Antoine Loyer & Mégalodons malades / Bégayer, Sauce chien et la guitare au poireau (Gluck, Le Saule)

« Vous êtes plus penchés que nous, vous êtes trop lourds parce que vous êtes penchés, et vous êtes penchés donc vous tombez dans la boue »

Quand Antoine m’a proposé d’écouter ce disque longtemps avant sa sortie (repoussée plusieurs fois, dans l’espoir de le voir s’accomplir sur scène j’imagine), j’y ai d’abord décelé, au doigt mouillé et à vue de nez, une approche assez simple, folk(lorique) et expé. Puis j’y ai décelé des pistes pour l’avenir des musiques vivantes, peu ou prou. Car ce disque bicéphale, une face Bégayer, une face Antoine Loyer & Mégalodons malades, fait écho à une tribune récente de Vincent Moon qui m’avait passionné. Après avoir fait le tour du monde des musiques, disons de transes pour aller vite, celui-ci détaillait son nouveau projet sur le territoire ; le bien nommé Territoires, justement.

Je n’ai pas tout compris, mais s’en détachait une volonté de dessiner un circuit parallèle à celui qu’on connait (les groupes, les salles, les tournées, la promo, les réseaux sociaux) : aller à la rencontre de ceux qui font une musique en dehors des clous, dans des cérémonies tout à fait contemporaines, entre la fête de village secrète, l’invitation à la transe dans la forêt, des agapes spontanées au cœur des villes, en se passant pourquoi pas d’électricité, d’affiches, de noms… Un bel et étrange programme, compliqué à mettre en œuvre puisque le paradoxe résidera toujours : comment faire connaître sans dénaturer, comment attirer au-delà de cercles déjà convaincus, voire privilégiés ? Ce paradoxe se fait jour dans ce disque sauvage et libre, donc qui nous occupe : puisqu’il est en effet évident que cette musique se sent à l’étroit sur le support, qu’elle déborde d’une énergie trop dévorante pour se contenter d’un soundcloud, d’un CD ou d’un vinyle. Elle est avant tout une ode à la rencontre, au partage, au spectacle vivant, en gros au – attention mot à manier avec prudence – festif. Elle invite au laisser aller, à la transe, au lâcher prise, et on a envie immédiate de balades champêtres, de poêlés de champignons (et de poireaux donc), d’alcool de poire maison, de lever de soleil sur la montagne. Et de courir tout nu dans la nature. Voilà pour les clichés car la musique nous emporte bien au-delà de nos petits renoncements de citadins.

Au programme de la veillée, des ballades folk, violon en embuscade, percus discrètes, choeurs adultes ou enfantins (le très beau Sauce Chien) en langue française ou non identifiée, un truc comme aurait pu donner un Jim O’Rourke (période Eureka) perdu dans la montagne et sous champi, ou le Faust qui a mal aux dents (et mal aux pieds aussi) : car dans le chalet, ça peut pulser à fond aussi, avec le punk Il y a d’autres chiens rasés, avec le vent d’enfer de La petite fille du moderne, avec un piano cerné par quelque escarbille électronique primitive (La pointe d’une caillasse est une lance)…

Cet étonnant album partagé tire vers une musique qui s’affranchit des codes de la chanson en balançant entre jazz free, folk punk et improvisation à tout va, comme l’école de La Saule notamment nous y avait habitué. On y retrouverait un certain goût pour le grotesque : une saveur des Endimanchés et leur musette à propulsion, ou des Forguette Mi Note, des groupes énergiques pour les jeunes à chiens, dont les disques avaient cet étrange folie de frôler l’inaudible (un trop plein d’énergie), de jouer avec les barrières de la bienséance, tout en dégageant des fragrances politico-sociales à la grand papa / grand maman, en pleine Mobilisation Générale : (re)trouver quelque chose d’un avenir dont les véhicules ne seront pas les voitures volantes mais des cycles un peu rouillés mais bien huilés, où les musiques reflèteront un mélange équitable (on a l’impression parfois d’écouter Konono dans un chalet des Vosges), bref une musique d’un futur alternatif, imprévu, pas celui qu’on imaginait il y a quelques heures (avec plein d’autotune), mais celui qui pousse en bordure de route, sauvage et libre.

Ecoute ici : www.lesaule.fr/pages/playlist45.html
Sortie le 22 janvier.

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