« J’aimerais faire l’amour
dans un appartement vide »
Si je devais créer un sous-ensemble récent des musiques pop synthétiques et hantées, j’y rassemblerais quelques beaux disques parus ces mois-ci : celui d’À trois sur la plage par exemple, ou celui de Rémi Parson. J’y ajouterais ce disque de Marie Delta qui vient de sortir en vinyle après avoir été mis sous les projecteurs par les agents secrets de la Souterraine en avril de l’année dernière. Ils ont tous en commun une simplicité apparente, un flou qui dissimule de fortes personnalités et des paroles qui ne respirent pas forcément la joie de vivre. Une sorte de nouvelle petite vague froide qui se serait débarrassée de ses oripeaux et surtout de ses figures folkloriques encombrantes.
Marie Delta présente une musique envoûtante, toute en tension maîtrisée, de la petite cavalcade anglophone The Sun Goes Wild agitée par des chœurs fantômes à des images grises et floues de cinéma d’Europe Centrale des années 70 qui rejoueraient sans cesse Alice au pays des merveilles du béton, on pense à du Stereolab plongé dans un bain de penthotal (Fleurir). On pense aussi évidemment au concept d’hauntology véhiculé par le label anglais Ghost Box ou leurs amis de Broadcast, cité par Marie Delta : c’est à dire, ce ressenti étrange d’un futur musical traversé par des fantôme du passé (des années 60, 70 ou 80). On pourrait parler aussi d’un état de nostalgie pour une musique qui n’a jamais existé finalement, autrement que dans nos rêves les plus fous.
La voix de Mariette Auvrey, seule aux commandes, balance sans cesse entre le parlé-chanté et des décrochements de comptines empoisonnées. À des propos bien ancrés dans une réalité malheureuse (la peur de se promener seule par exemple sur Route de nuit, l’obsession du ménage dans le digressif Nettoyeuse électrique) répondent souvent des fredonnements plus abstraits. Qu’on ne s’y trompe pas, Route de nuit ne ressemble pas à un conte de fées désuet et poussiéreux, le disque est agité de tremblements électroniques hypnotiques mixés habilement par Olivier Demeaux du groupe Heimat, déjà aux commandes du fabuleux Victoire Chose. Et dans cette petite cathédrale de rêves et de réverbération, Marie Delta ne manque jamais un moment pour décocher de sacrées pointes d’hameçons instrumentales, jamais placées au hasard, une petite secousse de synthé par ici (incroyables touches à 1 min. 24 secondes et à 2 min. 59 des Heures), un petit motif de guitares par là ( à 4 min. 05 sur The Sun Goes Wild) qui suffisent à plonger ces épisodes de mini transes (avec de belles basses) en fête pour le cerveau. Et faire de ce court voyage nocturne et inaugural un passage vers la lumière.