Polanie, Polanie (1968, Polskie Nagrania Muza)

L’émergence du rock à travers le monde est un sujet passionnant et complexe. Nous évoquions le cas de l’Amérique du Sud dans notre texte sur Los Shain’s et Los Yetis, la situation dans le Bloc de l’Est est peut être encore plus particulière. L’excellent groupe Polanie de Łódź (troisième plus grande ville de Pologne) en offre d’ailleurs un excellent aperçu. Les autorités officielles socialistes ont toujours eu un rapport pour le moins compliqué avec les musiques occidentales et particulièrement américaines. Le jazz a fini par être accepté de par ses origines noires et prolétaires ; le rock bénéficia aussi, dans une certaine mesure, de cette brèche offerte par la Déstalinisation. Si le terme rock’n’roll fut banni, les Polonais, Tchécoslovaques et Hongrois purent en faire sous la bannière de bigbitLes pays d’Europe de l’Est offraient alors une marge de manœuvre et des libertés impensables en URSS.

Polanie
Polanie

Cela se traduisit dans la culture à travers des scènes musicales jeunes et vivantes. Les ados polonais pouvaient découvrir la musique américaine et européenne grâce aux ondes de longue portée de Radio Luxembourg. En Pologne, les pionniers du bigbit se nomment Czerwone-Gitary (les Guitares Rouges), Niebiesko-Czarni (Bleu-Noirs) et les Czerwono-Czarni (Rouges et Noirs). Apparu en 1965, Polanie font, quant à eux, le lien avec des groupes de la fin de la décennie tels qu’ABC ou Breakout. Ils se forment autour de Piotr Pulawski (chant, guitare), des frères Bernolak (Wieslaw à l’orgue et Zbigniew à la basse), de Wlodzimiers Wander (saxophone) et Andrzej Nebeski (batterie). L’actrice suédoise Bibi Andersson leur suggère leur nom, inspiré d’une tribu slave. Le groupe se spécialise dans le british beat et rhythm and blues, après une première partie pour The Animals. Après trois quarante-cinq tours, ils ont la possibilité d’enregistrer un premier LP en 1967. Paru un an plus tard, Polanie est leur unique réalisation. Un événement, tant il n’était pas évident pour les groupes de rock de sortir des disques. Les labels polonais (Pronit et Polskie Nagriana Muza) étaient, en effet, contrôlés par l’état. De ce fait, la radio offre souvent de plus nombreux témoignages des groupes que leurs propres discographies respectives !

Polanie construit l’album en deux parties. Dans un premier temps, ils offrent sept compositions originales, puis cinq reprises sur la face B. Ces covers sont honorables mais présentent un intérêt limité. Elles soulignent néanmoins les influences du groupe : The Capitols, The Lovin’ Spoonful, Ray Charles, les Kinks et bien sûr les Animals. Propulsés par une batterie franche et énergique, les titres originaux surprennent par leur qualité générale. Le groupe a acquis en quelques années un véritable savoir-faire qu’ils déploient fièrement dans leurs propres chansons. Bien enregistrées, elles débordent d’enthousiasme. Le polonais, loin d’être rédhibitoire, apporte une dimension supplémentaire à cette musique plutôt classique dans la forme. Le saxophone et l’orgue sont d’autres singularités du groupe. Ils enflamment la musique de Polanie. Parmi les grandes réussites citons, les nerveuses Długo Się Znamy et Nie Zawrócę ou encore la ballade bluesy Ciebie Wybrałem. Le groupe se sépare en avril 1968 mais Polanie demeure un des plus beaux témoignages des débuts du rock polonais. Dans un contexte difficile, le groupe a su imposer une musique d’inspiration occidentale, sans ignorer ses propres particularités et ainsi en offrir une interprétation toute personnelle.


L’unique album de Polanie est sorti en 1968 sur Polskie Nagrania Muza.

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