Mayfly Two, c’est d’abord l’occasion de retrouver avec joie Anne Bacheley, légende discrète de la pop française anglophone des années 2000. A la tête d’une petite œuvre fais-le-toi-même plus ou moins difficile à trouver (des CDR, des œuvres numériques), elle a eu le privilège de figurer dans des listes de recommandations de Stephen Pastel himself. Bien sûr que les Pastels figurent en bonne position dans les influences de la dame, mais Anne est avant tout une âme libre qui se fiche de tout carcan et de toute étiquette. Elle écrit et compose parce qu’elle en ressent le besoin, le reste n’est pas son problème. Plutôt solitaire musicalement jusqu’ici, elle semble avoir trouvé en Chris Fox (from Dundee, 100 km au nord d’Edimbourg) un alter ego musical avec qui elle partage sa passion pour la musique et cet alias de Mayfly Two.
Au programme du duo, une pop de guitares discrètes fragiles et avenantes. Mélodies évidentes, voix amateures et timides – la voix de penpal Chris est aussi spéciale que celle d’Anne, atypique dans son timbre, pleine d’émotions dans son inflexion), arrangements de bout de ficelles (de la flûte par exemple, un peu de fuzz), l’échange épistolaire du siècle dernier a fait place à des échanges de pistes numériques et de débats amicaux via messenger (voir la photo ci-dessous fournie par Anne). Il y a des choses qui nous viennent en tête bien sûr, les chansons du Velvet chantées par Moe Tucker, le disque Daniel Johnston/Jad Fair, et bien sûr les ami.es des Pastels, je pense à International Airport par exemple. Dans un même sens du déséquilibre, les guitares sont jouées dans la chambre et rencontrent parfois un habillage électronique sans jamais que celui-ci ne casse la magie du moment. J’ai pensé à l’album de Hood aussi, Cold House, si on remplaçait la noirceur gazeuse par une sorte de lumière tamisée et pastorale.
Bien sûr, J’ai évidemment craqué sur Sourires, parce que j’attendais avec impatience d’entendre Anne chanter, de sa façon si peu convenue, en français. Et c’est une sacrée réussite, une chanson que je mets déjà dans mes plus belles écoutes de l’année. Et elle ne semble pas déplacée parmi d’autres petites constructions pop anglophones comme Reminder Birds par exemple ou Service Coda. Un album à manipuler avec précaution, dont les écoutes répétées font découvrir petit à petit les merveilles qu’il promet sur le papier. Un grower comme on dit, un petit miracle en somme, loin des fracas du monde (mais pas loin, Sommités) et des modes.
On a demandé à Anne et Chris, ce qu’ils écoutaient en résonance avec ce travail minutieux.
ANNE
01. Bob Marley, Redemption Song
Cette chanson invite à “se libérer de l’esclavage mental”. On s’est auto-conditionnés, en écoutant la société, la famille, le passé etc et on s’est enfermés dans de fausses croyances. Plus on s’est focalisé sur certaines choses, plus on les a ancrées. Et puis, inclure Bob Marley dans ma sélection, c’est un pied de nez à mon ancien moi qui mettait un point d’honneur à ne pas faire partie des gens qui écoutaient ça. En voulant se donner une certaine image, on se prive de choses qu’on pourrait aimer.
02. Labradford, I
Parce qu’on se trouve dans un monde oppressant où tout va trop vite, trop fort, où on est assailli d’informations et de stimuli, j’ai parfois besoin de me créer ma bulle de calme, ça peut être juste du silence, ou bien des musiques qui m’apaisent, quand à la base je suis d’un naturel énergique.
03. These Animal Men, My Human Remains
Groupe fétiche de mon adolescence, que la presse musicale détestait, ce qui renforçait mon sentiment d’être solitaire et incomprise ! La dernière strophe parle de se laisser conduire vers une destination inconnue en se reposant à l’arrière d’un taxi. On croit souvent qu’on doit aller quelque part de précis et on veut contrôler l’itinéraire, et ça va rarement comme on voudrait. Et puis un jour on s’aperçoit que si on se laisse davantage porter par les choses, non seulement c’est plus reposant mais ça nous emmène là où on n’aurait jamais pensé aller.
04. Simon & Garfunkel, The Only Living Boy in New York
Quand on réalise que les autres ne sont que des miroirs de nous-même, on peut à la fois se sentir seul au monde et en paix, car si on se sent bien, tout va bien également autour de nous.
05. Radiohead, The Numbers
Groupe que j’ai écouté sur le tard, notamment à la période où nous enregistrions l’album (sans que ça m’influence puisque l’écriture des morceaux date d’il y a 5 ans pour la plupart). Je n’avais pas vraiment de préjugés avant, mais ça n’était pas le bon moment pour moi. La richesse de leur musique me fascine. Notamment des éléments inattendus qui viennent s’ajouter et donner une nouvelle tournure au morceau alors qu’on est déjà comblé et qu’on pense que ça va continuer d’une certaine manière. Et puis, les paroles, je vous laisse aller voir par vous-même…
CHRIS
06. The Clientele, Here Comes the Phantom
J’ai eu la chance de voir The Clientele juste au moment où on commençait Whatever Works, du coup j’avais God Save The Clientele sur mon téléphone et je l’ai beaucoup écouté tout du long. J’aurais sûrement dû écouter leur dernier disque, mais j’étais sans arrêt attiré par le côté chaleureux de celui-ci. Peut-être que ça s’est diffusé à ce que nous faisions. J’adore quand ils s’écartent de leur style habituel pour inclure des instruments à cordes et de la guitare classique.
07. The Softies, The Best Days
Winter Pageant est un autre album que j’ai écouté en boucle à la même période. Les changements de tempo, d’ambiance, de rythme, de phrases s’entrecroisant dans la clarté de l’instant… Ça fait du yoyo avec le cœur. Peu de chansons peuvent aussi bien évoquer le bonheur que celle-ci.
08. The Pastels, Cycle
Peut-être la chanson la plus mystérieuse des Pastels, se développant à l’infini à travers la mousse, les tourbières et la bruine, retenant des fragments et des détails qui construisent tout un paysage. Je l’ai choisie non pas parce que c’est ma préférée (même si elle en fait partie), mais à cause de la richesse de la texture sonore, je suis sûr que ça m’a influencé.
09. The Sexual Objects, Marshmallow
Après Cucumber, un album assez provoc’, on dirait que les S.Obs ont commencé à en avoir marre de galérer en tant que légendes underground, à trimballer année après année des caisses de disques aux concerts pour n’en vendre qu’une poignée. Ce qui est effectivement injuste au possible, mais dans cette chanson l’auto-apitoiement atteint un tel niveau d’élégance qu’ils ont transformé leur malheur en or. “I’m unfashionable I know / So? So’s Michaelangelo” (« Je suis démodé, je sais / Et alors ? Michel-Ange aussi.”)
10. Nancy and Lee, Arkansas Coal
Mon duo préféré et mon accord préféré, une septième majeure, tenue pendant presque toute l’intro. Une petite fille joue sur une montagne, elle dit que si elle colle son oreille au sol, elle peut entendre son papa, un mineur de fond, loin sous terre. Sa mère l’appelle pour le repas du soir ou pour aller à l’école, mais rien d’autre ne l’intéresse, c’est une petite fille à son papa. La mine s’effondre (Lee : « Mon Dieu, les rochers tombent / Dix mille tonnes sur ma tête »), mais ça n’empêche pas la petite fille de gravir la montagne pour être près de lui.