Rose City Band, Summerlong (Thrill Jockey)

Rose City BandUn aveu s’impose d’emblée : à tort, sans doute, on n’avait jamais fait grand cas des déclinaisons multiples de l’œuvre musicale de Ripley Johnson avant qu’il en inaugure l’an dernier cette version un peu décalée et nettement épurée. Un premier album autoproduit, confidentiellement diffusé à compte d’auteur en mai 2019 puis réédité aux premiers mois de l’année du Pangolin par Thrill Jockey – Rose City Band (2019) – puis, dans la foulée, ce Summerlong estival et discret qui confirme et prolonge une première impression saisissante : loin des stridences néo-psychédéliques de Wooden Shijps et de la pop synthétique de Moon Duo, c’est dans cette configuration pastorale et presque nonchalante que Johnson parvient à se rapprocher de l’essentiel. Et l’essentiel, comme souvent, tient ici à la capacité inattendue de ces quelques chansons de pas grand-chose à creuser en peu de notes des points de passage inattendus entre des aires musicales que l’on croyait à jamais disjointes, à jumeler des segments déconnectés et précieux de notre discothèque. Dans ces cas-là, la pertinence du rapprochement est souvent proportionnelle au sentiment d’évidence rétrospective qui s’impose à la levée des œillères. On le savait sans vraiment le savoir. Ou peut-être n’avait-on jamais osé le formuler avec autant de netteté. C’est désormais flagrant : sortis la même année – 1970 –  Loaded du Velvet et American Beauty de Grateful Dead cohabitent harmonieusement dans le même espace-temps où Lonesome Cowboy Bill embrasse fraternellement Jerry Garcia pour fêter dignement sa victoire eu rodéo. Rose City Band s’est ainsi chargé d’abolir les frontières entre la entre les deux côtes, pacifique et atlantique, constitutives de la mythologie musicale nord-américaine. Et reconfigure au passage toutes les hiérarchies caduques et injustifiées entre des sources d’inspiration dont Johnson se charge de rétablir l’égale dignité.

Ripley Johnson
Ripley Johnson

Ce sont bien entendu les guitares – omniprésentes mais jamais envahissantes – qui se chargent de cette mission importante. Elles entament leur périple sur la côte Ouest avec Only Lonely qui emprunte sans vergogne inutile une longue bribe de mélodie à Wasn’t Born To Follow des Byrds. Une steel-guitar pointilliste colore de quelques accents country les textures déjà variées de cette entrée en matière prometteuse, avant que les solos ne s’étirent avec la décontraction paresseuse qui sied seule aux très longs voyages. Les lueurs du soleil – Morning Light – surgissent un peu plus tôt au fil de la transhumance, c’est logique. Avec Real Long Gone et surtout Wee Hours, le périple est bien amorcé. Portées par une rythmique métronomique – jamais on n’aurait cru que Babaluma puisse devenir aussi le nom d’une bourgade paumée de Californie – les chansons défilent et les paysages avec elles, dépourvus de tout détail trop pittoresque qui entraverait la projection rêveuse. Avec peu de moyens superflus – mention spéciale pour la mise en son remarquable signée John McEntire – Johnson parvient quasiment seul à restituer la poésie cachée de ces espaces interstitiels, ni franchement rat des villes, ni tout à fait mulot des champs. Et signe au passage un des tous meilleurs albums rurbains depuis The Good Earth (1986) des Feelies.

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