« Agite la tête tel un télécran,
secoue, secoue,
le sable pisse par tes oreilles,
secoue, secoue et efface tout »
On sait gré à Michel Cloup de ne jamais avoir menti sur la marchandise. Patient soutier des musiques d’ici, entre énervement et introspection, révolution intérieure et constat général alarmant, sa ligne de conduite ne souffre d’aucune pose. Pour ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux, on a devant nous un gars normal, qui ne cache ni ses défauts ni sa passion. Il est même affûté quand il s’agit de définir les grands axes de son métier, entre quotidien routier (quand il faut se farcir des milliers de kilomètres en camion), déménagement constant (quand il faut porter les amplis) et flashs scéniques, intenses, qui laissent des traces. Mais aucune plainte à l’horizon, juste un constat lucide sur l’état d’un musicien « underground », « indé », tous ces mots balancés en rafale tous les jours et qui ne veulent plus dire grand-chose, tant ils ont eu un sens un jour. Le Toulousain, désormais quinquagénaire, n’a jamais versé dans le glamour, les paillettes ou la romantisation de sa carrière. De ses débuts adolescents de fan de noise dans Lucievacarme jusqu’aux déflagrations adultes de la période Expérience–BAM en passant par le miston visionnaire qu’il était dans Diabologum, il a toujours gardé son énervement, sa diction à fleur de peau, même s’il a un peu posé les gants de boxe au début des années 2010 pour prendre de la distance et se replier – se ressourcer – dans une certaine intimité avec le Michel Cloup Duo, tout en gardant le fil de l’intensité et de l’éveil continu. Derrière son sourire énigmatique, se cache quand même l’un des esprits les plus vigilants et les plus tenaces sortis des années 90. Peut-être qu’il ne peut pas faire autrement aussi, sans doute qu’il ne sait faire autre chose, peut-être que c’est son boulot, et aussi une mission, ou l’inverse.
En abordant cette nouvelle étape de sa discographie, Michel Cloup avait le choix entre plusieurs options. Essayer de retrouver la flamme de Diabologum eut été un contresens, l’époque a changé, lui aussi. D’ailleurs, il a bien joué le jeu de la relecture du passé ce printemps pour nos commémorations fantasmatiques autour des Années Lithium, sans pathos, mais avec amusement lors des concerts avec ses vieux camarades, à Colmar et Metz. Retourner au dénuement folk de Peter Parker, un projet sur lequel il revient si peu, eût été aussi très étrange mais pas déplacé. Il a bien précisé que Backflip avait été enregistré en solitaire (peut-être la première fois depuis Peter Parker Expérience justement), mais foin de guitares folk ou autres 4 pistes lo-fi, pour cette fois. On peut toujours rêver dans notre coin. Non, si le disque a été conçu seul, il reste le véhicule d’un nouveau trio : avec Julien Rufié, son second complice du MCDuo et avec Manon Labry à la guitare, il est prêt à rendre en concert l’intensité de ce troisième bon en avant dans son histoire (pour résumer pour ceux qui dorment au fond : 1. Lithium et post-Lithium 2. Michel Cloup Duo). On ne va pas lui faire injure en disant qu’il retrouve dans cette suite de chansons vénères une certaine énergie (il ne l’avait jamais trop perdue, à dire vrai, et ce disque se place dans une certaine continuité, notamment dans celle de Danser sur les ruines de 2019), mais ce mélange d’électronique et de rock sauvage, on aurait dit électro rock si le terme n’était pas entaché de tant de balourdises, détonne et embrasse peut-être par son aspect plus électr(on)ique que jamais un air du temps qui pourrait le porter plus haut que d’habitude (dans sa réception publique par exemple, les retours critiques semblent très bons).
« Je me suis entraîné à la résurrection »
On peut y déceler un éloge de l’acharnement aussi, car au fond, le style de Michel Cloup n’a pas changé : ses textes, entre collage et poésie politique à la première personne, se sont juste un peu épurés, jouent avec l’effet slogan sans nous faire la leçon. Et de se retrouver entre énergie rentre-dedans – surtout dans cette voix et son traitement, moins contrainte que dernièrement malgré les effets, plus volontariste, moins résignée – et spontanéité rock, osons le mot, quelque chose déjà expérimenté dans Expérience, mais avec cette clarté nouvelle – moins d’échantillons, mois de barouf, encore que : de l’introduction En attendant demain à la conclusion du disque, Michel Cloup déroule sa colère en plusieurs nuances, dans Brûle brûle brûle, il se glisse dans un discours contemporain brutal sur la fin d’un monde occidental, dans Lâcher prise, il se confie sur son quotidien dans un effet de proximité très puissant (on imagine les impros possibles dans le texte, les soirs de concert), un éloge de la renaissance dans Résurrection qui dialogue à travers les âges avec le « Tu pourras compter sur moi » de PPE… Alors, peut-être qu’on n’avait pas besoin de l’instant Stabylo avec la reprise bien casse-gueule de L’Internationale, parce que, bon, il semble qu’on avait bien compris le message, mais cette énergie va bien avec ce truc premier degré, Michel Cloup est rarement dans le clin d’œil complice. Et un peu d’Histoire ne fait jamais de mal, pas vrai ?