Climats #11 : Christophe Tarkos, Destroyer

Marseilleveyre
Marseilleveyre

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Les ombres du soleil

Souvent, j’ai pensé à cette fin terrible. Lui qui avait pour attachement le lien puissant à la dénomination, à la répétition, oui, la répétition jusqu’à la différence souhaitée… Souvent, j’ai pensé à Christophe Tarkos. Quand Marseille me manque, je lis Tarkos. Il est un des innombrables fils de la ville, méconnu des marseillais même. Le Kilo Christophe Tarkos POLC’est une de ces figures brûlantes dans l’ombre du Palais Longchamp, dans les crêtes éclaircies des collines de Marseilleveyre ou peut-être sous un arrêt de bus miteux de la rue de Rome. Mourir de ne plus pouvoir dire, le cerveau bouffé d’orages et d’oublis. Tragédie phocéenne. Il fallait donc constituer une somme, un monolithe de fièvres et de sentiments où on l’entendrait encore nous dire et répéter son verbe, la valeur de son vin. Son ivresse séculaire. Un livre pour fait pour demeurer, pour nous dire et répéter la poésie de Christophe Tarkos. Il faudra se rendre sous les voûtes crépusculaires de la Veille Charité, ce placard humide perdu dans le désert de soleil marseillais, pour voir l’exposition consacrée à Tarkos. Lire la beauté de ses dessins, regarder la beauté de ses lettres. Le Kilo et autres inédits publié chez POL viendra confirmer la force de cette visite, la force de cette reconstitution. L’échappée de la mort, le scandale de l’oubli et la paresse du soleil. Ce qui est troublant, aussi, c’est de voir à quel point la poésie est une nécessité pour vivre. Pour combattre l’instant, pour rendre gorge aux éternelles grossièretés du monde.

Des nouvelles de la lune

Dans l’éclatement violent des formes et des sons, dans l’usage fantaisiste du langage, le nouvel album de Destroyer est le revers parfait de la médaille Tarkos. Dan Bejar a toujours été plus ou moins cryptique. Avec Labyrinthitis, il va encore un peu plus loin dans le mystère. Que la basse, façon New Order, de It’s In Your Heart Now ne nous détrompe pas – ici, tout va être sauvagement reformulé. DestroyerLa force de la musicalité de la langue du canadien semble se battre, semble s’user face à l’hostilité de la musique ou face à son irrémédiable douceur. Destroyer propose une perte des sens, avec furie. Et c’est à cela que cet album vire au génie car, écoute après écoute, on ne s’en tient qu’au son. Ou on ne s’en tient qu’au verbe. On ne choisit pas et on se laisse porter. Toute la création de Bejar semble, ici, devenir le commentaire assassin de la réalité. L’influence de Burroughs est palpable dans ces saillies fantaisistes qui en veulent terriblement au réel. Oscillant entre amertume et violence, mélancolie et messianisme, le disque de Destroyer est ce miroir brûlant de cendres qui ne nous renvoie pas notre visage mais essentiellement nos souvenirs égarés. Il nous faut maintenant remercier les poètes de faire se renouveler – éternellement – le printemps.


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