Magon, World Peace (autoproduit)

MagonCe qu’il y a de délicieux avec la musique, avec l’art en général, c’est que tout se passe comme si, grâce à eux, on pouvait à nouveau tomber amoureux un nombre indéfini de fois sans pour autant que ces attachements soient incompatibles entre eux, comme si on pouvait en quelque sorte vivre à l’infini l’impossible expérience d’un polyamour heureux. Parfois, alors qu’on se complaisait allègrement dans nos habitudes esthétiques, qu’on se contentait avec paresse d’écouter et de réécouter nos disques fétiches, on tombe par hasard sur un un artiste inconnu aux charmes duquel on se laisse prendre sans s’y attendre. On écoute une chanson – il s’agissait pour moi, avec Magon, de l’hypnotique Right Here (Did you Hear the Kids ?), 2023 – et commence alors le premier moment de la fameuse cristallisation décrite par Stendhal.

On cherche à en savoir plus, on écoute une, puis deux chansons, un album entier, puis un autre et on finit par comprendre qu’on n’a pas affaire à un artiste anecdotique qui n’aurait composé qu’un ou deux morceaux intéressants, mais que nous sommes en face d’une valeur sûre. Depuis 2019 et la sortie de son premier disque Out in the Dark, Magon – le groupe d’Alon Magen, Israëlien d’origine irakienne, qui a transité en France et vit désormais avec sa famille au Costa Rica -, a publié à un rythme effréné la bagatelle de deux albums par an, tout en conservant le même degré d’exigence dans l’écriture et les arrangements.

Avec son nouvel album World Peace (quel beau titre en ses temps belliqueux !), l’ancien soldat qui a dû servir au sein de Tsahal dans le cadre du service militaire obligatoire et est parvenu à quitter prématurément l’institution en se faisant passer pour fou, signe un disque beau comme la nuit, de ceux qui semblent tombés du ciel tel un rayon de la grâce.

L’album débute avec World Peace, morceau aérien aux accents résolument psychédéliques, avec des sonorités rappelant le Rock and Roll du Velvet Undergound mais avec un refrain plus pop et un chant comparable à celui de The Moles sur Nailing Jesus to the Cross, sublimé par un solo de flûte fort bien senti. Magon semble nous inviter ici à un voyage cosmique et nous installe tranquillement dans son univers. Vient ensuite For the Sake of a Girl, brillante adaptation en anglais de L’espace d’une fille de Jacques Dutronc, qui conserve intacte le charme de la chanson originale tout en réussissant une véritable appropriation. Stone Reclusion Blues, premier single présenté avant la sortie de l’album – titre que nous avions déjà évoqué dans les pages de Section 26 dans la présentation du récent Selectorama de Magon – fait quant à lui songer à du Ride ou du Happy Mondays, mais avec William Reid des Jesus and Mary Chain au chant et s’impose comme un des meilleurs moments du disque. D’ailleurs, en parlant du groupe des frère Reid, Dance in a Room, la chanson plus folk qui suit, fait diablement songer à l’atmosphère de Stoned and Dethroned des enfants terribles d’East Kilbride. Immédiatement après, Magon impressionne par son excellente reprise de Swinging Party des Replacements, qui sonne comme du Goon Sax mélangé à du Cleaners From Venus, magnifiant tout simplement la version originale. S’ensuit Falling in Love, une très belle cousine de Dance in a Room, jouée à la guitare espagnole, morceau dépouillé à la mélodie qui parle immédiatement à l’âme et fait instantanément mouche. Comme si cela ne suffisait pas, le disque se poursuit avec Tonight I’m Blind, un morceau véritablement magique, dont la musique aurait pu être signée par Dean Wareham, titre habité par un souffle divin, avec ses grelots comparables à des flocons de neige se déposant doucement sur notre âme et l’apaisant comme un baume salvateur. Juste après cet instant de bonheur musical, s’ajoute la remarquable Circles qui renoue avec les influences Pixies période Bossanova présente dans les disques précédents et appelle les réécoutes, rien que pour la partie lead de guitare d’une rare élégance. On sourit à l’apparition du solo de sax à demi-ironique qui ne donne l’impression que Magon a résolument résolu de faire tout ce qu’il lui passe par la tête, sans restrictions.

Cet album maîtrisé de bout en bout, à la production lumineuse et délicate, se termine par I Know It’s True, un magnifique morceau acoustique qu’on aurait pu trouver sur les meilleures disques des Go-Betweens, avec en point d’orgue un solo d’harmonica digne du Dylan des meilleurs jours. Après de nombreuses écoutes successives sans la moindre lassitude, ce disque m’a fait songer à cet aphorisme du moraliste Joseph Joubert : « Ce qui étonne, étonne une fois, mais ce qui est admirable est de plus en plus admiré. »


World Peace par Magon est disponible sur son bandcamp

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