Nino Ferrer est, à bien des égards, une figure incomprise de la variété française. Lui même s’est toujours perçu comme étant à la marge, non sans raisons. Né à Gênes, en Italie, en 1934, bassiste, il enregistre ses deux premiers 45 tours dans le groupe de Richard Bennett, les Dixie Cats, dans une veine jazz Nouvelle Orléans (Jelly Roll Morton, Sidney Bechet), à la fin des années 50. Au début de la décennie suivante, il s’éprend de R&B nord-américain (Stax, Atlantic) et rejoint (toujours par l’intermédiaire de Richard Bennett) le groupe de Nancy Holloway. Pendant ses concerts, la chanteuse américaine lui laisse l’occasion d’interpréter une ou deux chansons. Il est repéré par Barclay (via le label Bel-Air) et enregistre ses premiers disques, en tête d’affiche, en 1963. Le succès se fait cependant sérieusement attendre. Nino ronge son frein mais le hasard va changer son destin. Un chien qui s’échappe, un propriétaire inquiet, Ferrer improvise au micro pendant un concert : Mirza était né ! Les réactions du public sont excellentes. Fin 1965, la chanson est dans la boîte avec l’aide inestimable de son partenaire de choc, Bernard Estardy. C’est la dernière chance pour l’Italien. 1966, la chanson est un phénomène. Nino Ferrer s’inscrit, malgré son âge avancé, dans cette nouvelle vague, post-yéyé constituée de chanteurs comme Jacques Dutronc ou Antoine. Ces derniers secouent méchamment le cocotier et font trembler les Johnny Hallyday et Dick Rivers. Déjà cependant, Nino Ferrer aura une place à part. Sa fortune, il la doit surtout à des chansons humoristiques comme Mirza ou Les Cornichons (une adaptation de Big Nick de James Booker), il surfe sur le succès. Au tréfonds de son âme, cela créé une certaine incompréhension entre lui et le public.
Néanmoins, profitant de l’élan, le chanteur sort aussi son premier album, Enregistrement Public en 1966, un superbe album, à redécouvrir. Dès l’année suivante il s’exile de l’autre coté des Alpes et réenregistre certains de ses tubes, pour ce marché. Il revient au début des années 70 et publie de très grands albums comme les mythiques Métronomie (1972) ou Nino And Radiah (1974). Si ces disques, aventureux, ne sont pas forcément compris par les Français, ils permettent à Nino de retrouver la voie des hit-parades hexagonaux avec La Maison Près de la Fontaine (1971) et l’éternelle Le Sud (1975). Cette dernière est une version française du titre South exigée par la maison de disque ; son succès symbolise l’ambivalence houleuse de Nino avec le succès. Cette compilation se conclut, logiquement, sur ces deux titres, tandis que Les Cornichons et Mirza ouvrent, tout aussi naturellement, la face A. Cependant, ce Best Of (2022) est une œuvre de goût et pioche aussi dans un répertoire moins connu. Si nous sommes ravis d’y retrouver Alexandre ou la géniale Le Téléfon, nous sommes encore plus enthousiaste d’y partager notre affection pour des titres moins connus comme Monsieur Machin, Je Vends des Robes ou Les Hommes à Tout Faire. La compilation offre donc un beau séquençage et une parfaite introduction à l’œuvre des années soixante du chanteur malheureux. Quel plaisir de réécouter ces tentatives de Rhythm & Blues à la française ! Entouré d’excellents musiciens, comme Bernard Estardy ou Manu Dibango, l’élégant Nino se réapproprie, d’une manière sincère et juste, la musique afro-américaine, sans en trahir l’esprit. Il est vraiment un des seuls à avoir fait ça à l’époque (avec Vigon dans un registre plus puriste) et ce n’est pas rien. Au rayon des regrets, nous aurions aimé des crédits un peu plus détaillés (les années, la personne qui a choisi les morceaux, des éléments biographiques) mais cela n’entache en rien le bonheur de réécouter ce remarquable répertoire, si singulier.