Ce fût d’abord une silhouette, une présence discrète et régulière. Le constat d’une assiduité commune aux concerts – surtout ceux en appartement, organisés pour la plupart par Life Is A Minestrone – comme un gage de quelques passions partagées. Et puis, au fil des rencontres, on a fini par découvrir une petite partie de son travail. De son regard. Et on y a retrouvé les mêmes qualités, le même engagement à la fois respectueux et impliqué dans cette belle façon de restituer visuellement ce qui nous plait tant dans la musique de ces sujets. Et qu’il y a forcément, dans les photos de Philippe Dufour, des échos particulièrement résonnants de cette forme d’amateurisme qui n’exclut en rien l’exigence. Et dans laquelle on se retrouve souvent.
« Je faisais beaucoup de photos quand j’avais entre dix-huit et trente ans. Je travaillais en argentique, j’étais inscrit dans un photo club. Je ne faisais déjà que du noir et blanc : c’est comme cela que je vois le monde. J’ai essayé la couleur mais, en général, je suis assez déçu de ce que je fais. Les photographes que j’apprécie le plus travaillent aussi en noir et blanc. Et puis j’ai arrêté pendant longtemps : je ne faisais plus que des photos de famille ou de voyages. J’ai eu envie de reprendre en 2019 et, comme je faisais beaucoup de concerts en appartement, j’ai proposé à Franck Zeisel et David Cairat de Life Is A Minestrone qui ont accepté. Et depuis, je fais de la photo à titre non-professionnel, comme amateur. C’est important pour moi et je le précise toujours aux artistes qu’il m’arrive de contacter directement pour les solliciter : il n’y a aucun aspect économique dans ma démarche et c’est sans doute pour cela qu’elle est plus souvent acceptée par des artistes ou des groupes qui sont dans la même perspective. On finit par tisser des liens : la plupart des artistes que j’ai sélectionné ici sont des gens que j’ai photographiés plusieurs fois. »
01. James Leesley de Studio Electrophonique – décembre 2023, LEAF à Liverpool
« Studio Electrophonique ! Grande histoire ! Ces dernières années, c’est sans doute l’artiste dont la musique m’a le plus bouleversé. C’est une découverte que je dois à Violette Records – dont il va souvent être question dans cette sélection. C’est d’ailleurs une photo que j’ai prise à Liverpool, dans le cadre des Violette Società, les concerts organisés par le label. Une prise de vue devant l’entrée de la salle, comme j’aime souvent en prendre. Je l’avais déjà photographié, un peu à l’improviste, en 2019, à l’occasion de son premier concert à Paris. J’aime tout chez lui : le style, l’esthétique, la musique, toute l’histoire du studio de Sheffield auquel son nom d’artiste fait référence et que j’ai découverte à cette occasion. Je l’ai pris en photo à sept occasions différentes et c’est peut-être celui pour lequel j’éprouve le plus de fierté. Celui pour lequel je me sens le plus privilégié. J’adore Etienne Daho depuis que j’ai treize ans mais je ne l’ai jamais pris en photo et je pense que ça n’arrivera jamais. Quand je suis devant James Leesley, je ressens la même passion que celle que je pouvais entretenir pour Daho à l’adolescence, même si je ne connais qu’une douzaine de titres. Il a vraiment une forme de grâce dans sa façon de poser. »
02. Fréderic Lo et Bill Pritchard – juillet 2023, le No.Pi à Paris
« Je les ai rencontrés pour la première fois à l’occasion d’un concert Life Is A Minestrone à Fontenay-aux-Roses. Je les ai recontactés quand j’ai appris qu’ils faisaient ce concert à Pigalle et ils ont accepté que je revienne, pour quelques photos en coulisse. C’est ce que je préfère, en fait : je n’aime pas tellement les photos de concert. Bill Pritchard, c’est quelqu’un que j’admire depuis mon adolescence : j’adorais ce qu’il faisait avec Daniel Darc ou avec Etienne Daho. J’aime beaucoup faire les portraits devant la salle de concert, même si ça rattache la photo à un contexte particulier. »
03. Tim Keegan – avril 2023, The Labour Club à Northampton
« Une exception à la règle précédente puisqu’il s’agit d’une photo de concert. J’en fais très peu parce que j’estime que, techniquement, c’est plus difficile et que je n’ai pas les bases. Et, surtout, je déteste jouer des coudes. Souvent, pendant les concerts, il y a beaucoup de photographes devant la scène qui se bousculent un peu et j’ai horreur de gêner les spectateurs et de pousser ceux qui travaillent. Là, c’était un peu particulier. C’est à Northampton, pour un concert hommage à Pat Fish de The Jazz Butcher, et il n’y avait que deux photographes. J’adore la musique, la culture et l’ambiance des salles en Angleterre : c’est souvent plus décontracté qu’en France. Sur cette photo, il joue avec la guitare de Pat Fish et ça, ce n’est pas rien. Je pense que c’était aussi assez émouvant pour lui, puisqu’ils étaient très proches. »
04. Peter Milton Walsh et Antoine Chaperon de The Apartments, novembre 2023, Charenton
« Un autre concert Life Is A Minestrone puisque j’ai toujours la chance de pouvoir collaborer avec eux. Je connaissais un peu la discographie de Peter Walsh mais certainement moins bien que ses aficionados de longue date. J’étais un peu stressé parce que j’étais bien conscient de son aura, de sa légende presque. Il a été absolument charmant. Il est sorti, il a posé très naturellement. Antoine aussi. Comme je fais souvent des photos aux mêmes endroits, j’ai fini par repérer les lieux. J’aime bien cette porte de garage, en face de l’appartement de David Cairat : dans n’importe quelles conditions de lumière, même en hiver, elle reflète super bien. Je préfère utiliser la lumière du jour et, souvent, quand il faut attendre la fin des balances et des répétitions, elle décline vite. C’est comme dans l’abri de jardin en haut du terrain de mon frère : il y a des endroits comme ça où j’ai l’impression que les photos sont inratables, même dans des conditions plus difficiles. »
05. The Reed Conservation Society, avril 2023, Studio Melodium à Montreuil
« The Reed Conservation Society font partie des premiers groupes que j’ai eu l’occasion de prendre en photo et c’est l’un des seuls – peut-être le seul – avec lequel on a aujourd’hui une relation presque amicale. Les relations avec les artistes sont, la plupart du temps, assez éphémères et je ne cherche pas forcément plus. Mais avec eux, c’est devenu un peu différent : je les ai accompagnés sur des concerts et, aussi, en studio pendant l’enregistrement de leur premier album, ce qui est une belle preuve de confiance. J’ai eu la chance de pouvoir assister à l’enregistrement des cordes et, ayant eu la chance d’écouter les morceaux à l’état de maquettes, j’étais d’autant plus toucher en les entendant évoluer dans une version plus arrangée. C’était très beau, très émouvant. »
06. Pete Astor – septembre 2022, Fontenay-aux-Roses
« Je ne suis pas un grand metteur en scène : je donne assez peu de consignes au gens que je photographie. Je leur dis souvent de prendre la pose qu’ils ont envie de prendre : ça les fait rire et je mitraille à ce moment-là. Je ne donne donc pas beaucoup d’indications mais j’aime bien expliquer aux artistes ce que je suis en train de faire, leur parler du cadrage si je me rapproche ou si je m’éloigne. En général, ils savent poser parce qu’ils en ont l’habitude et le talent. Pete Astor est quelqu’un qui sait très bien prendre la pose. Ce n’est absolument pas péjoratif dans ma bouche. J’ai toujours considéré que la photo des artistes faisait partie intégrante de ce que j’apprécie dans la musique. Je comprends très bien que quelqu’un qui fait de la musique n’ait pas du tout envie de se faire prendre en photo mais, pour moi, c’est lié. J’aime beaucoup ce portrait parce qu’il ressemble un peu à ceux des photographes que j’ai le plus admirés : Renaud Montfourny, Anton Corbijn. Je retrouve quelques éléments essentiels : la lumière, des beaux contrastes et une attitude. J’ai été tellement abreuvé par les images des Inrockuptibles des débuts – mon frère avait acheté le numéro deux quand il est sorti et me l’avait fait découvrir que j’ai parfois l’impression que je fais du Montfourny en version LIDL ! »
07. Meaning of Tales – avril 2023, La Machine du Moulin Rouge à Paris
« Meaning Of Tales, une autre découverte de Violette Records. Après les répétitions, je propose souvent aux artistes de prendre quelques photos. J’aime bien les lieux et le décor de cette photo. Et puis la matière sur les visages, aussi. C’est un point sur lequel je suis assez exigeant. Avec le confort du numérique, je sais que je peux rater beaucoup plus de photos que je n’en réussis. Il m’arrive de ressortir avec plus de 400 photos d’une séance de répétition ou d’un concert : j’arrive à en trouver quelques-unes de convenables. Le backstage et le portrait, c’est ce que j’ai toujours préféré dans les photos de musiciens. Et puis, très franchement, je me sens extrêmement privilégié de pouvoir assister à des balances : il y a peu de monde et ce sont souvent des moments magnifiques. Même si je n’avais pas d’appareil photo avec moi, je serais déjà très content. »
08. The Smashing Times – septembre 2023, Paris Popfest, Le Hasard Ludique à Paris
« Je voulais qu’il y ait une photo d’un groupe programmé au Paris Popfest parce que c’était vraiment une super expérience. J’ai eu le plaisir de documenter les trois soirées et ça a été un vrai marathon. J’étais épuisé à la fin, mais ravi. Je ne savais pas très bien quelle photo choisir et mon coup de cœur pour The Smashing Times a fini par l’emporter. C’est un groupe que j’ai découvert le jour du concert et dont je ne connaissais absolument pas les morceaux. J’ai beaucoup aimé ce que j’ai entendu. Et ce que j’ai vu aussi : ils sont lookés, ils ont l’attitude, ils te regardent. Et ils sont adorables, ce qui ne gâche rien. »
09. Helen Ferguson de Queen Of The Meadow – avril 2023, Peine Perdue à Paris
« Quand le dernier album de Queen Of The Meadow est sorti, je suis tombé sur Honey et j’ai été très touché par cette chanson, sans forcément savoir, au départ, qu’elle parle d’un décès. Je ne connaissais pas Helen et je lui ai quand même envoyé un message pour lui proposer de prendre des photos le jour où elle jouait en concert à La Boule Noire. C’est quelque chose que je fais très rarement : je ne suis pas ni démarcheur de nature, ni un très bon commercial de mon propre travail. La lumière était vraiment très belle pendant cette séance et j’ai eu peu de photos ratées. C’est une situation plus naturelle ici, par rapport à la grande majorité des portraits posés. Elle ne faisait pas du tout attention à moi. J’aime bien me faire oublier pendant les répétitions et je crois que les artistes apprécient : je les ai déjà entendu dire que j’étais discret et, visiblement, c’est plutôt un compliment. Je ne parle pas très bien anglais – c’est parfois une difficulté – mais parmi les rares choses que je sais dire et que je précise toujours aux artistes qu’ils peuvent arrêter quand ils veulent s’ils en ont assez. Je trouve que c’est important, même si aucun ne l’a exprimé jusqu’à présent.»
10. Alex Pester – octobre 2023, Centre Culturel de Lesquin
« Un coup de cœur musical, et une découverte Violette de plus. Quand il est venu en France, je lui ai envoyé un petit message pour lui demander de suivre la mini-tournée. Il a facilement accepté. Les conditions pour cette séance étaient un peu particulières : il fallait arriver très tôt puisque les concerts organisés le samedi au Centre Culturel de Lesquin ont lieu le matin, à 11h11 – une idée géniale au demeurant. J’ai pris le train très tôt et un taxi à l’arrivée pour pouvoir assister aux répétitions. On pourrait croire qu’on est sur le pont d’un ferry ou sur les quais d’un entrepôt mais c’est juste l’arrière de la salle de concert. C’est quelqu’un de très facile à photographier. »
11. Pat Fish de The Jazz Butcher – septembre 2019 à Malakoff
« C’est une photo que j’ai prise à l’occasion du concert de Pat Fish que mon frère a organisé en 2019 à Malakoff. Il a fait une bonne partie de mon éducation musicale, même si nos goûts sont parfois très différents. The Jazz Butcher a toujours été un de ses groupes préférés. Je reprenais tout juste mes activités de photographe et quasiment toutes les photos des répétitions sont ratées. Une vraie catastrophe. Il en reste quelques-unes, à l’extérieur. Et puis celles de la veille, au moment de l’arrivée à Gare du Nord. C’est ainsi que, quelques temps plus tard, pendant le confinement, j’ai reçu un message de Pat Fish me demandant s’il pouvait utiliser deux des photos pour illustrer ce qui allait être son dernier album mais qu’il n’avait pas beaucoup d’argent. Je lui ai répondu que ce serait un honneur, évidemment, et que s’ils les voulaient, c’était gratuit. Et il est mort trois semaines après. Tapete Records a repris contact un peu plus tard et m’a dit que ce serait pour la pochette. »
12. Olivier Rocabois – janvier 2023 à Conflans-Sainte-Honorine
« Olivier Rocabois dans son jardin, devant sa maison. C’est vraiment quelque chose que j’aimerais pouvoir faire plus souvent. Je l’ai découvert en première partie d’un concert de Studio Electrophonique et j’ai eu l’occasion de le recroiser plusieurs fois depuis. C’est une vraie preuve de confiance que d’accepter de partager un lieu qui est forcément intime. C’est l’équivalent des coulisses et des répétitions, mais à un degré peut-être plus poussé. Même en coulisses, il faut accepter une présence qui n’est pas évidente : les artistes peuvent être stressés, avoir peur d’être vus ou entendus alors qu’ils ratent quelque chose. »
13. Lonny avec Marie Lalonde et Alexandre Bourit – mars 2022, Nouveau Casino à Paris
« Au même titre que The Reed Conservation Society, Lonny fait partie des artistes que j’ai le plus souvent prise en photo. C’est un peu un hasard au départ. La première fois, c’était pour un concert en extérieur chez mon frère – juste après le COVID, on essayait encore de s’adapter aux normes de distanciation sociale. J’ai repris contact avec elle plusieurs fois ensuite, notamment pour cette Release Party au Nouveau Casino. J’ai eu la chance de pouvoir accompagner son évolution. Elle a toujours été très photogénique mais, là, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir affaire à une artiste, beaucoup plus organisée et beaucoup plus entourée. C’est un facteur de stress supplémentaire, évidemment. »
14. Cabane – octobre 2023 à Fontenay aux Roses
« J’ai découvert la musique de Cabane sur les réseaux sociaux, je ne sais plus exactement sur les conseils de qui. J’aime bien cette photo – Cabane dans la cabane, tout en haut du jardin de mon frère : je trouve qu’elle reflète bien ce que j’aime dans ses albums. Pour moi, c’est un artisan, un artisan d’art. Il conçoit tout tout seul en fait : sa musique, ses photos. Je l’avais contacté une première fois l’an dernier, à l’occasion d’un voyage à Bruxelles – je savais qu’il y habite – pour lui demander de le prendre en photos. Et il m’a laissé un message très long et très aimable pour m’expliquer pourquoi il n’en avait pas envie à ce moment-là. Je l’ai recroisé au 104, pour l’écoute du second album de Cabane. Je me suis présenté et je lui ai reproposé de prendre une photo, puisque j’avais mon boitier avec moi, et il a bien voulu accepter. Il m’a dit que, quand c’était fait par hasard, ça le gênait moins. »
15. Claire Days – janvier 2024, L’Archipel à Paris
« C’est une chanteuse qui vient de Lyon et que j’ai découverte à l’occasion d’un concert de Meaning Of Tales. J’étais en train de faire des photos des autres musiciens, dans la salle, quand elle est arrivée. Au début, elle était un peu méfiante quand je me suis présenté et ce sont les autres qui l’ont rassurée en lui disant que j’étais discret et peu envahissant. Elle s’est un peu détendue. Elle vient de sortir cinq titres en français que j’adore. Je suis retournée l’écouter à l’Archipel en janvier et elle a accepté que je l’accompagne en loge. »
Magnifique interview pour de magnifiques photos ! Superbe ! Je pense que la photo de Daho c’est pour bientôt : tu peux le faire, elle sera magnifique : talent et émotion…