A moins d’être né aux États-Unis dans les années 70 ou d’être fan de Dire Straits, la phrase I Want My MTV ne vous dira rien. C’est le slogan de la première campagne de publicité virale, orchestrée par une bande de passionnés de rock et de télévision, qui décidèrent à la fin des 70s que la musique ne se devait plus uniquement d’être écoutée mais également vue. C’est aussi le titre du documentaire réalisé par Tyler Measom et Patrick Waldrop qui retrace la naissance de la chaîne, depuis le premier «videoclip» jamais réalisé, (Mike Nesmith, ex-Monkees) jusqu’à la création de The Real World, première émission de télé-réalité non-scriptée sur un groupe de jeunes gens vivant ensemble dans une maison.
Mike Nesmith, Rio, 1980
La saga MTV est fascinante, et de regarder les principaux acteurs de l’époque raconter leur conquête de l’Amérique câblée est souvent drôle et émouvant, comme le récit de la première apparition à l’antenne, avec la diffusion du clip Video Killed the Radio Stars des Buggles, visionné depuis un bar du Queens car MTV ne passe pas encore à Manhattan.
The Buggles, Video Killed the Radio Stars
D’abord testé sur la chaîne Nickelodeon, le concept de diffuser des videoclips en continu ne rencontre pas le succès escompté. Seuls quelques réseaux câblés locaux acceptent de diffuser la chaîne, et il faudra attendre la campagne I Want My MTV, encourageant les jeunes à appeler leur fournisseur local, pour que le phénomène touche l’ensemble du territoire américain.
I Want my MTV, 1984
Ainsi durant les premières années, il est bien difficile de remplir l’antenne, et seuls quelques artistes, souvent britanniques, perçoivent l’impact que ce nouveau medium peut avoir sur la jeunesse. Comme le dit Judy McGrath, ancienne directrice générale de MTV, « Thank you for Rod Stewart », car les maisons de disques américaines rechignent à payer pour être diffusés. Le documentaire revient avec justesse sur l’impact des britanniques qui, habitués à Top of the Pops, savent combien leur image est importante. Ces artistes révolutionneront l’image de la Pop, mais au-delà de la musique, contribueront à faire entrer maquillage et cheveux crêpés dans les salons familiaux jusqu’au fin fond du Kansas. Étonnement, il n’est fait aucune mention de Duran Duran, alors qu’il s’agit certainement du groupe britannique le plus emblématique de l’époque.
The Human League, Don’t You Want Me
Le documentaire revient de manière assez honnête sur la médiocrité engendrée par le besoin de « nourrir la bête ». En effet si Billy Idol, Dee Snyder et Bret Michaels (Poison) reviennent avec amusement sur la « grande » période du clip metal avec son lot de clichés, d’autres groupes se retrouvèrent coincés par l’image, comme le raconte Nancy Wilson de Heart, qui vit sa musique s’effacer derrière des videos plus ou moins ridicules.
Heart, Never, 1986
Toutefois, si ce mea culpa sur une certaine forme de médiocrité qualitative est plutôt sympathique et honnête, on peut regretter qu’il n’en soit pas de même dans le traitement de la manière dont MTV refusa pendant bien trop longtemps de diffuser des artistes noirs. En effet Mark Goodman, l’un des premier VJ (ou présentateur), dit avoir compris le message lorsque David Bowie, en interview, lui demanda « Pourquoi ne diffusez-vous pas plus d’artistes noirs ? » Les explications sont fumeuses, et à aucun moment les dirigeants ne disent franchement qu’ils ont eu tort, mettant en avant l’impact de Billie Jean de Michael Jackson plutôt d’admettre qu’ils étaient franchement racistes et que le public noir n’était pas ciblé, n’ayant souvent pas les moyens financiers de payer pour une chaîne câblée. Le film fait également l’impasse sur les menaces de boycott de certaines maisons de disques, CBS en tête, si MTV « n’ouvrait » pas son antenne à leurs artistes. Il faudra en effet attendre 1988 pour que Yo ! MTV Raps voit le jour, alors qu’en France H.I.P H.O.P était là en 1984.
David Bowie, interview avec Mark Goodman, 1983
Michael Jackson, Billie Jean, 1983
Yo ! MTV Raps, Fab 5 Freddie
I Want My MTV permettra sans aucun doute à de nombreux français de découvrir l’histoire de la chaîne, et de se plonger avec plaisir dans une nostalgie visuellement (com)plaisante et sucrée, au point de regretter cette époque où l’on pouvait regarder des heures de télévision pour profiter de 2 minutes de chanson, en soupirant « I Want My MTV Back ».
« I want my MTV » de Tyler Measom et Patrick Waldrop est projeté Jeudi 10 septembre à 21h45 au Cinéma Utopia à Bordeaux dans le cadre du festival Musical Ecran organisé par Bordeaux Rock.