Michel Cloup : « Coller avec le texte, sa palette de noirceur avec ses dégradés, du gris vers le noir » 

Détail d'une image du film "Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle" de Frank Beauvais (2019)
Détail d’une image du film « Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle » de Frank Beauvais (2019)

C’est peu dire qu’on suit depuis longtemps la non-carrière de Michel Cloup, j’écris non-carrière car on se doute qu’il s’agit plus d’une urgence personnelle à s’exprimer que d’un plan emploi. Si une seconde chose est claire, c’est qu’à travers une fidélité discographique au style qu’il s’est créé, le Toulousain sait aussi se placer là où on ne l’attend pas toujours. C’est le cas du travail effectué autour de l’œuvre littéraire de Joseph Ponthus il y a peu avec le compagnonnage de l’ami Pascal Bouaziz, c’est aussi le cas de ce ciné-concert qui cache une rencontre étonnante entre Ne croyez surtout pas que je hurle, le film essai de Frank Beauvais qui a défrayé la chronique cinématographique il y a quelques temps avec un inattendu succès critique pour un film fragile et minutieux, génialement fait à la maison. Étonnante rencontre où le musicien s’est mis au défi de s’introduire dans ce film constitué d’un montage absolument kaléidoscopique et vertigineux de micro-extraits d’autres films (de tous les cinémas) au service d’un journal très intime. A priori tout l’inverse d’un matériau susceptible d’intéresser le compositeur avide d’espace et de longues échappées. Mais Michel Cloup ne cherche jamais la facilité, ça c’est sûr. Entretien.

Comment se fait la rencontre avec le film de Frank Beauvais et à partir de quand ressens-tu l’envie d’en faire l’objet d’un ciné-concert ?

Michel Cloup : J’ai vu le film à sa sortie, en salle, après avoir vu la bande-annonce et avoir probablement lu un peu de presse. J’ai pris une grosse claque. Le soir même, je me suis aperçu que nous étions amis Facebook (la magie des réseaux sociaux). Je lui ai envoyé un message pour le féliciter et nous avons un peu échangé. En parallèle, la cinémathèque de Toulouse m’avait proposé un ciné-concert en 2022 pour l’ouverture de leur festival mais ça ne marchait pas avec mon emploi du temps. Je m’y suis donc collé en 2023.  Je n’avais jamais travaillé sur un ciné-concert et je voulais éviter le cliché du film muet russe sur lequel le ou les musiciens s’écoutent improviser.

Quelle a été la teneur des discussions entre Frank et toi, sur la nature de ce que tu allais composer ?

Michel Cloup : Il m’a laissé carte blanche. À vrai dire, je ne savais pas vraiment où j’allais, c’était assez difficile de lui donner des indices.

Michel Cloup
Michel Cloup

Pour les ciné-concerts, j’ai l’impression que les musiciens recherchent de grands espaces pour s’exprimer, que ce soit des films muets ou des films avec de longs plans. Au contraire, tu as choisi un film avec une voix off très dense et des plans microscopiques, comment as-tu joué avec cette contrainte ? 

Michel Cloup : Il y avait une contrainte technique lors de la projection : mon ingénieur du son ne pouvait pas contrôler le son du film, uniquement la musique. Il fallait que je joue tout en nuances pour que la voix soit toujours intelligible. J’avais eu plusieurs idées : par moments couper la voix ou la recouvrir de musique et faire apparaître les sous-titres du texte mais c’était aussi impossible techniquement. Du coup je me suis adapté. J’ai joué comme j’ai déjà joué au théâtre avec des comédiens : être là, mais à l’écoute, accompagner.

Justement, quel équilibre as-tu cherché entre la musique et la voix de Frank ?

Michel Cloup : La voix devait être toujours compréhensible, c’est le moteur du film, les tentatives de la faire disparaître en la recouvrant de musique ne fonctionnaient pas.

Image du film "Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle" de Frank Beauvais (2019)
Image du film « Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle » de Frank Beauvais (2019)

 

Est-ce que tu t’es reconnu dans le film, les « combats » que Frank expose au grand jour, qu’ils soient familiaux, personnels, amoureux, poétiques et politiques ?  Et qui peuvent entrer en résonance avec ce que tu abordes dans ta musique, comme une proximité ?

Je parlerais plutôt de combats intérieurs. Oui, j’ai ressenti une forte proximité. Il y a énormément de questionnements que nous avons en commun, notamment sur l’aspect politique, où l’intime n’est jamais très loin non plus. Il y a aussi cette honnêteté à dire les choses, même si elles ne sont pas très joyeuses à entendre ou pas très flatteuses. C’est finalement assez rare aujourd’hui et c’est agréable de se sentir moins seul.

J’imagine que tu as travaillé avec ton instrument de prédilection qui est la guitare électrique, y avait-il d’autres éléments à ton dispositif? Comment as-tu travaillé concrètement ?

Michel Cloup : Il y a essentiellement de la guitare électrique et un peu d’électronique : une boite à rythme martiale comme un tic toc d’horloge et quelques effets numériques sur ma guitare. J’ai d’abord travaillé sur quelques thèmes musicaux, c’est ce que j’aime dans la musique au cinéma, les grands thèmes musicaux qui reviennent tout au long d’un film et qui sont souvent des petites phrases musicales assez simples. Il fallait coller avec le texte, sa palette de noirceur avec ses dégradés, du gris vers le noir. Mais aussi ponctuer les éclairs de lumière qui ponctuent le film, de plus en plus fréquents et qui correspondent à la reconstruction du personnage principal, sa porte de sortie.  J’ai joué, joué, joué, jusqu’à m’imprégner du texte. Et à un moment j’ai mis de l’ordre, j’ai vraiment écrit une partition, au mot près, avec des entrées et des sortie et des silences.

Les logiciels qu’utilisent les musiciens qui travaillent sur des bandes originales sont précis au dixième de seconde (sans doute plus), ça semble être de la chirurgie, au contraire, les ciné-concerts semblent renouer avec l’accompagnement des films muets, les pianistes dans les salles qui jouaient à l’instinct. Quand tu joues ta partition en concert, quelle liberté te donnes-tu par rapport au défilement des images ? 

Michel Cloup : C’est moi qui contrôle tout, il n.y a pas de time code ou de déclenchement automatique donc il y a à la fois une marge d’erreur et d’improvisation, mais il y a un cadre précis que j’essaie de respecter car c’est ce qui fonctionne. J’ai le texte devant moi (bien que je commence à le connaître par cœur). Dans mes interventions musicales, je me suis laissé de la place pour improviser.

Image du film "Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle" de Frank Beauvais (2019)
Image du film « Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle » de Frank Beauvais (2019)


Es-tu attaché à la projection d’un film, à la présence dans une salle de cinéma ? Ou es-tu d’une génération plus attachée à un support domestique type VHS ou DVD ?

Michel Cloup : Je suis attaché aux films, peu importe le moyen de les voir. C’est moins le cas aujourd’hui mais il y a 20 ou 30 ans, certains films étaient invisibles. J’ai eu la chance de voir La maman et la putain au cinéma au début des années 1990, mais je suis ensuite allé le revoir plusieurs fois à la médiathèque de la fac de lettres à Toulouse, ils avaient une copie VHS crado enregistrée à la télévision et on a regardé ça assis sur des chaises en métal pendant 4 heures. Je n’ai malheureusement pas le temps et l’énergie d’aller beaucoup au cinéma. J’ai un grand écran chez moi. Mais j’aime toujours l’expérience communautaire et intime d’un film en salle.

Quel type de films regardes-tu ? Et que t’inspirent les musiques que tu y entends ?

Michel Cloup : Mes goûts sont très larges, je suis accro au cinéma. C’est quelque chose que je partage avec Frank. C’est aussi pour ça que ce film m’a beaucoup touché.  Je peux regarder un Nolan ou un film d’Akerman avec la même joie. Il n’y a pas vraiment de barrières. Selon le genre, je ne m’attache pas aux mêmes choses. Si je vais voir un film visuel, je veux du visuel, si je vais voir un film plus formel, je veux aussi un scénario, des comédiens. C’est plus le son au cinéma qui m’intéresse que seulement la musique. J’aime beaucoup certains films de Godard juste pour le travail du son. Je me méfie de la musique au cinéma, c’est souvent un piège et ça peut finir en clip vidéo.

Image du film "Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle" de Frank Beauvais (2019)
Image du film « Ne Croyez Surtout Pas Que Je Hurle » de Frank Beauvais (2019)


Est-ce qu’on t’a proposé de réaliser d’autres musiques de films après ton travail sur Retour à Reims ? Comment as-tu vécu cette expérience ? 

Michel Cloup : L’expérience sur Retour à Reims était simple car j’ai déjà travaillé avec Jean-Gabriel Périot auparavant, c’est un vieil ami. Il n’y avait malheureusement pas beaucoup de place pour de la musique originale (les archives en sont remplies), mais je suis très content et fier d’y avoir participé. Je n’ai eu aucune proposition. J’attends ça avec impatience, j’aimerais un jour pouvoir travailler sur tout un film, avec de l’espace.

Tu as, au long de ta carrière, toujours construit des ponts entre la musique et d’autres disciplines que ce soit les fameuses utilisations de Sailor & Lula ou La Maman et la putain, que ce soit le travail sur l’image-vidéo au sein d’Experience, tes échanges avec Beatrice Utrilla, ou la littérature avec Joseph Ponthus… Dans quelle mesure tout ça inspire ta musique ?

Michel Cloup : C’est un jeu d’allers retours. Je suis à la base un musicien de Rock mais j’aime bien aller voir ailleurs pour des exercices différents, des publics différents et des modes de pensée différents. J’ai besoin de tout ça, même si parfois je me retrouve dans un tourbillon de travail. Je ne saurais pas te dire comment ça inspire ma musique par ailleurs, même si je pense  que ça a un effet.

Il me semble que tu as joué le ciné-concert une fois à la Cinémathèque de Toulouse, comment ça s’est passé ? As-tu des nouvelles propositions de dates?

Michel Cloup : La représentation à la cinémathèque de Toulouse s’est très bien passée. Le public était surpris : ceux qui connaissaient le film tout autant que ceux qui ne le connaissaient pas. J’ai de nouvelles propositions qui se calent sur l’année qui vient, en commençant par le 25 avril à Saint-Étienne.

Est-ce que tu as eu des retours de Frank ? 

Michel Cloup : Il était à la première. Il était assez ému juste après le film. Je crois qu’il a bien apprécié. J’ai son feu vert pour continuer à le jouer, c’est bon signe ! J’étais très content que ça lui plaise.


Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais (2019), ciné-concert de Michel Cloup, le 25 avril au Méliès à Saint-Étienne.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *