« À la ligne » sur scène : Joseph Ponthus, Michel Cloup et Pascal Bouaziz

Joseph Ponthus

J’écris comme je pense sur ma ligne de production divaguant dans mes pensées seul déterminé
J’écris comme je travaille
À la chaîne
À la ligne

Ce sont peut-être ces mots qui m’ont happée dès la première lecture, ces mots et puis tous les autres, ceux du poétique et nécessaire roman de Joseph PonthusÀ la ligne, publié en janvier 2019. Un matin, j’ai écrit tout le bien que je pensais de ce texte sur un réseau social et le soir, l’auteur m’a appelée (je me souviens bien, j’étais dans mon bain et l’eau avait eu le temps de refroidir avant que je ne pense à en sortir). Avec Joseph, nous avons longuement parlé, du singulier, du collectif, du cœur qui continue d’espérer. C’était formidable. Le bonhomme rencontré un peu plus tard est à l’image de son texte, humble, intense et d’une grande générosité. Je n’ai donc pas été surprise, mais c’était encore mieux que ce à quoi je m’attendais.
Mais revenons au sujet. À la ligne. La ligne c’est la ligne de production, c’est l’usine, les tâches répétitives, le corps qui se plie et l’esprit qui résiste. C’est le travail à la chaîne, dans les années 2020 comme il y a un siècle, quand rien ne change ou si peu, quand c’est toujours aussi dur, aussi âpre, aussi épuisant. Joseph Ponthus dit tout cela, mais il dit aussi l’amitié et l’entraide, le temps qui passe et ne passe pas, la musique qui sauve, l’humanité qui reste. Et c’est beau, vraiment, c’est beau quand c’est écrit comme ça.
Il y a quelques mois, Joseph m’a annoncé que son livre allait être adapté par Michel Cloup. Encore une fois pas de surprise, c’était même une évidence de faire se rencontrer ces deux-là. Il y a des engagements qui se reconnaissent et des combats qui se partagent, quand on parle la même langue, celle qui dit juste à chaque fois.
Le confinement avait mis les représentations sur pause, elles reprennent ce vendredi 18 septembre à La Maison de la Poésie avec Michel Cloup duo et Pascal Bouaziz, qui a rejoint le projet (là encore, une évidence). Si les conditions le permettent, une tournée suivra, quelques dates sont annoncées. Je crois qu’un moment comme celui-là ne se manque pas. Je crois qu’il faut encore et encore parler de la classe ouvrière, des « derniers de cordée », de ceux que l’on n’entend pas, de ce monde du travail qui marche sur la tête, sur nos têtes. A l’occasion de ce concert, j’ai posé quelques questions à Joseph et Michel, histoire de croiser leurs voix, en bons camarades. Salut à vous les gars !

Joseph Ponthus / Michel Cloup duo / Pascal Bouaziz
Joseph Ponthus / Michel Cloup duo / Pascal Bouaziz

C’est quoi, pour toi, la ligne ?
Joseph : La ligne, c’est la chaîne qui ne s’arrêtera jamais comme dans la scène des Temps modernesCharlot se fait happer par la machine sur sa ligne de production.
 La ligne, plutôt les lignes, ce sont celles sur lesquelles j’écris à la main au stylo-plume – névrose perso.
 La ligne, c’est une ligne de basse, celle des Pixies, celle de Kim Deal, celle du début de Gigantic. Toutes les lignes de basse de Kim Deal de toute façon.
 La ligne, c’est l’allégorie suprême du Temps.
Michel : La ligne, c’est un espace vide qu’il faut remplir, remplir, mais pas avec n’importe quoi.

Écrire, est-ce que c’est mécanique ?
Michel : Disons plutôt qu’il y a un mécanisme. D’abord vivre, écouter, observer, essayer de comprendre et surtout ressentir. Et puis un jour, il y a une phrase qui arrive, puis deux, et c’est parti.
Joseph : Jamais mécanique ni automatique pour ma part, c’est juste une nécessité tout autant qu’un plaisir, une joie.

L’usine a-t-elle une musique ? Et si oui, laquelle ?
Joseph : Aucune musique, l’usine, c’est du bruit, le bruit. Le bruit mat, noir froid, le bruit que Bruit Noir (avec Pascal Bouaziz qui participe à l’adaptation d’À la ligne) a parfaitement retranscrit dans cette merveilleuse chanson.

Michel : Si l’usine a une musique, c’est une musique froide, industrielle, désincarnée mais rythmée et martiale. Et dessus se posent des voix humaines, peu importe ce qu’elles chantent. Elles chantent.

Une vie d’ouvrier, pour pouvoir en parler, comment ça s’écrit ? Comment ça se chante ?
Michel : Il faut la vivre. Et si tu ne la vis pas, il faut être le plus juste possible, c’est-à-dire ne pas la chanter si tu en es trop loin.
Joseph : Je n’ai jamais pu en parler, j’ai juste su l’écrire, c’est là toute la différence entre le langage (donc son aporie) et la littérature. Ça se chante juste en manif en revendiquant encore un peu de fierté ouvrière à coup de Chiffon rouge de Michel Fugain ou d’Internationale, dans le meilleur des cas.

Ca s’est passé comment, le travail d’équipe, sur l’adaptation de ce texte ?
Joseph : Quand Michel Cloup m’a appelé pour me dire qu’il voulait adapter le livre en concert, étant admiratif de son travail depuis plus de 20 ans, je lui ai laissé bien entendu une liberté totale dans l’adaptation. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois et il a été la hauteur de l’homme et du projet : classe, intelligence, finesse, humanité, tendresse, humour et révolte.
Michel : Au départ, il y avait Miossec avant Pascal. Ça s’est très bien passé. Nous étions d’accord sur tout, à ce niveau-là. Puis Pascal est arrivé et je savais que nous serions d’accord aussi. On a travaillé comme à l’abattoir : on a tranché au cœur et à vif.

Michel, tu as écrit cette chanson il y a quelques années, La classe ouvrière s’est enfuie. As-tu retrouvé dans le texte de Joseph ce que tu disais déjà à ce moment-là ?
Michel : Non. Chez Joseph, la classe ouvrière, elle est là, on n’est pas dans une chanson d’anticipation. Cependant j’ai retrouvé chez lui beaucoup de choses que j’aurais aimé dire si je les avais vraiment vécues. C’est pourquoi ce livre m’a mis une grosse beigne.

« L’autre jour à la pause j’entends une ouvrière dire à un de ses collègues / Tu te rends compte aujourd’hui c’est tellement speed que j’ai même pas le temps de chanter. » Tu dis à ce sujet : « Je crois que c’est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière. » La joie peut-elle encore exister à l’usine ?

Joseph : « La joie est le passage d’une perfection moins grande à une perfection plus grande » selon notre bon Baruch Spinoza dans sa définition des affects dans L’Éthique.
 Il faut savoir trouver la joie, ou tout du moins, une certaine forme de joie, à l’usine, sinon on ne tient pas. Personne.

À la ligne, Feuillets d’usine, de Joseph Ponthus, éditions La Table Ronde / Gallimard Folio
À la Ligne, Feuillets d’usine par Joseph Ponthus, Michel Cloup duo et  Pascal Bouaziz ce vendredi 18 septembre à La Maison de la Poésie à Paris.
Lien vers le projet sur le site de Michel Cloup.

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