Faute avouée est-elle toujours à moitié pardonnée ? Avec Peter Doherty, malgré une très sérieuse anglophilie musicale, je n’avais connu jusqu’à présent que des rendez-vous manqués. Même sa liaison avec Kate Moss ne m’avait pas convaincu de m’intéresser de plus près à ses chansons avec ou sans (je suis) Libertines – parfois à raison sans doute, mais j’imagine bien souvent à tort. Il existait jusqu’ici une seule exception notable, ce single de Wolfman si joliment intitulé For Lovers, une de ces ballade dépenaillées dont on ne sort jamais tout à fait indemne. Avec le Français Frédéric Lo, en revanche, on s’est souvent retrouvés : pour Crèvecœur bien sûr (Inutile Et Hors d’Usage jusqu’à la fin des temps), pour le beau disque avec Bill Pritchard (la très jolie balade Luck, en duo avec Étienne Daho ; la pop sautillante de Digging For Diamonds, qui reste dorénavant comme l’un des meilleurs titres de Madness circa 1985) et puis, pour quelques passions partagées aussi – l’album Voilà Les Anges de Gamine, au hasard et en souvenir d’une soirée d’automne clermontoise, passée accoudés à un bar de la vieille ville.
L’autre jour, je me suis donc décidé à acheter The Fantasy Life Of Poetry & Crime, enregistré par ces deux-là qui se sont rencontrés presque par hasard – et oui, on sait que parfois… Je m’y suis décidé entre autres parce que j’aimais beaucoup le titre du disque, beaucoup la typo choisie par le graphiste et parce qu’aussi, pas mal de gens que j’aime bien – comprendre des gens dont l’avis compte, dont certaines marottes rejoignent parfois les miennes – en disaient du bien. Beaucoup de bien. Et depuis ? L’album n’a presque pas quitté la platine parce que malgré son peu d’existence, il offre cette patine qui d’ordinaire se contente d’accompagner certains classiques – ou plutôt certains disques avec lesquels on a grandi, qui ont en quelques minutes, un beau jour, bousculé la trajectoire de notre existence. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me suis dit un matin, au terme d’une énième écoute qui en aucun cas n’était venue altérer l’enthousiasme, que si Daniel Darc était encore en vie – il est d’ailleurs invité d’honneur aux côtés de Dashiell Hammett, Peter Lorre, Jean Seberg ou Humphrey Bogart de l’une des plus belles chansons qui verra je crois le jour dans les années 2020, The Epidemiologist –, il aurait adoré dénigrer ce disque en public – il était passé maitre en matière de dénigrement – autant qu’il aurait adoré l’écouter en privé. Parce qu’au-delà de la dope et de la rédemption, Peter Doherty et lui partagent quand même quelques marottes, musicales, littéraires. Des marottes qu’on croise le temps d’un disque qui a le charme discret de la bourgeoisie légèrement décadente – la fausse légèreté claudiquante de la chanson éponyme, qu’on imagine si bien servir de bande-originale à la scène du bal d’un improbable remake du Guépard– , le sens du détail, le sens de la mélodie et des arrangements – car Frédéric Lô s’en donne ici à cœur joie, entre cuivres désabusés et cordes enluminées accompagnant avec une pertinence assez dingue ces chansons.
C’est un disque de rencontres et de flash-backs, un disque où l’on croise quelques fantômes (Syd Barrett en tête, sous les traits de The Monster), où l’on pense à la pochette intérieure de All Mod Cons de The Jam – et vous me croirez ou non, je n’ai appris qu’après que le duo avait repris English Rose lors d’un concert pour Arte –, à The Smiths (You Can’t Keep Me Forever) ou à Erik Satie (le piano désabusé de The Ballad Of…). C’est un disque où l’on croit apercevoir un Macadam Cow-boy paumé au pied des falaises d’Étretat (Abe Wassenstein), un disque qui aurait pu accompagner un Jack Kerouac à la recherche d’un satori en Normandie. C’est un disque qui sent bon les effluves de Golden Brown, un disque où à presque chaque refrain on pourrait bien se retrouver nez à nez avec des frères Davis qui auraient préféré les plages à galets aux impasses londoniennes. C’est un disque où la mélancolie se porte en accroche-cœur, le romantisme, en bandoulière. C’est sans doute le plus anglais des disques français. À moins, bien sûr, que ce ne soit l’inverse. Alors oui, c’est un disque dont on peut dire que, comme quelques autres et un en particulier, « il est for collectors only« …