Le club du samedi soir # 46 : (born to) Moose

Moose
Moose / Photo : Philippe Levy

Oui, vous avez (peut-être) raison : “C’est encore la même histoire…” La même histoire ? Celle du groupe qui aurait dû, aurait pu et puis non. Celle de rois sans couronne, ni royaume. Celle où forcément il est question d’injustice, de malchance, d’erreurs, de ne pas être au bon endroit tout à fait au bon moment ; celle où l’on frémit en imaginant qu’un film de Frank Capra aurait eu une fin un peu triste et sans morale – parce que nous sommes sur ce point à peu près tous d’accord je crois : il n’y a pas grand chose de pire que d’imaginer un film de Frank Capra qui aurait eu une fin un peu triste et sans morale…

Mais en fait, cette histoire, c’est surtout celle où il est question de couplets qui filent le vertige, de refrains qui filent des frissons, d’arrangements qui filent le sourire, de chansons qui rendent la vie un peu plus belle, de discussions passionnées jusqu’au bout de certaines nuits. C’est celle de disques dont on est persuadé qu’ils ont été avant tout enregistrés pour nous – oui, nous seuls –, et donc, celle de disques qu’on prête, enregistre, écoute et réécoute jusqu’à les user jusqu’à la corde.

Cette histoire, ça a été celle de Moose, un groupe né à Londres alors que les années 1990 balbutiaient à peine. Un groupe mené par deux jeunes hommes un peu plus âgés que leurs pairs d’alors, Kevin J McKillop (dont le surnom a baptisé la formation) et Russell Yates, deux auteurs et compositeurs avec de nobles ambitions et une culture au diapason : écrire des chansons qui ne seraient pas des hits – non, dans cette histoire-là, on n’aspire pas à cela –, mais sur lesquelles le temps n’auraient aucune emprise. Des chansons qui des années et des années plus tard revêtiraient les plus beaux des atours, deviendraient des « classiques » pour celles et ceux qui les découvriraient – et qui dès lors se donneraient comme seule mission celle de les partager. 

Bien sûr, certains ne le savent pas ou ne veulent pas le savoir, mais sans Moose, une partie des années 1990 n’auraient pas eu exactement la même saveur. Car du haut de leurs presque 30 ans, ces deux garçons-là y sont pour beaucoup dans l’exhumation de disques que trop de gens avaient oublié – au hasard, Forever Changes de Love, l’unique album de (American) Spring, Dusty In Memphis de Dusty Springfield  (avant Tarantino, comme de bien entendu), l’intégrale de Bobbie Gentry –, dans le retour en grâce d’Elvis – la vidéo de This River Will Never Run Dry avec la figure tutélaire du King, bien avant que cela ne traverse l’esprit de Richard Fearless et quelques autres –, dans la réhabilitation de la country – jusque-là souvent considérée comme ringarde. Alors, pêle-mêle, ils ont injecté la mélancolie bleue des années 1980 dans un classicisme sixties, ils ont présenté la new-wave à Fred Neil, ils ont fait sonner leurs guitares comme des marées d’équinoxe, ils ont pensé chacun de leurs arrangements comme si c’était le moment précis où le rayon vert était sur le point d’apparaitre sur le reflet orangé d’une mer d’huile. Avec eux, et ce ne pouvait pas être un hasard, jouaient pas mal de gens très bien, certains qu’on avait déjà adorés par le passé, de Richard Thomas – oui, bien sûr, croisé avec Felt et Jesus And Mary Chain entre autres – à Mick Conroy – le bassiste de Modern English —, sans oublier le regretté Steven Young de Colourbox –, et d’autres qui s’avéreront bien vite être de très chics types  : la fratrie Fong, Russell (guitare, cool absolu) et Lincoln (basse) – garde rapprochée des Cocteau Twins –, Mig(uel) Moreland (batterie, échappé de Moonshake), le théoricien Michael Killbane – improvisé une fois tour manager et ce fut une épopée – ou encore, le temps de quelques concerts,  feu Chris Acland – qu’on n’a toujours pas fini de pleurer… 

Moose, c’était un peu ça : une bande d’éternels adolescents qui tiraient des plans sur la comète – et nous avec. Des francophiles qui avaient baptisé leur éphémère label Cool Badge en référence à Gainsbourg (“Un paquet de Kool un badge”), piqué des slogans à mai 68 pour imprimer leurs tee-shirts (“La beauté est dans la rue”, “Moose sont tous indésirables” avec la tête de Dany le rouge sur fond bleu nuit) et intitulé une de leur chanson I Wanted To See You To See If I Wanted You, d’après une réplique de Belmondo à Seberg dans À Bout De Souffle – ou Breathless, dans le cas présent. Des gars qui allaient remettre au gout du jour le costume des années 1960 – pantalon cigarette et veste trois boutons (alors que Nick Cave et ses Bad Seeds, eux, se rêvaient au temps de la Prohibition) –, pour avoir justement l’air de jeunes gens échappés d’un film de la Nouvelle Vague ou peut-être d’une manif devant la Sorbonne, après avoir lancé quelques pavés au débotté, mais toujours prêts à faire Les 400 Coups

Moose, c’est une histoire qui a duré dix ans, quatre albums – dont un presque posthume – et une poignée de singles. C’est une histoire où il a été question d’amitié, d’engueulades, de ruptures, de rabibochages, d’amour,  de concerts un peu foirés – et d’autres touchés par la grâce. C’est une histoire qui s’est terminée par des points de suspension – parce qu’on le sait hein, un jour ou l’autre, il y aura réhabilitation. C’est une histoire résumée ici en 26 titres, qui mélangent les chansons composées par McKillop et Yates et les versions originales des morceaux que le groupe a repris  – sur disque, sur scène. Alors oui, vous aviez raison je crois : c’est bien toujours la même histoire. Mais c’est une belle histoire. 

TRACKLIST

01. Boobie Gentry, Courtyard
02. Moose, Jack
03. Moose, Around The Warm Bend
04. Moose, I Dream (Je Rêve)
05. Moose, Lily La Tigresse
06. Love, Alone Again Or
(intermède 1)
07. Moose, I Wanted To See You To See If I Wanted You
08. Moose, Little Bird (Are You Happy In Your Cage?)
09. Moose, This River Will Never Run Dry
10. Moose, First Balloon To Nice
11. Colourbox, The Moon Is Blue
12. Moose, The Only Man In Town 
13. Moose, There’s A Place
14. Moose, Mondo Cane  
15. Moose, Play God
16. Moose, Uptown Invisible
17. Wire, Kidney Bingos
18. Moose, Joe Courtesy
(intermède 2)
19. Moose, Suzanne
20. Moose, So Much Love, So Little Time
21. Moose, Can’t Get Enough Of You
22. Elvis, Early Morning Rain
23. Moose, Keeping Up With You
24. Moose, Don’t Bring Me Down
25. Harry Nilsson, Everybody’s Talking
26. Moose, Dress You The Same

Une réflexion sur « Le club du samedi soir # 46 : (born to) Moose »

  1. Ils ont réédité le premier album il y a quelques années déjà ,il est vital pour moi qui réédite en vinyle les autres albums ,basterra tu sais si c’est prévu dans un avenir proche ?

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