Si, pour diverses raisons, je ne mets plus un pied en librairie actuellement, la librairie vient jusqu’à moi. Cette librairie est de taille moyenne, a la peau blanche, des cheveux noirs bouclés et possède un délicieux profil. Et je ne sais comment ma bienfaitrice s’y prend, quel tour de magie elle connait pour s’arrêter à travers champs et dégoter un livre, chaque jour. De vieux bouquins épluchés, jaunis ou étonnamment frais encore, dénichés ça et là chez d’obscurs bouquinistes ou dans d’isolées boîtes à livres. Cette semaine la merveille s’appelle : Anne Brontë. Je n’avais jamais lu La Dame du Manoir de Wildfell Hall. Cela faisait des mois que je n’avais plus ressenti cette rage de lecture, cette fièvre omniprésente qui fait tourner les pages encore et encore. J’aurais pu parler du dernier livre de Jonathan Coe – auteur avec qui je partage cette passion pour Billy Wilder et son film Fedora – ou encore de ce petit brasier poétique écrit par Pauline Delabroy-Allard, Maison-tanière, mais le roman d’Anne Brontë a tout emporté. Sans doutes parce que je me promène dans des lieux proches de ceux détaillés par la romancière, le livre me hante littéralement. Ce texte, je le ressens aussi comme une écriture en écho. Anne Brontë répond aux Hauts de Hurlevent, à sa soeur Emily, avec un récit de passions terribles et de pages splendides sur ces destinées de femmes, femmes conscientes de leur audace, de leur liberté. André Téchiné avait cette envie-là, de filmer au plus près des textes qui s’entrelacent et ne cesse de correspondre. Il en a fait un film contrarié par trois actrices intenses, illuminées au sein d’une lande sauvage, lande pelée de tout sentimentalisme. Isabelle Adjani dira de ce tournage, Les Sœurs Brontë, qu’il était comme marqué de signes inquiétants. Le mauvais œil. En le revoyant, on y décèle parfois trop de beauté et souvent comme une incrédule tristesse. Téchiné a filmé tout cela comme un amoureux déçu. Et pour rester encore un peu dans ces embruns britanniques et romantiques, parlons du projet de Matt Messore, Cathedral Bells. Musique de printemps bouffée par la pluie et les amours qui finissent mal, Cathedral Bells revendique des influences rapidement reconnaissables – The Cure, Ruby Haunt ou encore Bored Nothing. Pour ma part, j’ai l’impression d’entendre le premier album de Craft Spells, on ressent cette forme d’euphorie pop qui se métamorphose parfois en grands accès de mélancolie. Musique idéale pour continuer la lecture d’Anne Brontë et pour rêver des prochains livres apportés par l’amoureuse. Encore et encore.
La grande librairie – Anne Brontë, André Téchiné, Cathedral Bells
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine