C’était à Londres, un jour de peu de soleil, à la toute fin de l’hiver ou au début du printemps. Je me rappelle d’ailleurs la promenade le long des canaux de Camden Town, le sous-sol du magasin de disques à quelques mètres du métro, le verre au Good Mixer, dont les dorures avaient déjà passé, à peine quelques mois après les premiers essoufflements de la britpop. Broadcast était sur le point de réaliser la compilation de ses trois premiers singles – deux publiés par Duophonic Super 45’s, le label de Stereolab, et le troisième par Wurlitzer Jukebox. Le disque, dont le titre mystérieux annonçait Work & Non Work, allait paraitre chez Warp – ce qui avait un peu surpris tout le monde. Comme l’écrit le photographe aujourd’hui, le groupe venait d’achever sa balance dans la petite salle emblématique du Dingwalls – le soir même, il y délivrait un concert magnétique, emmené par une Trish Keenan à la beauté diaphane (“Elle s’excuserait presque d’être là”, avais-je gribouillé encore impressionné dans l’introduction du papier écrit pour la RPM) et face à un Bobby Gillespie enthousiaste. Pendant la session, je m’étais tenu à l’écart, mais j’avais observé la façon de travailler de Joe Dilworth. Plus qu’une séance photo, cela ressemblait à une discussion entre des gens qui partagent pas mal d’amis et de passions – ce qui d’ailleurs était le cas. Je ne suis pas sûr, mais je crois qu’il utilisait un Rolleiflex. Au bout d’à peine dix minutes, il m’avait dit : « C’est bon ». Quelques semaines plus tard, quand j’ai vu le résultat, j’ai bien sûr tout de suite compris qu’il ne m’avait pas menti.
Paris, Londres, les loges d’une salle de concert, le grand salon de Herne Hill Road, un pub, un bar ? Je ne sais plus où j’ai rencontré Joe Dilworth pour la première fois… Tim et Laetitia, Kevin, Russel, Daniel ? Je ne sais plus qui me l’a présenté. Mais je me souviens de l’époque, au début des années 1990, quand les voyages à Londres restaient encore une odyssée, quand on enregistrait des cassettes à celles et ceux qui comptaient, quand on passait des heures à fouiner dans les bacs des disquaires, quand on lisait chaque semaine les hebdomadaires anglais dont l’encre tâchait les doigts…Pourtant, je n’ai pas tout de suite fait le rapprochement entre ce Joe, le batteur métronomique de Stereolab et de Th’Faith Healers (note pour plus tard : qui voudrait bien réhabiliter ce groupe sur Section26 ?), et le Joe photographe du Melody Maker, dont j’adorais entre autres une photo de Saint Etienne (le groupe) et dont la plupart de mes copains d’alors chérissait son travail pour la pochette d’un album intitulé Isn’t Anything. Heureusement, j’ai vite fini par remettre les pièces du puzzle à leur place.
Mais sinon, je ne sais plus. Est-ce lui qui a proposé ses services ou est-ce nous, au journal, qui avons osé lui demander – sans doute au cours d’une soirée un peu trop arrosée ? Osé ? Oui, parce que l’homme avait beau être d’une gentillesse jamais prise en défaut et d’un calme olympien, nous n’en étions pas moins impressionnés. En plus des groupes dans lesquels ils jouaient et que nous aimions vraiment beaucoup, Joe immortalisait sur pellicules à peu près tous nos héros – et la plupart du temps en noir et blanc (sa marque de fabrique, même s’il lui fait parfois quelques infidélités). Il travaillait pour les médias mais aussi pour les labels et réalisait souvent les photos de presse qui accompagnaient les sorties de disques. Il était (et est toujours d’ailleurs) un photographe musicien – ou un musicien photographe – d’une coolitude absolue et tous ceux qui l’ont vu chevaucher sa moto est-allemande avec son casque-bol et ses lunettes d’aviateur dignes de celle portées par Peter O’Toole dans Lawrence d’Arabie peuvent en témoigner.
Grandi à Londres dans les années 1970, Joe s’est retrouvé à 17 ans derrière une batterie au sein d’un groupe formé avec des copains de classe à la sortie d’un concert de Gang Of Four. L’histoire a oublié The Mysterons mais lui en a profité pour apprendre à jouer. Deux ans plus tard, il a commencé à prendre des photos. “Et je suis tombé amoureux de cela… Je me suis inscrit aux Beaux-Arts car la seule école londonienne dédiée à la photo me semblait trop restrictive et j’ai passé quatre ans à étudier à ma façon. J’ai découvert Josef Sudek, Diane Arbus et la nouvelle vague des photographes anglais des années 1960, comme Don McCullin. Je me suis aussi intéressé aux noms que je retrouvais chaque semaine dans les hebdomadaires. J’ai grandi dans les années 1970, alors que tout se mélangeait : la musique était à cette époque une culture très visuelle car la presse, les fanzines jouaient un rôle primordial. Mon ami Steve Pyke s’est mis à travailler pour un magazine musical, alors, je me suis dit que moi aussi, je pourrais m’essayer à ce boulot-là”. Sa première session ? Pour le Melody Maker, un groupe qui a cru un moment qu’il pouvait devenir Echo à la place des Bunnymen, The Mighty Lemon Drops, couché sur papier “Un jour de grisaille, à côté du stade du club de foot des Wolverhampton Wanderers”. Depuis, Joe Dilworth n’a jamais arrêté – même son déménagement au début du XXIe siècle à Berlin, dans une ville où il aimait se rendre depuis le mitan des années 1980, ne l’a pas freiné. Aujourd’hui, il mène même une triple vie : il est le batteur de Cavern of Anti-Matter (projet au sein duquel il a retrouvé son ami Tim Gane), continue à photographier avec passion – des artistes encore, mais aussi des amis ou des gens croisés dans la rue, au gré de ses balades et de ses voyages (et pour s’apercevoir de la richesse et de la beauté de ces clichés, il est urgent de s’abonner à son compte Instagram – lament.for.cement) et gère aussi une très belle librairie berlinoise, Bildband, qu’il a ouverte en 2015 avec un ami.
Pour Section26, Joe Dilworth a accepté de piocher dans ses archives. À l’aune d’une sélection forcément frustrante – parce qu’on devine tout ce qu’il lui reste à nous montrer –, où parfois ce qui semble relever de l’anecdote a fini par se métamorphoser en un moment d’Histoire, il s’impose comme une évidence : il faut que ce témoin privilégié des scènes musicales de ces trente-cinq dernières années publie enfin un livre qui immortaliserait, essentiellement en noir et blanc, certains des moments de la vie de tous ces groupes qui ont souvent mis en couleur nos souvenirs.
Broadcast
C’était au-dessus du Dingwalls à Camden Town, ils jouaient là ce soir-là et je les ai emmenés sur le toit pour prendre une photo après la balance.
Buzzcocks
Celle-ci a été prise dans mon jardin à Camden Town – Shelley et Devoto avaient fait un disque ensemble au début des années 2000. Pete habitait dans le quartier, je le voyais souvent dans le coin mais je n’ai jamais eu l’occasion de le saluer. C’était vraiment génial de les voir ensemble à nouveau autour d’une tasse de thé dans ma cuisine.
Can
C’est toujours impressionnant de rencontrer ses idoles de jeunesse, c’étaient mes héros avant que je sache à quoi ils ressemblent, car leurs pochettes de disques donnaient si peu d’informations. En particulier Jaki qui m’a expliqué ce que signifiaient réellement les percussions. Je lui ai dit : « Tu es Jaki Liebezeit ! », et il m’a répondu « Oui, je sais ! ».
Cat Power
Chan se peignait les ongles des pieds dans la maison du tourneur pendant ses dates en Suisse, alors que j’étais son batteur lors de cette tournée. Les concerts étaient absolument magiques, Elliot Smith jouait en première partie, avec Quasi en tant que musiciens.
The Cramps
Au cimetière de Abney Park à Londres – autant que je me souvienne, j’étais allé à leur hôtel le jour d’avant pour prendre quelques photos, mais je n’en avais pas fait beaucoup. Ils m’ont dit qu’ils faisaient une interview dans un cimetière le lendemain, donc j’y suis allé et j’ai découvert le lieu, j’ai pris cette photo avant qu’ils ne commencent – c’était un matin d’hiver glacial, mais ils étaient absolument charmants.
Fugazi
Ils venaient juste d’arriver dans les bureaux de Southern Records dans ce trou paumé de Wood Green (NDLR, dans le Nord de Londres) un jour particulièrement gris, et nous sommes allés dans un petit parc de l’autre côté de la rue pour prendre des photos. Je me suis dit : quel choc culturel ça doit être pour eux, mais j’imagine que ce ne devait pas être su différent de Washington DC en réalité.
Gabi Delgado
J’étais allé dans sa ville natale en Espagne pour prendre des photos pour un nouveau disque qui venait de sortir, et nous avons passé la journée à nous promener, il connaissait tout le monde, et tout le monde l’adorait. Une très grande perte, c’était une force de la nature !
Goldfrapp
Alison avait déjà chanté sur ce morceau de Add N to (X) sur lequel j’avais joué de la batterie, et j’avais aussi pris des photos. Je la connaissais et j’étais ravi de travailler pour elle. Felt Mountain est sorti il y a vingt ans maintenant, et c’est toujours un disque incroyable. On cherchait un château pour la photo de la pochette, mais à la fin, on a fini par la prendre dans mon appartement de Camden Town.
Kadavar
Un grand groupe originaire de Berlin avec qui j’ai travaillé un certain nombre de fois – ils parlaient de leurs idées pour une future pochette d’album, et l’idée de la Transylvanie est venue… Deux jours plus tard, on était dans l’avion pour Bucarest. On a loué un van et avons pris la direction des montagnes des Carpates, à la recherche de ce lac avec un village noyé sous les eaux, pris dans la glace.
Kevin Shields
Chez moi à Camden Town, à l’époque de Isn’t Anything.
Link Wray
Un ami à moi interviewait Link, et je les ai suivis. Il enregistrait dans une église non loin de Londres, et lorsque nous sommes arrivés en moto, on a toqué à la porte, et on s’est retrouvés face à lui ! Il n’a pas compté le temps passé avec nous, nous racontant des anecdotes incroyables – il avait l’habitude de jouer avec un flingue sur son ampli, et tout le monde savait où il se trouvait… En fait, à un moment de la session photo, il s’est saisi d’une mitrailleuse. Ca m’a paru assez impoli de lui demander si elle était réelle.
Manic Street Preachers
J’ai pris cette photo pour un article de Bob Stanley dans le Melody Maker – certaines photos ont été prises dans la rue, mais il y avait beaucoup de gens autour, donc j’ai toqué à la porte de l’appartement d’un ami, et utilisé son salon pour une prise.
MBV
Ce cliché est issu de la première session effectuée avec eux, alors que You Made Me Realise venait juste de sortir – ils étaient voisins, et je les voyais jouer d’incroyables concerts dans des pubs autour de Londres à cette époque. Six mois plus tard, on a pris la photo pour Isn’t Anything dans le même lieu.
Nick Cave
A l’époque de No More Shall We Part dans un coin glacial de London Fields à Hackney. Dans cette même session, j’ai expérimenté avec un appareil moyen format à dos Polaroïd, et j’en ai tiré des épreuves au révélateur lith à partir des négatifs du Pola. Un procédé très compliqué et imprévisible…
Polly
Sur les falaises de craie de Dorset en 1991.
Mark Gardener (Ride)
Cette photo est extraite d’une série de portraits que j’ai pris d’eux pour la pochette de Nowhere, leur premier album.
Cher Mr Basterra Christophe , Comment se fait-il que chez Magic et vous y compris vous ne parliez pas de DAVE KUSWORTH qui nous a quitté il y a peu dans l’indifférence générale? je suis estomaqué quand France personne ou presque ne s’en sont fait l’écho. Vous n’aimez pas The Jacobites ou Dave Kusworth en solo ?? bien cordialement
PAULINE 75015
Nous devons faire des choix parfois et c’est difficile avec un article par jour. On espère quand même que ceux que l’on publie vous conviennent. Sinon, nous n’avons plus rien à voir avec la rédaction du magazine nommé, pour information. Il s’agit d’une toute autre équipe avec qui nous n’avons plus aucun contact.
oui cher Thomas Schwoerer je voulais dire section 26 pardon et non pas magic rmp et je suis au courant que vous n’avez plus rien a voir avec Luc Broussy dieu merci , un article par jour certes mais il y 365 jrs pour une année il y aura bien une place pour notre regretté DAVE KUSWORTH prochainement ? Mr Basterra Christophe est celui qui la plus de bouteille à section 26, il aurait pu en parlé , je suis tres deçu .
cordialement
pauline du 15 eme arrondissement de Paris
hélas je ne suis pas surpris par cette amnésie concernant DAVE KUSWORTH
c’est à l’image de l’état de la presse papier spécialisée musique et des webzines musicaux en France
un manque incroyable de culture musicale et de pluralité et de diversité ,et section 26 n’échappe pas à la règle , il préfère parlé de truc insignifiant comme Pop Crimes ou Chevalrex etc .. alors que quoi qu’on en pense, DAVE KUSWORTH laisse une trace dans l’histoire de la musique , certes une petite trace mais elle a le mérite d’existé
xavier Bouillot de Lyon
Coucou Alexandre Perseverance, votre schizophrénie nous bluffera toujours 🙂
c’est qui Alexandre Persévérance ?,sincèrement je ne connais pas cette personne