Revenu du diable vauvert, Damien Mingus était un très proche du label Clapping Music, galaxie noire implosée il y a quelques années qui irrigue encore les musiques d’ici. Sous son masque de My Jazzy Child, il explore une musique de marges en se tenant toujours sur un fil sans jamais vouloir tomber définitivement dans une cuve étiquetée : ni pop, ni prog, ni bruitiste, ni folk, ni savant, il est trop curieux pour s’encombrer de certitudes, et aime les surprises.
Alors qu’on l’a connu solide instrumentiste (et chanteur) dans Centenaire, aux concerts puissants, qu’il partageait avec d’autres résidents de Clapping (cette équipe de rêve avait impressionné sur leur terrain de nombreux strasbourgeois (du label ami Herzfeld) alors à la recherche d’intensité scénique et de musicalité), il renaît ici, les instruments posés dans un coin, dans une musique traversée par cet axe si contemporain (on l’a vu récemment chez Begayer & Antoine Loyer) qu’est cette fascination pour le folklore local, son côté immémorial et inoxydable, sa plasticité permanente. Et Damien d’interroger cette plasticité en utilisant une technique 98% collage (nombre vérifié) en jouant avec des échantillons tirés d’enregistrements très divers couvrant ce genre global. Il en tire une matière originale qui joue avec les effets que produisent, sur notre oreille, des bruits de la vie quotidienne, des paroles recueillies, des sonorités d’instruments anciens. Projeté dans un univers nouveau, utopie, dystopie, l’auditeur reste pantois devant une telle évidence laissée par des petites plages qui déjouent encore une fois les pronostics. Alors que ce genre d’exercice tire souvent vers le paysage sonore, étiré, contemplatif, économe, My Jazzy Child produit des petites boules de nerfs qui étonnent par leur explosivité et leurs dynamiques, grâce en partie à des rythmiques retaillées à la serpe (et pour le coup complètement ré-agencées). On se surprend à siffloter, à remettre en boucle une plage, comme le dernier tube r’n’b des réseaux. C’est toute l’entreprise qui aboutit à une sorte de musique pop forcément bizarre où moments d’histoires et pièces d’un puzzle géographique se télescopent dans une joyeuseté expressive : beauté tranquille (Alpiant), humour de répétition (La Belle Dame, single!), horreur de série Z (Les 3600)… Si on se doute que le disque est le résultat d’une approche réfléchie, pensée voire existentielle – et cette intuition a été confirmé par le principal intéressé dans un échange évoquant Chomsky (« grammaire universelle », « innéisme linguistique »), la construction du langage chez un enfant en bas-âge, le mastering de Mark Gergis de Sublime Frequencies, label profondément infusé par les musiques entendues lors de voyages dans le monde entier… -, il s’extirpe aisément de son cocon conceptuel en tenant debout tout seul, par un soin apporté à l’agencement des briques sonores, dans l’improbable absorption de patois et de langues, anglais, hindi, français, ukrainien jusque dans la précision des étincelles produites par les petits chocs entre des traditions si différentes. Cette petite tour de Babel en fête met en joie, et montre à nouveau que le mot valise “pop moderne” se pose souvent là où on ne l’attend pas, notamment entre les pattes des ours et de leurs dresseurs paysans sur la superbe pochette de peinture brute d’Adrien Pelletier.