La roue de la fortune – Cory Hanson, Rainer Maria Rilke, Pier Paolo Pasolini

Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

Pasolini
Pier Paolo Pasolini

J’ai longtemps été fasciné par un tableau de Sir Edward Burne-Jones, La roue de la fortune (1883). Ce gris menaçant, ce cuivre étalé presque comme un regret et le pli de la robe, robe portée par un dessin sublime… Tout m’inquiète et me ravit dans cette œuvre. C’est figé à l’extrême et pourtant, un lourd mouvement se fait sentir. Lorsque le musée d’Orsay ouvrira de nouveau ses portes, j’irai le voir. J’irai trembler puis me perdre dans cette peinture. Ce sera peut-être le Paris d’avant et non cette ville actuelle, minérale et abrupte comme un désert, ce Paris de devantures métalliques baissées où les gares beuglent des rendez-vous manqués, où les trains fantômes reviennent avec des voyageurs comme par hasard. Les escalators roulent à vide, quelques valises glissent pour un ailleurs. Cette impression de grand voyage et de désertion magnifique, on les vit dans l’album de Cory Hanson. Musique de rêves écornés par les peurs et une certaine sensualité, cette musique s’apprivoise par notre imagination propre et nos souvenirs des films de Wim Wenders. Il y a quelque chose d’implacablement lumineux, d’insoutenable au regard chez Cory Hanson. Il suffit d’entendre le somptueux Bird of Paradise pour comprendre cette beauté étrange et révélatrice. La roue de la fortune – il y a un an, jour pour jour, je passais un anniversaire aussi triste que la proposition mélodique du Closer de Joy Division. Perdu et oublié, malheureux, je me dirigeais vers le néant. Aujourd’hui, je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie. Ce basculement inouï, cet enchevêtrement d’émotions, Rilke les analyse et les clame dans ces lettres à Anita Forrer. Cette correspondance, longtemps inédite en France, voit enfin le jour. Je crois que j’ai appris mon amour des lettres, des messages avec Rilke. Il est, dans ces missives, à la fois pédagogue et poète. C’est un homme qui finit sa vie, proche des cendres. Anita, elle, par sa jeunesse est une flamme généreuse. Ce contraste magnifie les échanges. Contraste et passage du profane au sacré, tout, dans les terres bretonnes, amène aux grandes émotions. Les champs de fougères traversés ici me font penser à certains plans splendides du film de Pier Paolo Pasolini, Les Contes de Canterbury. J’avais été frappé par le paradoxe entre la trivialité des fabliaux de Chaucer, sélectionnés par Pasolini, et le spleen des paysages. La grossièreté des histoires, l’irruption des corps dans le récit et toute la spontanéité que recherchait Pasolini semblent comme contraints par la beauté mélancolique des lieux. Étrange bascule, douceur des métamorphoses… Il s’agit bien d’une vitalité à venir, d’un printemps. La roue tourne.

Cory HansonPale Horse Rider de Cory Hanson (Drag City)
Lettres à une jeune poétesse de Rainer Maria Rilke (Bouquins)
Les Contes de Canterbury de Pier Paolo Pasolini (1972)

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