Selectorama : Adam Miller

Adam Miller
Adam Miller

“Ancré dans la grande tradition des poètes impressionnistes de la six-cordes, The Durutti Column, Felt à l’époque de Deebank ou les Cure du début…” C’est amusant : il y a des biographies qui laissent deviner à quel point on risque de s’enticher d’un disque qu’on n’a pas encore écouté… Il y a des parcours qui favorisent aussi le coup de cœur. Ce n’est pas le nom qui est le plus souvent revenu à l’heure de tresser des lauriers au groupe d’avant – avant quoi ? Avant cette échappée en solitaire qui a vu le jour dans les frimas d’un mois de février covidé – et pourtant… L’homme en était le fondateur et l’unique membre au tout début du XXIe siècle. C’est lui aussi qui a souhaité faire évoluer l’histoire d’un post-punk sans fioriture ni concession vers une new-wave aussi fragile que du crystal ; une new-wave comme alanguie sur fond de rythmiques moites pour mieux danser sous des boules à facettes éventrées. Avec la parfaite Ruth Radelet – cette fille dont la voix tient dans un mouchoir (© 2007) – et Johnny Jewel – le faiseur de sons et codirigeant du label au nom parfait, Italians Do It Better, Adam Miller a fait de Chromatics l’un des groupes le plus importants de la décennie passée – métamorphosant quelques-unes de nos chansons de chevet (Into The Black de Neil Young, The Sound Of Silence de Simon & Garfunkel, Ceremony de New Order, On The Wall de The Jesus And Mary Chain…), signant l’un des plus bel hymne à (faire) l’amour (In The City, ad lib…) et la bande-originale étoilée de nuits qui étaient toujours plus belles que les jours – et dont on aurait voulu qu’elles durent toute la vie.

Gateway, le premier album d’Adam Miller, n’est pas tout à fait un disque de notre époque. C’est un disque de compositions instrumentales qui s’invitent dans notre quotidien sans esbroufe ni tapage. C’est un disque de crépuscule, un disque de rayon vert, un disque de (nouvelles) vagues, d’écumes et de cailloux qui roulent sur le sable. C’est un disque qui prend le temps de prendre le temps, de souffle qu’on retient, de soupirs et de murmures, un disque qui filme la vie au ralenti. Un disque qui doit beaucoup aux noms cités plus haut, oui, mais qui doit aussi beaucoup à ces chansons et disques qu’Adam a choisi avec affection, avec précaution, mélomane (et francophile) jusqu’au bout des ongles. Vernis ou non.

01. Pharoah Sanders, Greeting To Saud (Brother McCoy Tyner)

J’écoute beaucoup de jazz à la maison. J’aime l’état d’esprit dans lequel cette musique me plonge. Cette chanson est particulière pour moi parce qu’il n’en existe aucune autre qui puisse me calmer à ce point, et ce dès que les premières notes s’échappent des haut-parleurs. Il existe une honnêteté viscérale dans la musique de Pharoah Sanders qui m’a toujours attiré vers lui en tant qu’artiste. Je peux entendre une profonde tristesse et une profonde joie de vivre dans ces notes-là. J’essaye toujours que ma propre musique ait ces mêmes qualités. Et j’espère sincèrement que cela s’entend sur Gateway.

02. Françoise Hardy, La Question

La Question restera pour toujours mon album préféré de Françoise Hardy. J’ai récemment lu que c’est le premier album qu’elle ait enregistré en ayant un contrôle total de l’aspect créatif, au lieu de voir ses décisions contrôlées par une poignée d’hommes comme sur ses disques précédents. Il y a un vrai sentiment de libération qui accompagne la musique, il y a tellement d’espace et de légèreté qui s’en échappent. Lorsque Chromatics a joué au défilé Chanel Printemps/Été 2012, Karl Lagerfeld nous a remerciés d’avoir joué et nous a dit avec son accent allemand que notre musique était “divine” – ce qui était adorable de sa part. dire. Mais écoutez le dernier morceau de cet album de Françoise Hardy, Rêve, et je suis sûr que vous serez d’accord avec moi : il n’existe aucune autre chanson qui soit aussi divine…

03. The Hope Blister, Smile’s Ok

C’est mon disque préféré de This Mortal Coil qui n’est même pas un disque de This Mortal Coil, même s’il a été imaginé par la majeure partie de l’équipe de 4AD qui a justement enregistré ces disques de This Mortal Coil – que j’aime aussi beaucoup ! J’ai déjà exprimé ce sentiment dans d’autres interviews, donc je m’excuse si je donne l’impression de me répéter, mais cet album a réussi à créer son propre environnement, son propre petit monde. C’est l’une des qualités les plus importantes, celle que je recherche toujours dans la musique, car ça me permet de rêver. Cela devient interactif pour moi, comme si je vivais à l’intérieur de la musique. C’est ce qui me fait vivre… J’aimerais pouvoir vivre dans la musique continuellement, mais j’ai déjà beaucoup de chance de pouvoir y passer autant de temps.

04. The Cure, Seventeen Seconds, Faith & Pornography

J’adore Seventeen Seconds et Faith depuis plus de la moitié de ma vie ! Ces albums sont des sommets pour moi, il serait impossible de les retirer de mon ADN musical. Tout ce que je compose est d’une manière ou d’une autre influencé par cette époque de The Cure. J’ai toujours l’impression quand j’écoute ces disques que le groupe n’avait pas d’autre alternative que de les enregistrer, sinon il disparaissait sans coup férir. Je suis toujours à la recherche de cette sensation dans toute la musique que j’écoute. C’est comme un désespoir, comme une souffrance qui ne peuvent être factices. Je peux trouver ce genre de qualité dans n’importe quel style de musique. Je ne sais même pas vraiment comment la décrire, mais quand je l’entends, je la reconnais immédiatement, et parfois c’est même dans les chansons d’apparence les plus heureuses. Curieusement, il m’a fallu un certain temps pour apprécier pleinement Pornography. Je me demande souvent si c’est parce qu’à ce stade, le groupe a l’air d’avoir plus conscience de son son, alors que Seventeen Seconds et Faith me semblent un peu plus naïfs, un peu plus exploratoires… Mais au cours des deux dernières années, j’ai finalement succombé à Pornography, le solo de guitare sur le break de A Strange Day me donne juste des frissons à chaque fois que je l’entends. C’est magique.

05. Tess Roby, Up 2 Me

Je ne suis pas partiel parce que Tess est mon amie, mais je suis amoureux de sa musique depuis que je l’ai entendue pour la première fois. J’étais d’abord un fan puis je suis devenu un ami. J’aime l’ambiance que créent ses chansons. C’est un condensé de tant de choses que j’aime. C’est aussi tellement honnête, tellement courageux, tellement… Tess. Son dernier album Ideas Of Space est tout ce dont j’avais rêvé. J’espère que le reste du monde fera bientôt attention à elle.

06. Ashra, Oasis

Après m’être plongé jusqu’au cou dans Ash Ra Tempel, Ashra et Manuel Göttsching il y a quelques années, ma façon d’écouter la musique a changé pour toujours. J’ai toujours eu la guitare comme instrument principal uniquement parce que c’est mon outil d’expression le plus rapide et le plus direct… Mais peu de temps avant ma découverte d’Ashra, je commençais à me lasser de la guitare. Je me sentais limité par ses capacités et limité par mes compétences. La façon dont Ashra mélange l’électronique et les guitares ne ressemble à rien de ce que j’avais entendu auparavant. Ce groupe m’a offert un second souffle à ma façon d’aborder la musique. La musique coule et vibre à son propre rythme. L’ensemble est très joyeux et exubérant. Et très humain : il y a tellement d’émotions qui s’en dégagent. Même s’il y a de l’électronique et des séquenceurs, cela sonne très organique. Cette chanson, Oasis, ressemble à des images de plantes qui poussent hors du sol filmées en 8 mm et en stop motion. C’est l’image qui me vient toujours à l’esprit quand j’entends ce morceau.

07. Marie Laforêt, Ton Cœur Sauvage

En 2011, alors que Chromatics travaillait sur Kill For Love à Montréal, je tombais sur tout un tas de disques bon marché de Marie Laforêt dans tous les disquaires de la ville : Marie Laforêt, Album 2, Marie Laforêt Vol. VII etc. Personne ne voulait de ces albums. Et peut-être que c’est toujours le cas aujourd’hui, je n’en ai aucune idée. Pour moi, en revanche, c’était excitant de tomber sur ces véritables trésors de la musique française dont j’ignorais complètement l’existence mais qui s’étaient frayés un chemin jusqu’au Québec grâce à la connexion francophone. J’ai tout de suite été attiré par les portraits et la beauté époustouflante de Marie Laforêt sur les pochettes. Elle avait ce glamour brut, comme de la vieille école, qui m’a toujours attiré. Je devine qu’il y a de la douleur derrière tout cela, même si je suis bien incapable d’expliquer pourquoi je ressens ça… Je ne sais presque rien d’elle, à part qu’elle était actrice et qu’elle chantait ces belles chansons. La musique m’a captivé encore plus que les pochettes. Et on en revient toujours à ma lubie, celle d’être attiré par une musique qui vit dans son propre petit monde. Et avec Marie Laforêt, j’ai trouvé un autre petit monde dans lequel je peux rêver à satiété… J’ai toujours été attiré par la musique française. Ma grand-mère, dont j’étais très proche, est née à Paris, avant d’immigrer petite aux États-Unis. Le français était sa première langue. C’était une femme très gentille, majestueuse et vertueuse. Elle était aussi très stricte. Il y a certains actes que je ne commettrai jamais, certains mots que je ne prononcerai jamais parce que je sais que ma grand-mère ne les approuverait pas. Elle me manque et je pense à elle tous les jours.

08. The Durutti Column, Sketch For Dawn

The Durutti Column est un autre groupe qui a complètement bouleversé ma façon de ressentir la musique. Et je crois qu’il n’a toujours pas obtenu le crédit qu’il mérite… Au début des années 2000, à l’époque où j’ai commencé Chromatics, je vivais à Seattle et j’ai trouvé en occasion les albums LC et Valuable Passages chez un disquaire local appelé Wall Of Sound. Je suis presque sûr d’avoir piqué Valuable Passages parce que je pouvais me permettre de n’acheter qu’un seul de ces disques. Je ne suis plus le même depuis ce jour, depuis que je les ai écoutés. C’était tellement excitant de trouver enfin les albums en vinyle parce que je ne connaissais que des extraits de cette musique à travers le film 24 Hour Party People et que je cherchais ces disques depuis deux ou trois ans. Même si j’apprécie la facilité de l’accès à l’information qu’offre notre époque, je pense toujours que quelque chose a été perdue dans la façon dont nous appréhendons désormais l’art et la musique. Les images, les représentations que j’ai construites au sujet de Durutti Column à partir de ces petits extraits de 24 Hour Party People, ça ne peut plus arriver aujourd’hui en raison de la rapidité avec laquelle nous pouvons désormais accéder à tout ce qui peut piquer notre intérêt. C’est une expérience différente, je ne dis pas que c’est une bonne ou une mauvaise chose… Mais j’ai remarqué que j’ai un rapport moins romantique à la musique que j’ai découverte à travers un écran par rapport à celle qui m’a pris des années à dénicher…

09. Gabor Szabo, Three King Fishers

Gabor Szabo est un autre de mes musiciens de jazz préférés. J’aime particulièrement cette période de sa carrière, où Gabor et son groupe sont influencés par la musique pop psychédélique de l’époque et font leurs propres versions trippantes et tziganes des chansons de Donovan et Jefferson Airplane. Cette musique est tellement visuelle. Elle se faufile, les notes glissent et s’envolent, puis s’enroulent autour des traînées… À chaque fois que je fais un trip à la psilocybine, je joue ce morceau et je file sur mon tapis volant.

10. Michael Rother, Morning After (Loneliness)

Beaucoup de gens adorent Neu!, et Neu! est absolument génial, mais à mon humble avis, Michael Rother est un “super Neu! plus” ! Si Neu! correspond aux deux premiers albums de Roxy Music avec Eno, les albums solo de Michael Rother sont Avalon ! Je suis littéralement amoureux de tous ses disques. Je ne vois aucun autre artiste dont la musique est constamment aussi fantastique.


Gateway de Adam Miller est disponible sur le label Inner Magic.

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