Il est rare que vingt ans après ses débuts, un artiste continue de passionner et surprendre. Réussir à accrocher et bouleverser l’auditeur avec un premier titre joué sur une guitare désaccordée accompagnée de discrètes nappes de synthés rétrofuturistes relève du défi. Ce défi, Josephine Foster le tiendra tout au long de Godmother, album hanté par une nostalgie cotonneuse. Ne pas sombrer dans des références musicales d‘une époque chérie donne justement toute sa force au disque. Les neuf titres de Godmother transportent dans un univers sonore singulier, entre baroque, folk et science-fiction. Ce selectorama apporte les clés de ce changement de cap, parfois avec humour. Les dix titres sont illustrés d’histoires qui remontent souvent l’enfance de Josephine Foster et les souvenirs qu’elle engendre. Cela explique certainement pourquoi Godmother sonne comme une vision distordue et parallèle du passé.
01. Slim Whitman, Cattle Call
Chanter Cattle Call avec mes cousins est un de mes premiers souvenirs. Nous étions à une réunion de famille dans le Wyoming, près de là où j’ai grandi. Les légendes de l’Ouest et les cowboys et les Indiens étaient un vestige culturel auquel je m’intéressais quand j’étais enfant. Le reste me paraissait vraiment distant, inconnu. Je n’avais qu’une envie : fuir l’intense isolement que je ressentais dans le Colorado. Le fantastique Slim Whitman chante ce titre merveilleusement.
02. Kathleen Ferrier & Isobel Baillie, Let us Wander Not Unseen
Je suis tombée amoureuse de la musique d’Henry Purcell à l’âge de 16 ans. Il assemble les mots avec génie. Ces duos me laissent admirative, particulièrement celui-ci. Il m’influence encore aujourd’hui. J’ai souvent imité ses harmonies vocales fantaisistes, comme sur Sum of the Above, un titre de Godmother, mon nouvel album.
03. Barbra Streisand, Beau Soir
Ma tante possédait cet album de Barbra Streisand, du Barbra classique. J’adorais l’écouter quand je babysittais mes cousins. C’est la première fois que j’entendais du Debussy, sa musique m’a enivrée. Il a écrit Beau Soir à seulement 16 ans. J’ai appris par la suite que c’était un des disques préférés de Glenn Gould. A ce jour, je suis encore admirative de la clarté des interprétations de Barbra. D’autres titres sur ce disque sont restés des favoris personnels. J’en ai inclus quelques-uns à la fin de A Wolf In Sheep’s Clothing, mon album de 2006.
04. Ella Jenkins, You’ll Sing a Song and I’ll Sing a Song
Une douce chanson que nous chantions à la maternelle. Mon professeur de musique la jouait sur un ukulele bariton. Il nous a appris des titres d’Ella Jenkins, une brillante éducatrice musicale. Je l’ai vue jouer à Chicago par pur hasard en 2000, alors que j’avais toujours mon job de professeur de musique sur la côte Sud. Je jouais ses chansons aux enfants et j’en inventais d’autres. J’incorpore toujours des comptines dans mes chansons. Nu of the Above en est un exemple.
05. Josephine Baker, J’ai Deux Amours
On me surnommait Mary Jo quand j’étais petite (le diminutif de Marion Josephine). Les doubles prénoms sonnaient redneck ou hillbilly là où j’habitais. Je me suis juré de le changer à l’âge de dix-huit ans. C’est ce que j’ai fait, pour m’appeler simplement Josephine (qui est aussi le prénom de ma grande tante). Cette volonté m’a été inspirée en partie par la grande Josphine Baker. Sa voix frémissante m’est si familière, elle représente ma propre lignée de musique spirituelle.
06. Abba, Dancing Queen
En tant qu’enfant des années soixante-dix, je me souviens de l’ambiance exubérante qui régnait autour du patin à roulettes. Les pistes sombres, la musique hypnotique, la présence magnétique des adolescents. C’était toujours un plaisir qui me procurait la sensation d’être sur un nuage. J’ai essayé de capturer cette légèreté sur certains passages de Godmother. Ça se ressent dans le refrain de Guardian Angel qui est un hommage et une tentative de reconnexion avec l’esprit électronique qui ne peut pas être mieux représenté que dans cette chanson d’Abba qui a immortalisé tant de moments précieux sur les pistes de dance.
07. Marilyn Horne, Mon Cœur S’Ouvre à ta Voix
Elle est pour moi l’une des plus grandes chanteuses. La voici à son niveau le plus volcanique et géologique (elle a aussi cette incroyable et surnaturelle colorature). C’est de la pure lave. Ce qui me parle le plus dans l’opéra, c’est sa floraison tardive. L’apogée de sa fleur artistique arrive sur le tard et met du temps à faner. Je trouve que c’est un chemin fantastique à emprunter. Cette beauté est guidée par la voix plus que par le corps qui, lui, est déconnecté de l’esprit. Cela devrait être l’étalon qui guide ma vie.
08. The Cherry Blossoms, Self Titled LP Full Album
Je suis obsédée par cet album de mes camarades The Cherry Blossoms, un ensemble folk hors du commun et à l’opposé de toute vague commerciale. On entend chez eux une beauté authentique, comme si elle était née hors de son vieux pays natal, les USA. Plus le temps passe et plus ce type de musique semble précieux.
09. Dame Janet Baker, Schubert’s An Die Musik
Janet Baker est une chanteuse pleine de bonté qui nous offre à travers cette chanson de Schubert une sublime déclaration de l’art musical sacré. Son esprit s’épanouit à la perfection à travers sa voix. J’ai repris et réinterprété cette chanson sur Wolf In Sheep’s Clothing.
10. Cocteau Twins, Heaven Or Las Vegas
De temps en temps, je rencontre quelqu’un qui est surpris que je ne sois pas âgée de quatre-vingt ans. Certains doivent même être étonnés que je sois encore en vie. Cela me fait penser à quel point j’ai été détachée de la musique populaire pendant de nombreuses années. Je la trouvais désespérément commerciale. A cet époque, dans ma province, il n’y avait pas internet pour nous aider à trouver des trésors cachés que j’aurais pu aimer. Pourtant il y eut quelques exceptions qui sont parvenues jusqu’à mes oreilles. Ce morceau en est une. Je me souviens d’un ancien amant qui me jouait ce titre. A ma grande surprise, j’ai été profondément surprise par l’originalité de leurs mélodies.