Évidemment, c’est une histoire qui n’est plus vraiment la mienne. D’autres – plus jeunes, plus proches du cœur de l’action ou plus directement concernés par les rencontres qui ont permis l’émergence du groupe – se sont déjà chargé de l’évoquer. Depuis les premiers tâtonnements, il y a déjà plus de trois ans jusqu’à la sortie très attendue de ce premier album en passant par la publication de quelques titres et deux Ep’s très alléchants. On y croise des noms, des lieux et même quelques visages familiers des heureux témoins de la vitalité réjouissante de la scène indie-pop – à Paris, mais pas seulement. Eggs, En Attendant Ana, Special Friend ou le Supersonic et l’International à Paris : les destins ont fini par s’entremêler au fil des concerts communs, des départs et des amitiés reconfigurées entre Romain Meaulard, Nicolas Pommé, Morgane Poulain et Quentin Marquès.
Tous les quatre, ils interprètent cette première volée de morceaux bruitistes et mélodiques avec une intensité et une sincérité troublantes. Les références sont instantanément familières et tenter doctement de les énumérer n’ajouterait vraisemblablement rien au plaisir de l’écoute pour qui que ce soit, notamment pas pour tous ceux auprès desquels Pop Crimes s’apprête déjà à jouer son rôle essentiel de passeur. La seule véritable marque de respect et d’estime ne consisterait-elle pas, pour qui se souvient d’avoir vécu les mêmes épiphanies il y a bien des décennies, à les féliciter tout en reconnaissant que le temps est passé et que l’instant présent leur appartient pleinement ? Cette histoire n’est plus vraiment la mienne. Et pourtant. Je continue d’éprouver à l’écoute de ces formes musicales familières un plaisir qui peine à se réduire à la seule consommation nostalgique et qui engage un sentiment plus vital en donnant une seconde vie – intense et inédite – à quelques souvenirs parmi les plus précieux.
C’est que, de temps en temps, il demeure rassurant – important même – de constater que tout cela ne relève pas exclusivement de la pratique érudite d’une langue morte, qu’il y a encore un je-ne-sais-quoi d’exceptionnellement vivant dissimulé derrière le fracas nonchalant des guitares et leur répétition qui prévient paradoxalement le surgissement des redites mièvres. C’est ainsi que je retrouve, en m’immergeant dans la coda saturée du premier morceau, Ends And Begins, tout ce que je pouvais ressentir, il y a plus de trente ans lorsque, en fin de soirée, la tête collée entre les baffles d’un appartement parisien, je profitais de la solitude patiemment attendue pour digérer les désarrois des sentiments adolescents en écoutant en boucle Sensitive de The Field Mice jusqu’à ne plus pouvoir en sortir. Que je récupère, dans les inspirations fulgurantes et bancales de ces mélodies précieuses, un peu plus que les réminiscences lointaines des premières fois où Soul And Fire de Sebadoh m’était apparue comme la plus triste et la plus belle des chansons d’amour. Qu’il n’est pas incongru de tomber amoureux de What You Loved , même si – ou parce que ? – le couplet ressemble trait pour trait à Karen de The Go-Betweens et que, après tout, c’est bien par l’intermédiaire d’une reprise – celle de The Little Rabbits – que le premier choc était advenu. Après tout, puisqu’il y a (Pop) Crimes, il peut bien y avoir un peu de complicité.