Il suffit d’un simple moment, d’égarement ou de grande concentration, pour tomber dans King Crimson. Pour beaucoup, ce ne sera jamais le cas et tant mieux pour vous. Parce que sinon, vous êtes ou assez riches, ou totalement foutus. Vraiment, ces coffrets rétrospectifs de plus d’une vingtaine de compact discs répartis par albums ou époques et validés par le maître sont autant jouissifs que dispendieux. Aucun groupe n’a pareil souci de patrimoine, c’est dire l’importance du lien et la qualité de la liaison*. En revanche pour rester un musicien actif dans ce groupe, et c’est je crois le sujet principal de ce film, c’est une autre paire de manches. Et de manches, il ne sera que peu question ici, tant caserner dans la secte de Robert Fripp semble être une affaire éminemment sérieuse, souvent temporaire donc, entre le sacerdoce, le partage du sublime, et la nécessité de l’intensité.
L’affaire est bien trop importante pour son instigateur pour souffrir le moindre faux pas, la moindre incartade vers le bas. Car on peut aimer King Crimson tout en continuant à dauber comme un connard de sale punk sur cette saloperie de rock progressif. Entre l’onirisme et la discipline, il y a plusieurs univers (au sens astronomique) qui ont pris forme à partir ou partiellement de cette entité, de cette vision, de cette poétique que les paresseux détestent en général, faute de curiosité ou de connaissance. Mais de Joy Division à Tool, en passant par Slint, Earth, Air, Mellow ou Shellac, The Mars Volta et tutti quanti, l’influence de cette proposition totale reste une stèle unique dans le patrimoine de l’humanité, sinon de la musique électrifiée.
Parangon et fondateur (malgré lui ?) d’un genre, le prog, qui fait horreur dans les illustrés de l’époque, Robert Fripp est tout de même un personnage curieux. Pour ceux qui sont déjà acquis à la cause, il faut savoir que ce documentaire filmé lors de la dernière tournée du groupe** a été approuvé, validé, certifié par le chef du Politburo. Et plutôt que de faire classiquement un historique argumenté des diverses époques créatives du groupe, la narration se base sur ceux qui n’ont pu/su y rester. Leur culpabilité et leur sentiment d’inutilité (dans le cas d’Adrian Belew, on atteint même un paroxysme psychiatrique assez inquiétant) semble tracer en filigrane le portrait d’un Fripp dictatorial, sociopathe et incapable de communiquer son profond mécontentement autrement que par un licenciement en bonne et due forme. À mille lieues, adoncques de ses récents talents d’animateur pince sans rire WTF sur Youtube en compagnie de sa chérie Toyah Wilcox***.
On pourrait profiter de cette tirade pour vous faire un itinéraire bis, tracer tous les chemins qui mènent à Fripp au-delà de King Crimson (Bowie, Eno, liste non exhaustive, rarement de la gnognotte) mais il faut bien se raisonner. Le sujet ici c’est un groupe, mu par la force, la créativité impensable et la pugnacité d’un homme vraisemblablement détestable, qui a probablement du sacrifier beaucoup de relations humaines, parce que musicalement, comme disent les cons, ça joue, et qui a toujours placé son exigence au service d’un art absolu, au-delà de l’humanité et bien au-delà du rock.
* Dans une moindre mesure, être fan et complétiste de Guided By Voices (432 albums au compteur avec les membres en solo, mais c’est à prendre ou à laisser, mec) me semble être le seul loisir de niche un peu comparable, mais au moins il y a du sport et de l’alcool. ** J’y étais, à l’Olympia, avec Phil Marie et Richard Pinhas également. J’ai pleuré trois fois, dont une fois, de rire. *** Qui fut un peu la seule rivale locale de Kate Bush à l’époque. Inexplicablement un revival tarde à venir, à raison, qui sait ?
Hello , merci pour cette info. Aura t’on l’immense plaisir de voir ce film en France, autre part qu’à Bordeaux ? J’habite au Havre. Sera t-il diffusé sur une plate forme? J’ai vu King Crimson 2 fois sur scène. En 1974 au Palais des expos à Nancy
( Fripp,Wetton, Brudford, Cross) et en 1982 dans les arènes de Fréjus ( Fripp,Belew, Levin, Brudford) co-affiche avec Roxy Music. Inconditionnel du groupe et de John Wetton chanteur/bassiste incroyable.