J’observe un hêtre sculpté par le vent, le vert de ses feuilles semble voler dans l’air, presque se gommer. Le parfum iodé pénètre les coloris, les embaume de fadeur. Il y a pourtant, toujours, un éclat quelque part dans le paysage et cela, comme dans le tableau de William Strang qui nous montre une Vita Sackville-West coiffée d’un chapeau orange vif détonnant avec un vert de pénombre pour décor. Sackville-West a écrit un livre délicieux – Journal de mon jardin – pour les rêveurs comme moi qui n’ont pas la main verte et possèdent un jardin. Mais une autre bible m’est tombée dessus comme un sort charmant, oui, Marco Martella a eu l’ingénieuse initiative de publier Fleurs. Ces promenades végétales, douces et littéraires, elles sont huit. Huit à nous mener dans des chemins de traverse où les rêveries d’Emily Dickinson viennent inquiéter l’étude de la flore. Il y a, aussi, la belle empreinte d’un Enrique Vila-Matas et les paysages qui n’existent pas de Fernando Pessoa. Et je repense à ce merveilleux jardin, bien réel lui, que tu avais, Jean-Michel, du côté de Rezé. Un bordel d’esthète, luxuriant et criblé d’ilots splendides où l’on pouvait méditer durablement. Si tes photos tremblaient toujours en noir et blanc, ton jardin était un aveu de couleurs. Tes conseils vont me manquer, ta belle prosodie d’instituteur mélancolique aussi. Très loin, à Perth précisément, me vient la légèreté d’un réconfort. Si je ne me lancerai pas dans une analyse lacanienne de ce Perth/perte, je m’en tiendrai aux guitares ligne claire de Gap Year. L’Australie a une manière unique d’interpréter la pop. Rien qu’une petite musique pour des territoires immenses… cela offre un charme inédit. Gap Year possède deux songwriters comme tous les grands groupes. Daniel Harrison est le plus doué des deux. Sa voix grave – façon Magnetic Fields – nous embarque dans de grandes aventures sentimentales. Les mélodies, elles, ne nous ont pas à l’usure – elles sont simplement évidentes. Voilà comment on rêve la pop, en Australie. Jane Campion a sans doutes lu la correspondance entre Virginia Woolf et Vita Sackville-West. Elle a pu, ainsi, admirer cet art de la nuance, de la menace feutrée et cette sensualité si belle. In The Cut est la construction sidérante d’une névrose, d’une part intime brûlante. Jane Campion s’essaie au polar mais elle révèle surtout la psyché d’une femme, ses tourments, avec un montage nerveux, oscillant entre le flou et la pureté. C’est aussi un hommage à Virginia Woolf et à Vers le phare. On y voit la vision obsédante d’un point précis puis ce repère puissant qui menace de disparaitre à jamais. En somme, la terreur de l’abandon.
Le Phare – Marco Martella, Gap Year, Jane Campion
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine