Samedi midi au réveil, c’est déjà l’enterrement de la sardine. C’est lundi alors même que dimanche n’est que demain. Les vestiges de la nuit se font sentir dans ma pauvre cervelle encore alcoolisée… A nouveau, c’est le règne par la terreur. A côté de Christophe Basterra, Daenerys Targaryen, c’est le Mahatma Gandhi.
« Salut les jeunes,
Bon Xavier, j’ai une mauvaise nouvelle : tu vas te sortir les doigts du cul et écrire un papier sur ta soirée avec Jorge Elbrecht hier. Et nous dire pourquoi c’est un génie. On s’en fout que ce soit décousu. Tu fonces, tu verras après.
On attend l’article pour ce soir – sinon, je viens te casser la figure (et t’as vu que parfois, je montais à Paris n’importe quand). »
Lolo Boyer au rapport ! J’hésite encore. J’aimerais tellement fournir à Christophe un prétexte enfin honnête pour quitter ses monts d’Auvergne.
Tout avait pourtant bien commencé avec un concert parfaitement inoffensif de Beak>. Une sorte de récital sans danger ni frisson. Impeccable ! Une tisane et au lit. Un peu plus tôt, on s’était rencardé au concert avec Jorge Elbrecht, de passage à Paris. Il cherchait une bonne boulangerie dans le Marais. C’est dire s’il y avait péril en la demeure à l’heure de saluer ce génie que l’hygiène de vie pousse à ne rien avaler, bulles comprises, après 17h. Ce que j’ignorais, c’est que son pote guitariste de Kurt Vile ne l’entendait pas de cette oreille. Paul, derrière ses lunettes à l’armature militaire et aux verres teintés mûrissait déjà de plus sombres desseins. La veille, ils avaient rejoint un bar metal nommé le Pili Pili sis rue Jean-Pierre Timbaud, le « jumeau » du troquet qu’il tient à Denver. En chemin, Jorge m’explique qu’une amie qui tient une agence l’a chargé de recruter des mannequins dans la rue pour un casting parisien. L’idée lui est restée en tête, il regarde les filles et se demande s’il ne passe pas pour un pervers. « C’est pas crédible deux secondes, je ne vais quand même pas aborder des filles dans la rue en leur expliquant que je suis agent. Comment ne pas être ridicule ? » Toujours en cheminant, je le félicite au sujet des deux nouveaux disques qu’il a fait paraitre en moins d’un an, Happiness, le EP dont la face A est composée de jolies chansons façon ligne claire et dont la face B présente en surimpression les fantômes et Coral Cross, album de metal peu orthodoxe enregistré avec le batteur de Krallice. En mars 2018, il s’était résigné à ne plus sortir ses propres productions et à se consacrer exclusivement à sa carrière de producteur. « Eh oui, Here Lies (2018) s’est bien vendu. Lors de mes concerts avec Ariel Pink, les gens venaient en nombre se faire dédicacer le disque. J’ai réalisé que ma musique intéressait finalement un peu de monde. »
Eloge infini d’Ariel Pink, de la basse en retrait, du feutre sonore des enregistrements sur bande et plus généralement du rebours des productions contemporaines. Mes louanges confuses à Ariel et à Jorge, la paire de marieurs hors pair qui étaient faits pour se rencontrer, à leur façon inimitable de jouer avec finesse de décennies de références pop sans jamais pontifier, avec des mélodies sublimes.
– Tu sais, Ariel est un grand fan de metal. Avec ses cousins du Mexique, il passait son temps à écouter des trucs violents. Mets-lui un morceau de Slayer, tu le verras chanter à tue-tête !
– Ça ne m’étonne pas. Sinon, tu as des projets ?
– Je suis en train de faire une nouvelle playlist sur Spotify avec des vieux titres. Je viens justement de mettre en ligne un morceau que j’avais enregistré avec Caroline (Polachek).
– Et du neuf ?
– Oui, je termine le mixage d’un nouvel album. Il y aura un invité sur chaque titre. J’ai invité…, …, …, …, …, … (On lui laissera le plaisir de l’annonce. Mais, honnêtement : c’est mon Rock and Roll Hall Of Fame intime). J’ai aussi un album de chansons garage 60’s en chantier.
Dire qu’on était aux abysses du désespoir l’an passé. Et voilà qu’on pousse des ailes les portes du Pili Pili. Une légèreté certes teintée de l’appréhension (vite dissipée) de trouver ici un bar Les Furieux bis -, mais ravi à l’idée de bientôt écouter deux vrais nouveaux disques de Jorge Elbrecht. La porte une fois poussée : « Tiens, j’avais oublié à quel point le metal, c’est du plagiat de Echo & The Bunnymen ! Ah, oui. C’est sidérant comme c’est harsh, The Killing Moon.» En fait, c’est vendredi soir… On ne l’a pas encore saisi, mais quand le barman qui ressemble à un Robert Trujillo maigre, tout de nattes chevelu et arborant un T-shirt à la gloire d’Anvil commence à projeter sur son écran trois chansons de The Cure, Bauhaus, Cocteau Twins, puis Martin Dupont, on commence à comprendre : c’est la soirée festive du weekend. Hurray ! Cold et goth à tous les étages ! Forcément, à ce moment, les souvenirs commencent à être recouverts d’une épaisse couche de brume.
On se jure, par exemple, une admiration éternelle pour Clan Of Xymox. Back Door ou Louise, comment choisir ?
Il est question d’un groupe nommé Cindygod qu’adore Jorge, de Lawrence (évidemment) et de Drab Majesty. Et pendant que Paul commande la troisième tournée, on promet d’avancer les sous pour le pressage d’un éventuel 7 inch avec Already Over en face A et la reprise d’Avenue de Saint Etienne en face B pour faire un cadeau à Christophe (et à soi-même). Promesse qui tient toujours, en fait. Il a aussi été question de Lansing-Dreiden et des sublimes Summer et Winter mixtapes, de ces notes d’intention par lesquelles Jorge Elbrecht initiait son projet Violens. Son plus beau groupe et son plus beau chantier. Elles auraient mérité de sortir en vinyle, ces mixtapes ! « Ce mix de My Bloody Valentine et The Byrds, c’est probablement le truc le compliqué que j’ai jamais fait… » C’est vrai que c’est éblouissant. Moi, le truc le plus compliqué que j’ai jamais fait, c’est de rentrer en Uber à 2h30 du matin et 38 ans, ou presque. Mais de cela, je n’avais pas conscience avant ce midi.
Mille bisous à Marion et autant de mercis à Thomas.