parties d’accordéon jouées par Garth Hudson. Garth traîne toujours en ville, de temps en temps. Récemment, mon ami Martin m’a raconté qu’il s’était pointé pour une séance d’enregistrement et qu’il avait commencé par démonter son accordéon pièce par pièce avant de le réassembler et de consentir, enfin, à jouer quelques notes !

08. John Simon, Tannenbaum

John Simon est le producteur des deux premiers albums de The Band et, à l’époque, il était un peu le sixième mebre officieux du groupe. Outre sa contribution majeure au son magique de ces deux albums, il a aussi joué du tuba, du saxophone et pas mal d’autres instruments qui leur ont confére cette coloration musicale si particulière. C’esr un extrait de son premier album solo et on l’entend chanter, dans un style qui ressemble un peu aux Beach Boys. Je crois que, au fond de lui, c’était plutôt un jazzman et on peut percevoir ici ce sentiment de liberté et ce don pour l’imporvisation qui caractérise aussi son travail de producteur. C’est lui qui a également travaillé sur le premier album de Leonard Cohen.

09. Bob Dylan, Quinn The Eskimo

Dylan et The Band doivent figurer dans cette liste – c’est une évidence – puisqu’ils ont été à l’orgine de tout ce qui s’est passé ensuite à Woodstock. Tout tournait un peu autour de Dylan à cette époque. J’ai suivi des séances d’orthophonie dans son ancien domicile, sur Ohayo Mountain Road : il y avait toujours cette longue allée à l’entrée du jardin, dans laquelle les fans venaient camper – ou se cachaient dans les arbres – pour essayer de l’apercevoir. C’est une des mes chansons préférées de sa période électrique et elle a été enregistrée au sous-sol de la Big Pink qui est devenu un Air B’nB – comme ma maison d’enfance et la plupart des vieux bâtiments de Woodstock d’ailleurs.

10. The Bengali Bauls, Alone I Have Caught A Fish

Tant qu’on en est à parler de Dylan, ce sont les membres de The Bengali Bauls que l’on voit sur la pochette de John Wesley Harding, 1967. Ils avaient croisé Albert Grossman en Inde en 1967 et il les a invités à Woodstock et les a installés dans une grange. Ils ont rapidement sympathisé avec Dylan et The Band et ces enregistrements – qui viennent eux-aussi de la Big Pink – ont été réalisés au cours de séances plus ou moins improvisées avec Rick Danko et Levon Helm. C’est Garth Hudson qui a décidé d’en conserver la trace sur bandes magnétiques et force est de constater qu’il a bien fait.


For The Sake Of Bethel Woods de Midlake est disponible sur le label PIAS.

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