Dans les années soixante et soixante-dix, le rock touche quasi universellement le monde. Du Pérou, en passant par l’Iran, le Japon, les républiques soviétiques, le Cambodge ou l’Afrique : les guitares électriques résonnent et les cœurs vibrent au son de la pop musique. Le Maghreb n’est pas à l’écart de l’onde de choc : quelques groupes s’essayent au rock en Afrique du Nord. Par exemple, les mythiques Golden Hands au Maroc et, en Algérie, ceux qui nous intéressent aujourd’hui : les Abranis. L’histoire du groupe est fortement liée à l’hexagone. L’Algérie a pris son indépendance en 1962 de la France, cependant de nombreux Algériens continuent de venir étudier ou s’installer de l’autre coté de la Méditerranée. C’est particulièrement vrai pour la communauté kabyle. Les berbères des montagnes ont une culture propre, une langue des traditions. L’identité amazigh apparaît alors, pour le pouvoir algérien place, comme une menace, forçant de nombreux Kabyles à l’exil. Les Abranis se forment ainsi en France et auront à cœur, de défendre cette identité kabyle, en chantant dans leur langue, tout au long de leur carrière. Celle-ci démarre, doucement, dans les années soixante. Karim Abdenour (Sid Mohand Tahar) et Shamy El Baz (Abdelkader Chemini) se rencontrent en France au milieu de la décennie. Très tôt ils rêvent de créer leur propre groupe et mêler la musique d’Hendrix à leurs racines.
Les Abranis prennent finalement forme au début des années 70. Après un premier single en 1973, le groupe publie 4 albums entre 1977 et 1983. La compilation Amazigh Freedom Rock 1973-1983 des Disques Bongo Joe (L’Eclair, Altin Gün, Mauskovic Dance Band, Cyril Cyril etc.) offre un éclairage bienvenu sur la riche discographie des Abranis. Les deux morceaux du premier 45 tours ouvrent les deux faces de la compilation. Athedjaladde et Ayetheri A L’Afjare, bien que rudimentaires dans l’enregistrement, présentent un groupe déjà juste dans son propos. Chenar Le Blues, seul extrait de leur album de 1977, fraye entre un rock psychédélique funky et les racines kabyles du duo. La partie de guitare y est particulièrement sublime et intense. Imeté Tayrri (1978) est également représentée par un unique morceau mais pas des moindres. El Guoum confirme que les Abranis savent faire parler l’électricité. Avec Therzza Rathwenza et Thilelli le groupe kabyle entre magistralement dans les années 80 et se découvrent des accointances avec les rythmiques disco et les synthétiseurs. Thilelli nous plonge dans un rêve instrumental épique et psychédélique à travers un pattern de boîte à rythmes frénétique. Enfin, le dernier album, Album N1 (1983), se taille la part du lion avec quatre contributions. Epaulés par des musiciens français tels que Roland Bocquet et André Ceccarelli, Karim Abdenour et Shamy El Baz signent quelques uns de leurs morceaux les plus ambitieux. Parmi ceux-là, le groove bancal d’Akoudar nous transporte dans d’étranges contrées. Amazigh Freedom Rock 1973-1983 est, dès lors, autant un important témoignage historique, politique que musical. Au delà d’un contexte très spécifique, la musique des Abranis brille par sa passion, sa singularité et son authenticité. Elle est, elle aussi, à sa manière, universelle dans ses sentiments.