« Séléné, tu es si renversante que je suis à jamais renversée d’avoir aperçu la peau de ton ventre »
C’est marrant, parfois il y a collision. Je lisais l’entretien d’Arnaud Viviant pour le webzine Benzine : l’ancien journaliste de Libération y propose le top de ses albums préférés. S’y trouve une chanteuse qui m’était inconnue : Alexandra Roos. Je découvre hébété, c’est tout l’intérêt inépuisable de ces tops en pagaille dont je raffole, cette chanson d’alt rock – comme on dirait dans les rédactions de magazines rock – et sa poésie lyrique et crue : Prends-moi, à prendre justement au sens littéral du terme. S’en dégage une atmosphère exempt d’humour ou de second degré. Cette façon d’écrire et de l’incarner (« mange la chair brûlante de mon désir ») à savoir par un chant engagé et sans détour m’a toujours tenu à distance, mais le temps ayant fait son œuvre, et la vie étant composée de cycle, de remise en question, de thèses et d’antithèses, j’y suis moins foncièrement opposé, maintenant. Il est clair que je me sens mieux avec des mots à tiroirs que je peux interpréter à ma guise en les sifflotant, mélodiques, plutôt que placé au pied du mur, sans aucun espoir d’échapper au malheur et au mal-être de l’autre. Mais pourquoi pas, au fond ? La vie n’est pas forcément une chanson jolie, ça peut être un sacré merdier, même, un lit de pétales de rose et de ronces assassines en version romantique. Alors voilà, je sens venir à moi quelques chansons, interprétées par des femmes qu’on pourrait placer dans cette lignée, dure, emphatique parfois, et dont l’honnêteté ne semble pas faire de doute : j’ai pensé à Mathilde Fernandez et son vécu techno goth ou à cette jeune femme, Léa Jacta Est dont Adrien Durand venait de me faire parvenir quelques lignes sur son œuvre, après avoir publié une interview de l’intéressée par Alice Butterlin dans son webzine Le Gospel.
Pain béni pour ceux qui aiment aimer les petits objets/tirages artisanaux (cassettes, 45t, CDR, flexis, lathe cut, fanzines…), c’est sous une forme originale que Léa propose d’acquérir sa musique : sous la forme d’un livret de partition, bel objet édité avec soin en risographie (cette technique d’impression japonaise subtile et écologique) avec tablature, paroles, illustrations, note légère d’intention et poster. On se souvient que Beck avait tenté l’expérience, à une autre échelle, avec son album Song Reader, édité chez McSweeney’s sous forme d’un recueil de chants au début des années 10. J’imagine que comme Beck, la jeune chanteuse attend en réponse à cette œuvre ouverte d’autres interprétations en retour, aux bons soins des acquéreurs. Évidemment, elle n’oublie pas d’en donner elle-même sa version, plutôt trois (disponibles via un code inclus dans le livret) d’une même matrice. Généreuse, elle explore elle-même les facettes de Films pour adultes, chanson hantée, entre variété grave et littérature mise en forme par un rock précieux à arpèges, comme une Hope Sandoval coincée dans l’Oise ou perdue dans un Laurel Canyon planté au cœur du XVIIIe arrondissement. Ce genre de glissement. Y est évoqué le désir, la douleur, la violence, l’amour… C’est dérangeant, sans fard, désarçonnant et pas si facile à situer sur l’échiquier de nos variétés alternatives.