Lias Saoudi / Fat White Family : « Nous avions deux Syd Barrett dans le groupe »

Lias Saoudi - Fat White Family / Photo : Alain Bibal
Lias Saoudi – Fat White Family / Photo : Alain Bibal

Pourquoi continuer de monter sur le ring lorsque l’on sait que chaque combat sera long, violent, laissera des séquelles et permettra à peine de payer le loyer ? C’est la question que doit se poser Lias Saoudi depuis les tout débuts de The Fat White Family, groupe dont il est le frontman. L’enregistrement de Forgiveness Is Yours, le quatrième album du groupe, a été marqué par le départ de Saul Adamczewski, membre fondateur, compositeur, visionnaire et dictateur après l’enregistrement d’un titre et demi. Nathan Saoudi, frère de Lias, compositeur au caractère obsessionnel et lui aussi despote, a disparu dans la nature à la fin des sessions. On ne sait toujours pas s’il fait encore partie du groupe. Dire que l’enregistrement de ce disque a été tendu est un euphémisme. Pourtant Forgiveness Is Yours est une réussite totale. A ce stade, on peut même penser qu’un album des Fat White enregistré pépouze ne donnerait rien de bon. Ce groupe semble donner le meilleur de lui-même dans la tension et le repoussement des limites, quitte à y laisser sa santé mentale et une partie de son espérance de vie. Plus varié que son prédécesseur sorti en 2019, Serf’s Up (quel titre), alterne entre luminosité et la folie, le tout sur des textes de plus en plus inventifs. C’est un Lias Saoudi secoué et vulnérable que nous avons rencontré dans les locaux de leur label. Il semble porter seul le lourd poids de gérer le quotidien du groupe, comme un parent seul qui doit gérer ses ados à problèmes. Il nous explique dans cet entretien comment il en est arrivé là.

Saul, Nathan et toi vous étiez partagé la composition des chansons sur l’album précédent. Qu’en est-il sur celui-ci ?
Cette fois, c’est principalement mon frère et moi. Mais tout le monde a apporté des contributions. A part celles de Work, j’ai écrit toutes les paroles. C’est un album plus collectif. Saul n’a rien composé. Il a juste été présent au tout début de la création de l’album. Il s’est impliqué dans l’ambiance sonore de Religion For One et un peu dans Bullet of Dignity. Il a quitté le groupe juste après. Nous n’arrivions plus à travailler avec lui. C’était bizarre au début car il s’occupait de notre direction musicale depuis la création du groupe. Son absence a laissé un vide dans lequel nous avons enfin pu nous engouffrer, mais ça a aussi engendré pas mal de chaos entre les membres restants. Saul avait toujours le dernier mot sur ce qui sonnait bien ou pas, et il avait souvent raison.

Tu as dit que le process d’écriture de ton frère, Nathan, l’avait fait descendre dans une folie obsessionnelle pour l’album précédent. Qu’en était-il pour celui-ci ?
Rien n’a changé. Son comportement est devenu malsain au point que plus rien ne pouvait être rationnel. Il nous a refait le coup de Feet, un titre de Serf’s Up. A savoir que, quand on tient un bon titre, il le flingue avec une séquence incohérente. Et il nous tient tête. Nous passons des heures à essayer d’arranger les choses et de négocier avec lui. Il se met tout le monde à dos, mais il ne lâche jamais prise. Il n’est plus dans la raison tellement il est attaché à la moindre note de ses compositions.

Ça devait être un cauchemar au quotidien…
Pour être honnête, depuis la fin de l’enregistrement, je ne sais pas s’il fait encore partie du groupe. La situation est devenue extrêmement complexe entre lui et nous. On passait notre temps à quitter le studio tellement l’ambiance était tendue. Nous avions l’impression d’accumuler les défaites alors que nous étions aux portes de la victoire. C’est d’autant plus frustrant que Nathan a énormément de talent. Nous étions tous traumatisés par cette expérience car, dès que nous ouvrions la bouche, nous ne savions pas quelle réaction il allait avoir. Même pour une remarque insignifiante. Par moment, il nous coupait l’envie de continuer. Mais nous n’avions d’autre choix que de continuer. De l’argent était en jeu, et le temps s’écoulait. Il a fallu trouver un moyen d’aller de l’avant.

Nathan étant ton frère, je suppose que c’est souvent à toi que l’on faisait appel pour les médiations.
Malheureusement oui. Ça va même plus loin que ça car ma famille a parfois été impliquée. Il leur racontait sa version des choses. Le problème c’est qu’il a une version différente pour chaque personne (Lias marque une longue pause, visiblement ému et perturbé). J’ai l’impression d’avoir Syd Barrett comme frangin. Il a un talent naturel incroyable, mais il perd la raison. Quand Saul faisait encore partie du groupe, nous avions deux Syd Barrett à gérer… Ces gars-là sont vraiment perchés. J’ai beau ne pas être un ange, je suis le mec le plus ennuyeux des Fat White. Je me considère comme bien élevé, et raisonnable. Ça paraît difficile à croire de l’extérieur, mais c’est la réalité.

Irais-tu jusqu’à dire que sans toi Fat White Family n’existerait plus ?
Oui. Saul voulait détruire le groupe, ça a toujours été son truc la destruction. Nathan serait toujours en train de travailler sur la même chanson depuis 5 ans. J’ai 37 ans et ça fait quatre albums que je gère ce type de problèmes. Je suis toujours sur le ring, mais mes muscles commencent à fondre.

Lias Saoudi - Fat White Family / Photo : Alain Bibal
Lias Saoudi – Fat White Family / Photo : Alain Bibal

Tu dois être fier d’être arrivé à sortir un album aussi bon après tout ce que le groupe a traversé.
L’esprit des Fat White est encore bien présent. Saul est parti, mais nous avons passé tellement de temps avec lui qu’il nous a beaucoup appris. Quand j’ai écouté le résultat final pour la première fois, j’ai senti sa présence sur l’album. Notre relation est si tendue que je ne peux même pas lui dire ce genre de choses. Quel dommage.

L’album parle du temps qui passe et du fait que rien ne s’arrangera mentalement, physiquement et, de façon générale, que le monde devient de plus en plus ingérable. Tu n’es pas un peu jeune pour avoir une vision aussi fataliste ?
J’ai lu que l’espérance de vie d’un musicien est réduite en moyenne de 25 ans par rapport à celle de la plupart des gens. Si ça s’avère vrai, on parle d’un tiers d’une vie. Ça veut dire quoi, que mon corps à 59 ans ? Tu te rends compte qu’il ne me reste plus que 13 ans à vivre (rire). J’ai peur que les années qui arrivent ne soient pas les meilleures de ma vie. J’en scuis à ce stade psychologiquement, et ça ressort sur le disque.

Pourquoi ne pas tout arrêter dans ce cas ?
En tant qu’artiste, ma vie est instable. Je cours d’un projet à l’autre. Je n’ai pas trouvé autre chose à faire de ma vie que d’être un exhibitionniste pour lutter contre ma timidité maladive. C’est mon stratagème pour échapper à la réalité. J’ai peur de faire quelque chose qui sort de cette bulle que je me suis créée. Par contre, je me demande si je suis encore capable d’enregistrer un album avec ce groupe. A cet instant précis, la réponse serait “non”. Les gars avec qui j’ai fondé tout ça ne sont plus là. Je n’ai plus de contact avec Saul et je ne sais pas où en est ma relation avec Nathan. Ce ne sera plus jamais pareil, ou alors, autant sortir le disque sous le nom de Lias Saoudi (rire). Au moins, je pourrais enregistrer des chansons telles que je les ai en tête. Malgré tous ces fracas, je suis fier et reconnaissant de ce que nous avons accompli. Ça m’a ouvert des portes, j’ai pu composer avec d’autres musiciens et écrire un livre par exemple. C’est génial d’avoir un public qui te suit dans ce que tu réalises.

As-tu suffisamment confiance en toi pour te lancer dans une carrière solo ? Jusqu’à aujourd’hui tu as toujours favorisé les collaborations.
Je préfère être entouré d’une équipe de gens pour collaborer. Si je devais enregistrer un album en solo, je demanderais à des musiciens des Fat White ou à des gens de confiance de travailler avec moi. C’est pour ça que je n’ai jamais franchi le cap. Quel est le but de sortir un album sous ton nom quand il est le fruit d’un travail d’équipe ? Ce serait clairement du rebranding. Par contre, je veux vraiment publier un autre livre. Le prochain album de Moonlandingz est quasiment terminé, idem pour celui de Decius qui est en cours d’enregistrement. Je préfère me concentrer sur ça pour l’instant. Je me remettrai à composer une fois que j’aurai le temps. C’est un processus que j’aime beaucoup car il me coupe du cirque habituel. Mais c’est contre ma nature de mener un projet seul de A à Z.

A un niveau personnel que t’a apporté l’écriture de ton livre Fat White Family and the Miracle of Failure ?
Je l’ai écrit au meilleur moment possible, pendant la pandémie. J’ai adoré le faire. Mais vraiment adoré. Le silence m’a fait un bien fou, c’était presque méditatif. Je suis une personne compétitive et j’ai toujours peur de rater quelque chose. Comme il ne se passait plus rien, ça m’a apaisé. Je ne suis jamais allé en réhabilitation, je n’ai jamais suivi de thérapie, et ce livre a été comme un mélange des deux pour moi. J’ai fortement diminué ma consommation de drogue et l’alcool depuis. Il y a une ligne très fine entre la réalité et la fiction dans ce bouquin. Comment faire autrement quand tu rédiges une histoire à partir de souvenirs. Tu essaies d’être le plus honnête possible, mais des liens sont cassés, il faut les reconstituer. C’est la première fois que je prenais le temps d’écrire depuis l’école. Dans les Fat White, j’étais catalogué comme le gars qui écrivait les paroles pendant que Saul endossait le rôle de dictateur pour tout le reste. C’était vraiment malsain. Écrire ce livre seul a été une libération pour moi. Ça m’a redonné confiance en moi.

C’est sans doute le disque des Fat White avec les morceaux les plus variés. John Lennon, Today You Become Man et You Can’t Force It n’ont rien à voir musicalement. Quelle en est la raison ?
Pour moi, l’inconsistance, si elle est en présence suffisante, mène à la consistance. Je pense que ça se ressentait déjà un peu sur Serf’s Up. C’est également le reflet du chaos qui régnait pendant l’enregistrement. Je me suis dit qu’il fallait que l’on garde cette impression, sans chercher à l’atténuer. Quitte à ce que ça parte dans tous les sens, autant que chaque chanson soit présentée de la meilleure façon, comme une boîte de chocolat.

Lias Saoudi - Fat White Family / Photo : Alain Bibal
Lias Saoudi – Fat White Family / Photo : Alain Bibal

On parle souvent de la qualité des performances scéniques du groupe. Au début du groupe voulais tu créer une performance artistique ou une sorte de happening pour accompagner la musique ou bien cet aspect théâtral et dangereux s’est-il imposé de lui-même ?
J’ai étudié dans une école d’art, donc j’ai lu des choses sur Vito Acconci et d’autres artistes focalisés sur la performance. Mais je n’avais absolument pas la culture de comment se comporter en tant que frontman dans un groupe. J’ai grandi dans des petits villages en Irlande du Nord où il ne se passait rien. En arrivant à Londres, mes pires craintes se sont avérées vraies. L’élitisme, l’exclusion, les écarts entre les classes sociales. Ça a été violent. J’ai dû trouver un moyen de m’exprimer. Ça a été à travers les drogues et des performances dans un groupe de musique, plutôt que dans un cube avec des vitres transparentes. Les concerts s’enchaînant, je suis allé de plus en plus loin, jusqu’à ce que l’inconscient prenne le dessus dans mes prestations. Je pense que les humiliations rencontrées dans ma vie au quotidien ressortaient de cette façon. J’ai parfois eu l’impression de faire des crises de panique sur scène tellement je ne maîtrisais plus mon état. Je ne jouais plus aucun rôle, je vivais une thérapie en direct au sein d’un groupe de rock. Dire que je ne devais pas être le chanteur à la base. Saul voulait vraiment que ce soit une fille. J’ai commencé par jouer du banjo et de la guitare acoustique. Jusqu’au jour où j’ai pris la dose parfaite de MDMA et j’ai perdu le contrôle. Ça a marqué le début de ma carrière de performer. Évitez de prendre des drogues, même si ces dernières peuvent parfois vous mener à une carrière intéressante (rire).

Et maintenant, es-tu toujours dans cet état quand tu es sur scène ?
Non, il faut vraiment que je sois de mauvaise humeur. Ce qui arrive régulièrement, vu ce qui se passe backstage (rire). Je suis allé tellement loin dans la performance que je ne ressens plus particulièrement le besoin de me mettre dans cet état. Par contre, je suis toujours effrayé avant de monter sur scène. Ça commence généralement deux heures avant. Dès que résonnent les premières notes, j’ai l’impression d’être à la maison. C’est étrange. Il y a une vidéo qui circule d’un concert de mon premier groupe, The Saoudis. On a l’impression que je tiens une canne invisible avec ma main qui est comme figée. C’est dire à quel point le stress peut te faire faire des choses ridicules (rire).

On lit souvent que vous êtes les sauveurs du rock’n roll. Mais ce dernier ne mourra jamais. Quel regard portes-tu sur tout ce cirque médiatique autour du groupe, et à quel point en joues-tu ?
Nous savons tous que Donald Trump est l’unique sauveur du rock’n roll.  J’ai hâte de voir sa prochaine tournée (rire). Je suis tellement empêtré dans la gestion du quotidien du groupe que ça me passe au-dessus de la tête. Je ne sais même pas si Nathan va tourner avec nous, je reçois des messages dingues de Saul. C’est devenu un drama épuisant et sans fin. Quand je ne suis pas en train de régler les problèmes ou d’en parler à ma “petite amie / thérapiste”, le peu de temps qu’il me reste n’est pas pour analyser les conneries que l’on raconte sur nous. Il m’arrive de tomber sur des commentaires sur les réseaux sociaux, mais j’ai la chance que cela ne m’affecte pas. Les commentaires sur Facebook sont la preuve que la démocratie n’est peut-être pas la meilleure des idées. Des gens qui téléchargent gratuitement ma musique alors que je ne gagne même pas suffisamment d’argent pour m’acheter un appartement se permettent de défoncer le groupe gratuitement. Les artistes vivent les pires moments de leur histoire. Le rock’n roll est définitivement mort pour moi.

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Forgiveness is Yours par The Fat White Family est disponible chez Domino Recording.

Une réflexion sur « Lias Saoudi / Fat White Family : « Nous avions deux Syd Barrett dans le groupe » »

  1. LES precedants albums avaient une charge captivante, ne pas laisser tomber il peut arriver ce que l on attends : la surprise de la remise en question. Le precedant « serfs up »avait une forme de convenu , ou le reste pouvait se réduire a  » was up  »  » next ».
    Bon celui la peut captiver , par une ambiance un peut illuminée et malsaine.Mais en regardant dans le retro du rock n roll never die, c’est les Stranglers, qui jouent du pipo , Les Rolling , sans la pierre , ou Can boite vide , tout est connu … avec une démarche un peut prétentieuses, de secouer le tapis . Alire les chroniques justement pour beaucoup les Santiags de l integritee se sont prise dans le tapis . Et non pas regardé leur savoir de gardien du temples pour contredire les propos d’un album qui pourrait nous laisser à penser qu’ils on sacrement évolué vers les cousins américains Flaming Lips , sa dégouline du « on renverse la table pour inviter tout le monde au repas » meme presque les Sparks ( sans l humour )mais a la fin c’est indigeste . Leur signature c’est liquéfiée , dans les chuchotements bienveillants ou le crachat des deux premier albums c’est transformé en mensonge .Forguiveness …

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