Matt Low – La Ruée vers l’or

Matt Low
Matt Low / Photo : Louise Courtial

S’il y a trois ou cinq personnes dont je suis proche dans la musique, Matt en fait partie.
Avant de le rencontrer, j’enregistrais des bizarreries sur un huit-pistes et je faisais des relevés de toutes les parties de toutes les chansons que j’aimais. Après échange de riffs de Think Tank contre riffs de Neil Young autour d’une bouteille de vodka sifflée à deux, on a filé dans la nuit de 2003 pour conquérir le monde les années suivantes, approximativement.
Je suis très heureux que son album La Ruée vers l’or voit le jour, parce que cet album est lui et qu’il est un ovni dans le paysage pop actuel : précisément inactuel, et sans pudeur face à la dimension médiatique ou commerciale de la chose. Et donc un comité éthique restreint m’a confirmé dans l’intuition selon laquelle une chronique que je ne voulais pas faire était de toute façon impossible – j’ai écrit un texte et un arrangement qui ont fini sur ce disque –, mais qu’une interview ne serait pas malvenue, considérant la prolixité du bonhomme – équivalente à ma graphomanie – et l’excellence de sa musique.
Fin du disclaimer.

Pour l’ami lecteur, je vais préciser qu’on se connaît…

… c’est vrai…

… depuis maintenant près de 18 ans. On a joué beaucoup ensemble dans Kissinmas et Delano Orchestra, et, après avoir enregistré ton premier EP solo, tu es venu me chercher pour jouer la basse dans tes concerts. On a continué le temps d’un autre EP et d’autres bricoles, je t’ai écrit quelques textes après ceux que Jean-Louis (Murat) t’a donnés et en attendant que tu écrives les tiens, on a aussi partagé des moments dans Garciaphone sur la tournée de son deuxième album. Cette interview peut donc être perçue comme du copinage, mais pas plus que d’autres.

Oh tu sais, on voit bien comment ça se passe, on y sait.

Et puis j’ai une bonne raison de la faire, c’est que tu sors un disque que j’apprécie énormément. Quelles sont les nouvelles ?

Mon disque est sorti, enfin, donc je suis content. Content qu’il soit sorti, content qu’il soit écoutable, content d’avoir des retours des gens qui souvent sont bons, sont agréables, enfin j’entends des choses vraiment cool qui font plaisir et qui font du bien. Mon ego a besoin d’être abreuvé en compliments, surtout en ce moment (rires). Même si je suis déjà passé à autre chose puisque j’ai de nouvelles chansons, ça permet de vraiment le faire, parce que c’est tout de même de l’organisation la sortie d’un disque. J’ai eu un petit coup de main logistique de Microcultures, mais c’est tout de même Louise (Courtial, sa compagne et longtemps l’autrice des vidéos accompagnant les chansons de Matt) et moi qui avons tout fait, donc ça a pris beaucoup de temps, beaucoup de choses à faire. Donc là ça va retomber un petit peu, ça va me permettre de me concentrer sur l’écriture et sur les répétitions avec mon nouveau groupe.

En lisant et en écoutant la presse qui te découvre avec cet album, on peut avoir l’impression d’une naissance. Ne s’agit-il pas de la fin d’un premier cycle beaucoup plus discret ?

Ce sont les deux. C’est la vie, les choses s’enchaînent naturellement. Tout se chevauche, tout se tuile un peu. Je travaille sur de nouvelles chansons depuis des mois, ça s’enchaîne bien. Les nouveaux textes sont ce qu’ils sont, ils sont un peu différents, on va voir où ça me mène cette affaire-là, mais pour l’instant ils ont un côté un peu plus direct, plus simples, plus abordables.

Un peu plus pop peut-être ?

Je ne sais plus ce que ça veut dire « pop », je ne sais plus si c’est une notion pour moi ou pas. Quand je dis « c’est plus pop », je sous-entends que ça va être un peu plus enlevé rythmiquement, un peu plus joyeux, c’est tout, je mets pas vraiment une esthétique derrière. Donc oui, il y a quelques morceaux qui sont un peu plus enlevés, il va y avoir beaucoup de chœurs.

Plus dans le sens de Vert Pomme alors ?

Oui, Vert Pomme est le seul morceau un peu binaire, qui donne une impression de rapidité même s’il n’est pas vraiment rapide. J’ai pas accordé plus de soin à ce morceau-là qu’aux autres, mais il a été fait de manière un peu différente. La batterie du morceau c’était la batterie d’un autre morceau que je n’ai pas conservé. J’ai fait un montage avec un petit bout, pour avoir une boîte à rythmes avec un son de batterie naturel, et je suis parti de ça, j’ai fait tout le reste dessus, avec le texte de Jean-Louis qui est finalement le texte le plus ancien du disque. C’est celui où j’ai le plus bricolé. Olivier (Perez, leader de Garciaphone) a écrit trois petits textes qui se chevauchent dans le passage en espagnol, il y en a à gauche, il y en a à droite, c’est flou mais ça marche bien.

Sur le reste du disque, c’est un travail de groupe ?

Quasiment. Déjà c’est un travail de trio. Les morceaux ont été répétés guitare-basse-batterie avec le chant en direct, sans micro. À la sortie des répétitions de l’album on aurait pu faire un concert, donc il y a une base de groupe. Sur cette base-là, il y a beaucoup de bricolage, un mélange de tout ce que j’ai bricolé moi et de tout ce que les gens que j’ai convié à jouer sur le disque ont amené. Il y a un truc de collectif dans tout ça. Même si le travail de groupe a eu lieu uniquement avec Yann et Jamie au sens du trio qui a répété et enregistré les rythmiques, il y a aussi un côté groupe sur le disque au sens du collectif.

Vous avez enregistré les rythmiques puis mixé le disque à Black Box, un fameux studio près d’Angers.

La première que j’ai enregistré là-bas c’était en 2012, pour le quatrième album de Delano, et depuis j’y suis retourné quasiment tous les ans avec Garciaphone, Kissinmas, puis pour mes deux premiers EP. On avait découvert l’endroit auparavant. On s’était pointé à Nantes avec Garciaphone et Delano pour faire un concert, mais personne ne s’était dit qu’il faudrait un endroit pour dormir. Peter (Deimel) et Sylvie (Pichard), qui étaient venus écouter Garciaphone, nous avait proposé de venir dormir au studio et, dès ce moment-là, on a tous été sous le charme. Je me rappelle m’être dit : « Sûr, on va revenir là. » L’endroit est incroyable, magnifique, c’est en pleine campagne, c’est paumé avec un genre de paysage que j’adore, du bocage, ça a un relief très doux avec des collines, ça me rappelle l’Allier, les coins où j’ai grandi, et les bâtiments sont magnifiques. Et ce sont devenus des amis, donc aller là-bas c’est aller chez des amis qui en plus travaillent extrêmement bien. Peter a fait un son magnifique comme d’habitude, il a fait un mix magnifique, il a masterisé le disque aussi, un beau master, très doux.

Studio Black Box, Angers.
Studio Black Box, Angers.

Je suis très impressionné par le son.

On est quand même là pour faire un disque qui sonne bien, et évidemment que les côtés amicaux et le lieu comptent pour faire un beau disque, mais je connais plein de gens excessivement sympas, qui vivent dans de très beaux endroits, mais qui ne sauraient rien faire sonner. Peter a vraiment trouvé un super son de batterie, Yann (Clavaizolles, H-Burns, Pain-Noir, etc.) a déjà un super son de batterie quand il joue, Jamie (Pope, la moitié des bons groupes de Clermont-Ferrand) est un grand bassiste, il faut une bonne équipe pour que ça sonne bien. Et Peter a investi dans une vieille Martin que j’ai utilisé pour les prises de guitare folk de La Ruée vers l’or ou Lucide Naïveté, et ça sonne aussi. Et puis entre les prises, je peux faire des paniers, je peux jouer au basket.

Quel est ton disque préféré enregistré par Peter ?

J’adore l’album Black Black de Chokebore (1998) par exemple, mais je l’ai pas écouté depuis longtemps. C’est très agressif dans le son, c’est vraiment autre chose. Peter vient du rock indé américain, entre noise et rythmiques assez bourrines, mais il aime bien la pop aussi et Chokebore correspondait bien à ses goûts. J’adore comme ça sonne, même si c’est très différent de ce qu’on a fait, on est vraiment allé dans la douceur. Il y a un morceau d’Anna Calvi aussi sur son premier album, avec une intro sur les toms, Blackout, j’ai l’impression d’entendre la pièce du Black Box.

Maintenant que ton disque est sorti, tu fais quoi ?

J’écris des chansons. On a bien travaillé avec le groupe, j’ai une quinzaine de nouvelles chansons, on en a monté plus de la moitié, on va essayer de les enregistrer, d’entrer dans les maquettes, parce que j’ai envie d’entrer dans les maquettes. Je continue à écrire parce que j’ai beaucoup de musiques d’avance. Je voudrais arriver à 20-25 chansons pour pouvoir faire le tri, après je verrai ce que j’en fais, elles ne seront sûrement pas toutes inoubliables.

Tu fais tout le temps les musiques d’abord ?

Oui. J’ai toutes les musiques, guitare plus mélodie, je les enregistre une fois que ça ressemble à une chanson, je me les mets de côté puis je me les réécoute et je me dis « celle-là, j’ai envie de m’y mettre » et voilà, je fais les textes. J’envisage d’essayer d’autres choses, parce que j’ai fait tellement de chansons, les rares fois où j’ai essayé de faire les choses de façon différente ça a amené des choses intéressantes, comme Vert Pomme ou le riff de Dans ma poche, que j’avais trouvé au piano. Peut-être qu’écrire un texte et prendre la guitare après, ça va venir.

La notion de chanson est un truc important pour toi, avec début, milieu, fin, même si on peut faire durer l’une ou l’autre partie. Tu as le souvenir d’une chanson qui t’ait plu, qui t’ait parlé d’abord et essentiellement par le texte ?

Non. Aucune. Je crois pas, vraiment pas. Dans toutes les choses anglophones, qui représentent une large partie de ce que je préfère, c’est sûr que non, parce que je n’ai jamais pu vraiment comprendre les paroles dès la première écoute, donc non. Et pour les musiques en français, par le texte directement non. Ça pourrait arriver dans le sens où la chanson serait vraiment un ensemble, où texte et musique seraient indissociables et qu’une chanson serait une musique et un texte, dans ce sens-là oui, peut-être. Si la musique ne me plaît pas vite j’ai rarement la patience d’écouter jusqu’au bout, et le texte ne va jamais réussir à sauver le truc. Ça m’est arrivé de lire des textes, comme Claude Nougaro par exemple, sans la musique j’étais bien accroché, quand j’ai écouté avec la musique ça m’a un peu plus dérangé. Je suis quand même attiré par la musique, vraiment je suis musicien bas du front un peu (rires), la musique la musique.

Il y a des chansons que je mets du temps à aimer, et dont c’est le texte qui finit par me casser un genou, mais ça m’arrive surtout dans des genres musicaux comme la country, où la musique est très codifiée, où 99% du temps on ne va pas s’agenouiller devant la mélodie, qui est simplement OK, mais où c’est la forme chanson et le texte qui vont faire qu’on bascule d’un truc sympa à un truc qui reste.

Alors si les textes ont pu me faire aimer une chanson, c’est dans le rap. Il faut que les instrus soient pas trop mauvaises, mais généralement elles ne sont jamais trop mauvaises, il y a un beat et voilà. L’autre fois j’écoutais ça, J’pète les plombs, qui chante ça ? Louise, qui est-ce qui chante J’pète les plombs ? (Louise depuis son bureau où elle travaille patiemment : Disiz la Peste !) Ah oui, Disiz la Peste ! Eh ben le texte m’a accroché, à un moment il se fout de la gueule de gamins qui seraient fans de Cypress Hill, il refait le truc, « chuis qu’un fou dans ma tête, c’est un fou dans sa tête », voilà, je me suis marré, enfin bon bref.

Matt Low
Matt Low, pas du tout dans l’Allier.

Tu as mentionné l’Allier, dont on pourrait parler pour changer des chanteurs auvergnats, de leurs lacs et de leurs puys. Tu as parfois une nostalgie de l’Allier ? Qu’est-ce qu’il y avait de bien là-bas ?

Bien sûr qu’il y a une nostalgie de l’Allier. C’est là que j’ai grandi. C’était bien. Je me sens bien quand j’y vais, c’est rare mais quand j’y arrive je me sens chez moi, plus qu’à Clermont, je me sens plus proche. Ce sont les paysages, l’air, les souvenirs, les sensations. L’altitude est différente, il y a d’autres couleurs. Je pense souvent à l’Allier. Dans les coins où j’ai grandi, il y a une sorte de douceur dans les paysages que j’aime bien. Il y a des reliefs, un petit peu, mais des reliefs doux.

Ça fait trois fois que tu mentionnes le terme « douceur », pour évoquer trois choses différentes.

C’est quelque chose que je note souvent sur des choses ou chez les gens, la douceur. C’est quelque chose que j’aime bien, parmi plein d’autres choses, chez les gens, que j’aime bien chez une femme même si je ne vais pas dire « il faut que les femmes elles soient douces », non. Les gens me le disent aussi pour ma voix, pour ma musique, et je sais que quand je chante j’essaie de mettre de la douceur, je le fais d’abord inconsciemment, mais aussi consciemment.

Ça peut aussi expliquer que tu aies travaillé avec Andrew (Sudhibhasilp), l’un des musiciens les plus doux que je connaisse.

Il a un jeu de guitare qui correspond à cette attitude et à ce tempérament. J’imagine qu’il peut jouer énormément de choses différentes, mais il est capable de jouer avec beaucoup de douceur. Je ne l’ai rencontré qu’une fois mais je n’aurais pas pu me passer de lui, je voulais qu’il joue sur au moins un morceau du disque. Il a enregistré sur pas mal de titres des « Une chanson par semaine » (série de morceaux mis en ligne de façon hebdomadaire durant la moitié de l’année 2017, en attendant que le label précédent de Matt donne des nouvelles, NDR qui a un peu participé à ça). Il a des idées que je n’aurais pas, alors je lui envoie les morceaux et je lui dis « Fais ce que tu veux » et je suis tranquille, ça va toujours être bien, à l’écoute de la chanson, dans les bons intervalles, tu sens qu’il ne réfléchit pas trop, il joue aussi beaucoup avec le corps.

Tu es un musicien autodidacte. Ça t’arrive de le regretter parfois ?

Non, pas du tout. Je suis toujours content d’apprendre des trucs théorique par-ci par-là, je ne suis pas du tout à dire : « Oh non, si j’avais appris le solfège ça aurait cassé ma créativité. » Je ne le regrette pas parce que c’est comme ça, j’ai appris la guitare comme ça, j’ai appris la musique comme ça, j’ai tout appris comme ça, tout seul, même si tu n’es jamais vraiment tout seul, il y a toujours un moment où un pote va te montrer un riff ou comment faire un accord barré. Mais la partie travail, c’est solitaire. Une fois qu’on t’as montré le riff des Red Hot Chili Peppers, il va te falloir le jouer cinq heures par jour pour arriver à pas grand-chose d’ailleurs (rires). J’ose, je joue. Depuis le temps, je vois bien les avantages et les inconvénients.

Et par rapport à Pias ?

Pareil, je ne regrette pas. Sur le moment, quand tu te fais lourder par un label, tu as toujours un peu les nerfs, c’est normal. Ton ego en prend un coup, « ils ont de la merde dans les oreilles ces abrutis, ils y connaissent rien », voilà, et après tu réécoutes tes EP, tu te dis « bon, je savais pas trop chanter ». Et puis j’ai appris plein de trucs, ça m’a permis de me mettre dans le jus, de faire des interviews, des machins qui font partie de l’ensemble, donc une fois passé le picotement à l’ego, ça va. Ça m’a permis de me responsabiliser un peu plus (rires), de prendre les choses en main.

Et si un label comparable revenait te voir ?

Je sais pas. Je suis partagé. C’est ma question du moment, le yoyo entre redémarcher et aller plus loin dans l’indépendance. Il y a des questions financières. Pour enregistrer un album avec plein de musiciens qui sont bons, aller à Black Box, il faut avoir de la caillasse. Avec le Covid, pour l’instant les histoires d’intermittence ça va, mais dans un an et demi, deux ans, quelle sera la situation financière ? C’est incertain. Alors c’est sûr, on peut enregistrer de la musique pour pas cher, mais je le sens pas trop comme ça, j’ai envie d’aller plus loin dans un travail de studio. Donc j’hésite. De toute façon les choses se décideront d’elles-mêmes.

On a été spectateurs ensemble, à l’époque de Delano Orchestra, d’un label indépendant (Kütu Folk Records, basé à Clermont-Ferrand, qui a publié des disques de soso, Hospital Ships, Evening Hymns, et d’artistes locaux dont le Delano Orchestra). Ça ne t’intéresserait pas, ce genre de structure ?

On est en train de monter une association avec des anciens du groupe pour organiser des concerts à trois dans la nature ou dans des chapelles, autour de Clermont, et possiblement des disques, en creusant le même sillon que Kütu, peu de CD pressés mais qui seraient des objets un peu beaux. J’aime bien le côté potes aussi, mais je ne suis pas fixé sur comment faire. Il y a pas mal d’ébullition malgré le Covid parce qu’il y a pas mal de gens comme moi qui ont du temps, avec l’intermittence renouvelée on est pas obligés d’aller bosser à Carrefour. Je suis surtout concentré sur mes chansons.

Tu envisages de faire tourner les chansons et le groupe en concert ou pas ?

Ben ouais, mais on est face à un problème (rires). On a beaucoup répété, le groupe est super, c’est riche, je peux même lâcher la guitare parfois. Mais on ne sait pas quand ça va rouvrir. Il y a bien quelques trucs qui commencent à se caler mais chez les moyens-gros et les cafés-concert ça va être chaud rien qu’avec tous les reports de date, les petits endroits c’est pareil, avec ceux qui vont fermer, ceux qui ne s’en relèveront pas, ceux qui me disent « on va rouvrir mais on ne va pas reprendre les concerts » parce que c’est trop dur, « on sait pas comment il va falloir faire, mettre les gens assis ou pas donc on ne va pas se faire chier ». J’aimerais organiser plus de choses dans les maisons, les appartements, les jardins. C’était déjà le cas mais c’est encore plus le cas pour des groupes comme nous, s’il n’y a pas de particuliers qui se disent « on va accueillir un groupe, on va accueillir ça », on ne joue pas, ou très peu. Et on ne jouera pas, ou très peu. Chez les gens, ça donne souvent de supers soirées.

Dans Quand la lumière tombe, tu chantes : « J’ai porté ce soir un bel entonnoir sur ma tête / J’ai bien vu qu’ils étaient troublés / J’ai changé / Quand j’ai vu la tombe je me suis senti renaître. » Ça semble évoquer des moments qu’on a pu partager, d’autres qui nous sont propres, et le fameux paradoxe de la libération par le deuil, quand les circonstances tragiques font qu’on laisse tomber gros de sa persona, dans un à-quoi-bon qui allège finalement. Mais à quel point l’entonnoir était-il lourd pour toi ?

C’est rigolo, je vois plutôt l’entonnoir comme la libération, comme le « bon ben ça va ». Je me le mets sur la tête, je suis comme ça, j’assume, je vais arrêter de faire semblant de ce que je ne suis pas, j’ai la possibilité de mettre cet entonnoir si je veux. L’entonnoir est souvent associé à la folie, je pense aux bandes dessinées de Léonard (rires), et généralement tu te marres bien. Donc tu as interprété le truc comme ça, mais ce qui est lourd c’est tout l’ego, tout ce qui est sous l’entonnoir, dans la boîte. Mais ça me parle ce que tu dis, parce que ça te fait penser à quelqu’un, ça pourrait faire penser à quelqu’un d’autre. Pour la promo du disque, l’attaché de presse m’a demandé d’écrire deux ou trois phrases sur chaque titre, « mais j’dis quoi dans c’truc-là – tu dis de quoi ça parle, pour les journalistes ». Ça me faisait vraiment chier de faire ça. Mais bon, ça pourrait être une chanson adressée à quelqu’un de disparu, ou une chanson d’amour basique, ou adressée à un ami, ça pourrait partir dans plein de directions. C’est une chanson d’amour au sens large, voilà.

Je t’ai entendu dire que l’amour et l’amitié c’est la même chose. Toutes tes chansons parlent d’amour, mais elles ne parlent pas uniquement de gens dont tu es amoureux au sens commun.

Oui. Je n’arrive pas à trouver une différence de nature. Ça ne se manifeste pas de la même manière parce que généralement, quand on parle d’amour, ça sous-entend une relation physique un peu plus poussée, même si pas forcément. Je ne vois pas de différence de nature au sens où c’est un sentiment fort qui t’amène haut, qui t’amène bas aussi.

C’est un truc que tu nous avais dit au début de ton projet solo, et que tu as su transmettre : l’important, c’est de faire ressentir des trucs aux gens. Mais pourquoi est-ce important de faire ressentir des trucs aux gens ?

C’est marrant, il n’y a pas longtemps, on m’a demandé pourquoi je chantais mes chansons. Et comme souvent quand on me pose ce genre de questions, j’étais là, « ben je sais pas, c’est pour faire ressentir une émotion, pour faire ressentir quelque chose ». On sort des trucs des fois… En faisant de la musique, je me dis que quelque part, je peux faire ressentir à d’autres gens ce que moi j’ai ressenti en en écoutant. Tout seul ou entre amis, dans des concerts, au casque partout, toute la musique que j’ai écouté toute ma vie, celle que j’ai aimé écouter sans prendre garde, que j’ai aimé tout petit, sans en avoir conscience, ces sensations, ces émotions, tout ce truc, quand tu es pris et que tu trippes : je fais de la musique pour que les gens ressentent ça. Après, ce qu’ils en pensent, comment ils interprètent les morceaux, ça m’intéresse, y compris d’en parler parce que c’est toujours éclairant, mais ce n’est pas le plus important. Je fais ça pour que ça leur parle et qu’ils décrochent, qu’ils soient dedans. J’ai envie de les amener dedans. Complètement. Qu’ils arrêtent de penser. Parce que moi, la musique est un des seuls trucs qui me permette d’arrêter de penser. Et encore, souvent, même en faisant de la musique je pense, en studio, même sur scène, et c’est un problème. Mais parfois, avec de la chance, voilà… Et si je permets à des gens qui écoutent ma musique d’arrêter de penser, même deux minutes, ce sera ça. Parce qu’ils auront tout le temps d’y retourner après de toute façon ! Souvent l’émotion forte vient comme une pensée, aussi naturellement, et il s’agit de l’accueillir les bras ouverts. C’est quand on s’accroche que le cogitage commence. On essaie de la ranimer artificiellement, mais on n’est pas obligé.

On parle souvent te concernant de folk, de Neil Young, de Sparklehorse. Mais on s’est rencontrés dans un groupe qui reprenait, entre deux compos, les Buzzcocks et Pulp. Ça compte toujours la britpop ?

Oh, tu sais, moi j’ai toujours été fan de Blur. Et je suis toujours ultrafan de Blur. J’écoute toujours tous les albums, à fond, à part le premier. Les Buzzcocks, Pulp, je ne dirais pas que ça me procure une émotion en ce moment, pas vraiment, les boîtes de nuit sont fermées et on ne fait plus de soirées avec les copains et ça reste associé à une musique de fête, de boîte de nuit, d’alcool, de meufs, de drogues, tout ça, je me vois danser, donc en ce moment c’est un peu moins d’actualité, disons. Donc Blur, et Supergrass quand même. J’ai écouté ça. Je suis imprégné de ça. (S’ensuivent des digressions au cours desquelles se succèderont dans l’ordre les noms de Blue Öyster Cult, Black Sabbath, Nirvana, Feu ! Chatterton, Manu Chao, Big Thief, Camelia Jordana, Bertrand Belin, Buck Meek, Kate Fletcher, Lhasa.) Et donc toujours Bob Marley, bien fort.

Matt Low, La Ruée vers l’or (Microcultures)

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