Martin Circus, à bien des égards, a été frappé de la malédiction du rock français. Si son parcours, des années 60 jusqu’au début des années 80, est singulier, la formation s’est heurtée aux aléas de la perception de la musique électrique en France. Le malentendu ne date pas d’hier, puisque dès les années 50, Henri Salvador, Boris Vian et Michel Legrand (sous les noms d’Henry Cording, Vernon Sinclair et Mig Bike) se moquent de ce nouveau son, n’y voyant qu’une mode passagère. Quinze ans plus tard, Martin Circus aura bien à faire pour s’imposer comme une formation pop sérieuse. C’est finalement un hit mi-ironique mi-pataphysique qui les propulse dans les hautes sphères (Je m’éclate au Sénégal, 1971). Ajoutez y des participations à la mythique série des Bidasses (avec les Charlots, ex-Problèmes et Triangle !) et vous avez les parfaits ingrédients d’un groupe incompris. Après Pierre Vassiliu ou Henri Salvador, Born Bad tente aujourd’hui de réparer une nouvelle injustice, en proposant la compilation Evolution Française, couvrant 16 ans de production du mythique groupe. Guido Minisky (moitié d’Acid Arab) a ainsi sélectionné dix morceaux dans le riche catalogue de Martin Circus.
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Le travail n’était pas si aisé, car le groupe a connu de nombreux changement de line-up et de styles musicaux. Bien avisé celui qui serait capable de relier spontanément Tout Tremblant de Fièvre (1969, qui ouvre la face A) et Disco Circus (1978, placée en première de l’autre coté). La première convoque la pop orchestrée des Moody Blues tandis que l’autre se fraie un chemin jusqu’au prestigieux catalogue du label disco Salsoul. Il faut dire que la musique pop a connu bien des soubresauts, ces années là. À la pop psychédélique, succéda le rock progressif, la disco, la new wave et d’autres encore. Martin Circus absorbe toutes ces musiques et les fait siennes. Certains y verront des trahisons, mais d’autres sauront reconnaître la personnalité unique du groupe et la qualité des propositions. Car si le groupe a effectué certaines concessions (au niveau des textes), afin de se maintenir à flot, il n’a jamais renoncé à ses exigences et sa musicalité. Il y a bien ici un filigrane rouge entre le début et la fin des années 70. Guido a certainement su trouver ce lien, car la compilation fonctionne en deux temps et offre un cheminement vraiment réussi.
Dans un premier temps, nous découvrons le Martin Circus Rock. Façon de Parler (1971, extrait d’Acte II) est une odyssée de plus de 6 minutes, avec un niveau instrumental remarquable. La suite est tout aussi convaincante, l’extrait (À Bas les Privilèges) de l’opéra rock La Révolution Française (1973) voit évoluer le groupe dans un registre nerveux. Le groupe s’autorise aussi un morceau très planant avec le superbe Les Indiens du Dernier Matin. Sur une rythmique régulière comme un train, la formation développe un morceau aussi ambitieux qu’intrigant avec ses chœurs, son mellotron et ses quelques notes de synthétiseurs. La face B nous plonge dans le Martin Disco, celui de ses deux albums dans le genre et son irruption dans la new wave.
En plus de l’excellente Disco Circus (édité par François K, excusez du peu !), on découvre ainsi Bains Douches (1980). Martin Circus devient le temps d’un album un disciple de Devo, Plastic Bertrand ou Comix. La fin du voyage est consacré à deux singles tardifs du groupe, hors LP, mais tout aussi excellents. J’t’ai vu dans le Canoé (1983) est un hybride entre italo-disco et french boogie, un morceau très attachant et toujours aussi bien composé. Cette Evolution Française n’est pas qu’un simple slogan. Ce titre et cette compilation condensent certainement un parcours semé d’embûches d’un groupe doué mais en proie à un système qui ne les a pas toujours compris. Il n’est pas trop tard pour redécouvrir Martin Circus et cette sélection en est une superbe introduction.