Cela fait plus de 8 ans, mais je me souviens assez bien de mon premier coup de foudre pour une chanson de Rat Columns. Et si je ne me rappelle pas les circonstances exactes de ma première écoute de Spectre Hole, je serai plus précis sur l’émotion instantanée que m’a laissée la chanson Summer Thighs. C’est rare, mais ça arrive parfois, d’être ému immédiatement par une chanson. Dans un magma bruitiste et lofi, lorsqu’arrive l’éclaircie et que la mélodie s’élève, j’ai été pris de jalousie : j’aurais aimé écrire cette chanson faite de trois bouts de ficelle. La pureté d’une mélodie surgie du chaos, l’élégance et la distance, alors même qu’on imagine le jeune homme suspendu à une paire de jambes (« ces compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie », comme chez Truffaut). En peu de mots : le romantisme et une certaine grâce… Certes, je m’égare, mais puisse l’écoute de Summer Thighs vous donner l’envie de prolonger jusqu’au titre suivant, This Night Mocks Lovers.
Où en étais-je ? Ah oui, tout ce préambule élégiaque pour dire que depuis, j’ai coupablement perdu le fil avec Rat Columns et que je le rattrape ici avec Pacific Kiss. Il convient de l’admettre de suite, le nouveau disque de David West (connu chez Lace Curtain, Total Control, Rank/Xerox…) et ses copains est l’album idéal pour (re)découvrir Rat Columns. Composé pour moitié de tubes immédiats et pour l’autre de « growers », Pacific Kiss joue sur le bon vieux registre de la pop indépendante au songwriting élégant. Par moments, on pourrait croire entendre l’album fantasmé entre le Lawrence-de-Felt et celui de Denim. Même si évidemment l’Austalien n’est pas notre Lawrence chéri, il partage certaines de ses qualités. Des mélodies brillantes, un certain maniérisme vocal et une façon singulière de souffler le chaud et le froid : enchainer en ouverture Hey! I Wanna Give You The World et l’enjouée It’s Your Time (To Suffer), il fallait l’oser, et on ne tarde pas à deviner quel autre musicien aurait pu nous faire goûter cette ironie. Avant de rire de notre obsession, il faut écouter I Can’t Live On Love. La ressemblance est troublante.
L’esquisse de Pacific Kiss serait très incomplète si on ne s’attardait pas un peu sur la très jolie Candlelight et son refrain tantrique. Les meilleures chansons de Rat Columns sont toutes faites dans ce moule de frustration et d’artifices lumineux. Ici, c’est lorsqu’au moment le chanteur déclame : « I want to see you under the clear moon » que le climax est atteint et c’est en compagnie d’un saxophone imitant « des feuilles flottant dans la nuit » que l’on attend.
J’entends d’ici l’ami Etienne Greib pester contre le saxophone et prétendre qu’il baye aux corneilles, néanmoins il ne manque presque rien à ce Pacific Kiss pour être un classique instantané de l’indie pop, seulement l’aura qu’il aurait eue s’il était paru en 1985 plutôt qu’en 2020. Pardon en 2020 ou en 2021 ? Mais quand sommes-nous au juste, depuis que le temps s’est figé ?