Michael Hiscock / The Gentle Spring : « J’ai appris le pouvoir de la chanson en vivant en France »

The Lilac Time / Photo : Philippe Dufour
The Lilac Time / Photo : Philippe Dufour

On ne peut pas donner tort à cent pour cent à Malraux lorsqu’il affirmait que “à force de déterrer le passé, on finit par enterrer le présent”. Mais ce serait négliger la beauté de l’intemporel au sens large. A sans cesse vouloir innover, se démarquer, on prend le risque d’oublier le principal, la cohérence et la qualité. Qui n’a pas été déçu par la réécoute d’albums adorés il y dix ans qui sonnent affreusement datés ? On sait dès la première écoute que Looking Back At The World, le premier album du trio The Gentle Spring ne tombera pas dans cet écueil. Avec une guitare, une basse et un synthé, les mélodies et les textes de l’ex Field Mice Michael Hiscock et d’Emilie Guillaumot vont à l’essentiel. La combinaison d’une musique minimaliste où les moments de silence sont parfois aussi importants qu’un subtil changement d’accord et de textes/mini scènes de vie dans lesquels tout le monde se reconnaîtra, font de Looking Back At The World un disque qui va nous accompagner pendant un long moment. Trente-quatre ans après le dernier album des Field Mice, groupe initialement formé en duo avec Bobby Wratten, Michael Hiscock nous prouve qu’il sait encore s’entourer de gens talentueux pour produire une musique qui n’a rien à envier au passé.

Comment est né le projet The Gentle Spring ?
Michael : J’ai toujours évolué dans le monde de la musique. Il y a trois ou quatre ans, je me suis aperçu que je consacrais beaucoup de temps aux projets des autres. Le déclencheur a été la préparation d’une tournée pour The Apartments. Pendant plusieurs mois, tout mon temps libre a été consacré à apprendre leurs morceaux. Je me suis dit qu’il était temps que je prenne du temps pour moi. C’est maintenant ou jamais, car j’ai encore un âge où je peux être crédible sur scène. Avec The Gentle Spring, l’idée était de sortir un 45 tours vinyle en one shot. C’est un format que j’adore. Je voulais juste publier deux titres et les accompagner d’une jolie pochette. Tout s’est concrétisé avec des proches. Emilie, qui a composé des titres de l’album, chante et joue du piano, Emmanuel Foricher nous a proposé de le publier sur son label Too Good To Be True, et Paddywagon a réalisé la pochette. L’expérience a été agréable du début à la fin, c’est tellement plus facile de travailler avec des amis.

Malgré cette envie d’un “one shot”, vous sortez aujourd’hui votre premier album. Pourquoi avoir changé d’avis ?
Michael : C’est Rob Pursey et Amelia Fletcher du label Skep Wax qui nous ont demandé si nous avions envie d’enregistrer un album. Ils avaient apprécié le single. On leur a dit oui quasi immédiatement, mais on s’est rendu compte que l’on n’avait pas beaucoup de chansons (rire).
Emilie : Cette proposition nous a stimulé car on ne savait pas si une telle opportunité pouvait se représenter.
Michael : Skep Wax a réservé le studio ce qui nous a laissé trois mois pour prendre tous ces fragments de chansons dont nous disposions et en faire des morceaux pour un album.

La série de concerts où tu jouais des chansons des Field Mice a-t-elle également été un élément déclencheur ? C’était en quelque sorte l’ébauche d’un projet solo.
Michael : Oui et Emilie était déjà présente. C’est la première fois que je la voyais jouer du piano et de la guitare.
Emilie : Michael hésitait à rejouer cette série de concerts car il fallait retrouver tous les accords que Bobby Wratten jouait. On s’y est mis ensemble, ça a facilité les choses et ça a certainement créé un lien musical. C’est à partir de ce moment, en 2016, que nous avons commencé à enregistrer des idées de lignes de basse, d’accords et de voix sur nos téléphones. Aucun titre n’était arrangé ou finalisé. C’était juste une activité du dimanche après-midi.
Michael : On s’échangeait des idées, mais nous n’avions aucune volonté de monter un groupe à cette époque.

Se lancer dans un tel projet, enregistrement, tournée, promo alors que l’on travaille à plein temps en parallèle demande un réel investissement personnel. Y avez-vous réfléchi ?
Emilie : A aucun moment, nous avons foncé tête baissée. Consacrer mes vacances à la musique est un plaisir plus qu’autre chose.
Michael : Nous sommes conscients que l’on a beaucoup de chance. Il aurait été stupide et arrogant de passer à côté de cette opportunité. Nous savons que c’est grâce à mon passé au sein des Field Mice que nous avons pu sortir ce disque. Rob et Amelia qui gèrent le label Skep Wax étaient signés sur Sarah Records avec leur groupe Heavenly. Nous sommes restés amis depuis cette époque. Il y a de toute évidence une carte Sarah à jouer, et elle a eu une bonne portée jusqu’à ce jour. The Gentle Spring figure d’ailleurs sur la compilation Under The Bridge II qui compile les projets actuels des anciens du label.
Emilie : Nous ne sommes pas dupes, nous savons que c’est grâce à Michael que les portes s’ouvrent.

Si la continuité est évidente au niveau de la musique entre le single et l’album, elle l’est aussi au niveau de l’artwork qui est un cyanotype. Vous semblez y attacher une grande importance.
Michael : Oui, j’ai toujours été un fan des pochettes réalisées par Peter Saville. Ce qu’il a créé pour Joy Division et New Order est magnifique. Idem pour Vaughan Oliver chez 4AD. On allait chez un disquaire et, sans connaître le groupe, on savait que c’était un disque de 4AD grâce à sa pochette. Nous voulons à la fois créer une identité et raconter une histoire avec nos pochettes. Il était donc important qu’elles soient réalisées par la même personne.

The Gentle Spring / Photo : Philippe Dufour
The Gentle Spring / Photo : Philippe Dufour

Pourquoi avoir choisi Ian Catt, producteur historique des Field Mice, en tant que producteur ?
Michael : Pour moi, ce n’était pas un choix. Nous avions des critères qui nous limitaient, qu’ils soient budgétaires ou techniques. Nous voulions travailler avec quelqu’un qui comprenait notre univers, notre vision, mais aussi avec qui on se sentait à l’aise. L’expérience m’a appris qu’avoir un producteur avec un CV brillant ne te garantit pas un bon résultat si l’ambiance n’est pas bonne en studio. Pour en revenir au travail avec des amis, j’ai la chance de pouvoir dire que Ian en est également un. Je le connais depuis 1988. Quand j’arrive chez lui, j’enfile mes pantoufles, il prépare un thé, sort des biscuits du placard et on parle de nos vies. Par contre, quand on commence à travailler nous faisons la part des choses. On a gagné beaucoup de temps avec lui car il sait où nous voulons en venir.
Emilie : Ian connaît le solfège et la grammaire musicale parfaitement, il joue de plusieurs instruments. J’avais peur d’être jugée, mais au contraire, il m’a mise à l’aise tout de suite. C’est quelqu’un de calme et patient.
Michael : Ian s’est toujours montré constructif, il propose des solutions ou des pistes au lieu de s’imposer. Ça nous a bien aidé quand nous étions bloqués, mais toujours de façon positive. Et il est parfait pour nous forcer à respecter les délais.

Comment déterminez-vous qui va chanter une chanson ?
Emilie : La règle initiale était que celui qui compose la chanson, écrit les paroles et la chante. Michael étant beaucoup plus productif que moi, on ne retrouve que deux de mes titres sur l’album. Mais il y en a un troisième que Michael a écrit de mon point de vue, et il m’a demandé si je voulais la chanter.

Les paroles donnent effectivement l’impression d’être personnelles tout en étant universelles. Les travaillez-vous beaucoup ?
Michael : Jeune, j’écoutais des chansons avec de vrais paroliers. Burt Bacharach et Hal David, Sinatra. Chaque chanson raconte une histoire. Écrire les textes est la partie la plus difficile en ce qui me concerne car je ne veux pas parler de banalités. Il faut qu’un texte mérite d’être chanté et partagé. Je ne veux pas me retrouver, comme certains groupes avec des musiciens de ma génération, à chanter sur une fille qui attend son bus (rire). Je voulais que ce soit représentatif de la vie d’un homme de cinquante-huit ans qui a eu des enfants, qui a divorcé et qui doit faire face à son âge. Même si certains aspects de moi n’ont pas changé. Quand je vais rendre visite à Bobby à Londres, nous prenons toujours le même bus que dans les années 80 pour aller acheter des disques. Si des gens nous reconnaissaient ils pourraient se dire que nous n’avons pas évolué dans la vie (rire). C’est d’ailleurs de ça que parle Untouched, une chanson qui raconte une histoire autour d’une conversation initiale d’une minute avec quelqu’un que je n’avais pas revu depuis l’école.

Pourquoi avoir demandé à Jérémie Orsel (Dorian Pimprenel, School Daze) de rejoindre votre duo initial ?
Michael : J’ai vu Jérémie pour la première fois juste après mon arrivée à Paris en 2011. Il jouait dans un festival organisé dans un parc. Je me suis demandé qui était ce mec car il jouait avec presque tous les groupes à l’affiche. Mais toujours en restant discret, en arrière-plan. Au moment de donner le premier concert de The Gentle Spring, on s’est dit avec Emilie qu’il nous faudrait un guitariste sur scène. Jérémie est le premier nom qui m’est venu à l’esprit. On se connaissait à peine, mais je lui ai tout de même proposé. Sa première réaction a été de me demander ce que j’attendais de lui. Je lui ai dit que cette question était problématique car je ne savais pas ce que je voulais exactement et donc que j’attendais qu’il me fasse des propositions pour colorier les chansons. Il n’a pas hésité à suggérer des idées en studio. Il est tellement créatif qu’à un moment il faut lui dire stop. Si tu lui demandes une idée, il va-t’en sortir vingt (rire). C’est génial, car avoir tellement de choix est précieux. Jérémie a pleinement sa place dans le groupe, nous sommes officiellement devenus un trio.



Je trouve que l’ambiance de l’album est plutôt mélancolique. La ressentez-vous également ainsi ?

Emilie : C’est un album de ballades. Une de mes deux compositions est plus enjouée mais reste nostalgique puisqu’elle parle du mal du pays. Cette mélancolie ressort certainement parce que nous avons commencé en tant que duo acoustique, et surtout que nous n’avons toujours pas de batteur. Je suis naturellement mélancolique, rêveuse et nostalgique et ça ressort forcément d’une façon ou d’une autre. Je pense que c’est aussi un peu le cas de Michael.
Michael : Je fais la distinction entre la musique et les paroles. Je trouve les paroles réalistes. Dans Sugartown par exemple, le verre n’est ni à moitié plein ni à moitié vide, c’est juste un verre. The Girl Who Ran Away se termine de façon positive et romantique. A cinquante-huit ans, ça me mettrait mal à l’aise d’écrire un titre qui ressemble à ce que j’aurais pu composer à vingt ans. J’adore les chansons, les livres et les films qui me portent et me laissent bouche bée à la fin. Je trouve que ça devient rare. Il y a une citation de Henry de Montherlant que j’adore et qui résume bien ce que je pense : “Le bonheur écrit à l’encre blanche sur des pages blanches”. Concernant la musique, j’adore le minimalisme, la délicatesse, les notes qui durent, le silence. Un minimalisme bien arrangé et poignant plus que mélancolique. Pour en revenir à Sinatra, mon étalon à ce niveau serait mon disque préféré de lui, In The Wee Small Hours. A côté de ça, Joy Division c’est de la musique pour faire la fête. Le titre le plus réussi de l’album, et donc mon titre préféré, est une composition d’Emile, Severed Hearts. Le texte est magnifique, je n’aurai pas pu faire mieux alors qu’Emilie est française. Et l’ambiance est délicate et mélancolique. C’est tout ce que j’aime dans la musique. C’est pour ça que Nick Drake et The Go Betweens ont été des influences pour l’album.

Les influences ont-elles été uniquement musicales ?
Michael : En quelque sorte. J’ai lu un livre qui s’appelle Electric Eden. Il a été écrit par Rob Young, qui lui aussi était signé chez Sarah Records avec The Poppyheads. Il y décrit l’histoire de la musique folk au Royaume-Uni du 18ème siècle jusqu’à Talk Talk. Ce livre est si bon qu’il m’a donné envie de creuser le sujet. Ce qui m’a épaté c’est la sincérité de ces musiciens qui n’étaient pas du tout intéressés par la mode. Ils voulaient juste perpétuer la tradition de la méthode la plus simple possible, en se déplaçant pour jouer partout et le plus possible. C’est ce que l’on a voulu reproduire avec The Gentle Spring. Pouvoir faire de la musique simple avec des instruments que l’on peut trouver partout.

The Gentle Spring / Photo : Philippe Dufour
The Gentle Spring / Photo : Philippe Dufour

Et ça a fonctionné car l’album sonne intemporel. Il aurait pu sortir il y a dix ans ou dans dix ans.
Michael : Cela veut dire que nous avons réussi notre pari. Mais c’est aussi lié au type de musique. Le son de Buddy Holly est marqué année cinquante. Alors que si tu écoutes Nick Drake, tu ne peux pas mettre une date sur son œuvre, ce sera toujours moderne. C’est flagrant sur notre album sur un titre comme I Can’t Have You as a Friend. Faute d’être un bon guitariste, j’ai plaqué deux doigts à un endroit spécifique sur le manche de la guitare et deux doigts à un autre, et j’ai réussi à créer un son à la limite du drone. La guitare a fait le travail.
Emilie : Le projet que nous avions n’était pas de révolutionner la musique. Notre recette était toute simple, donc intemporelle.
Michael : J’ai appris le pouvoir de la chanson en vivant en France. Les textes ont beaucoup plus d’importance en France qu’au Royaume-Uni. Les paroliers écrivent des textes forts qui sont ensuite enveloppés par la musique. Au Royaume-Uni c’est l’inverse. Je ne serai pas étonné que notre album marche mieux en France qu’en Angleterre. Je ne suis pas contre l’idée d’intégrer des paroles en Français dans le futur.

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Looking Back At The World de The Gentle Spring est disponible chez Skep Wax/Too Good To Be True

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