I’ll Be Your Mirror, A tribute To The Velvet Underground & Nico (Verve / Universal)

Si elle a toute sa place au rayon de soleil automnal d’un après-midi pluvieux chez Mémé, voire dans les attentats pâtissiers du regretté* Le Gloupier, la tarte à la crème connait depuis plus d’un demi-siècle un développement, ma foi, assez cuisant portant pourtant sur un sujet toujours fascinant, le Velvet Underground. Ou plus précisément l’exercice de style en forme de passage de l’écluse** que constitue la reprise du Velvet par à peu près tout le monde, voire n’importe qui.
On posera comme barrage d’entrée (et ce n’est pas mon excellent camarade François Gorin qui ira me contredira) que la reprise du Velvet a connu son apogée, déjà, en 1984 lorsque Paul Quinn (Bourgie Bourgie) et Edwyn Collins (Orange Juice) livrèrent de manière fraternelle et pour le coup, réellement concernée, les calédoniens le sont souvent à ce sujet, une version absolument intouchable de Pale Blue Eyes.

Nonobstant, on en a vu passer des bennes entières depuis, top magnéto.

1985 : Les Enfants du Velvet (Virgin), si l’idée et son commanditaire (Étienne Daho) furent en tous points estimables (et pour ma génération, s’il y a bien eu un thuriféraire crédible et franc du VU ce fut bien Daho), il convient de se dire que les notes de pochettes de ce Who’s who de la pop éclairée de l’époque (elles sont de Laurent Chalumeau) ont bien mieux vieillies que le disque en question.

1990 : Songs For Drella (Sire) Lou Reed / John Cale
Beau disque improbable marquant la réconciliation impossible de deux femmes austères, ne pouvant plus s’entendre sur rien, ni se rabibocher durablement, hormis pour pleurer sur la tombe de leur pauvre mère. S’il a plutôt bien vieilli, ce disque acariâtre écouté sans relâche alors mais rarement depuis, donnera néanmoins l’impulsion à la reformation du VU. Qui donnera lieu à un morceau inédit pas terrible (Coyote, comme le label qui sortira The Good Earth des Feelies, un hasard sans doute) et une ubuesque première partie du groupe chréti(e)n militant U2, dans les stades. Autant dire que je n’y étais pour personne.

1990/1991 : un label anglais, Imaginary Records, déjà féru de l’exercice, puisque outre le VU, c’est rien moins que The Byrds, Bob Dylan, Captain Beefheart, The Kinks, Jimi Hendrix, Nick Drake ou encore Syd Barrett qui ont été repris avec des castings divers (y’a du bon tu peux googler) et heureusement pas toujours maison*** à leur initiative. Pour le Velvet, ils n’ont pas lésinés puisque pas moins de 3 volumes sous l’intitulé Heaven & Hell sont parus. Il y avait des gens assez en vogue à ce moment (Chapterhouse, James, Swervedriver, Ride, The Wedding Present) et même un petit groupe américain du nom de Nirvana, qui n’avait sorti qu’un album jusque là. Je vous promets de les réécouter tous et de vous en fournir un florilège sur ACR à l’occasion.

2011 : Rodolphe Burger, This Is A Velvet Underground Song That I’d Like To Sing
Lors de mon récent article sur Jojo, j’osais parler de muséologie mortifère, et même si ce disque est d’un rare ennui, je ne peux tout de même pas rester d’aussi mauvaise foi : j’ai vu des concerts de Kat Onoma absolument géniaux, libres, érodant et habités, où l’ombre du Live 1969 le disputait à une maitrise, pépère mais palpable, du chaos.

2012 : Castle Face, le label mené par John Dwyer, somme tous ses séides de reprendre dans l’ordre le premier album du Velvet, il y a Ty Segall, Thee Oh Sees, Kelley Stoltz et consorts, c’est à peu près über cool à ce moment précis, niveau tatapoum c’est ok et Lou Reed n’y survivra pas, il nous quitte un an plus tard.

Je jette un voile de pudeur sur l’exposition à la cité de la musique qui eut lieu en 2016, principalement par respect et solidarité pour les gens qui ont toujours cette petite douleur intime d’avoir payé une certaine somme d’argent qui aurait pu aisément servir à acheter, au hasard, des saucisses de bonnes qualité, pour voir John Cale faire n’importe quoi avec n’importe qui. L’expo était pas trop mal, sinon.

Chez les toujours très pertinents ACE Records, What Goes On, The songs of Lou Reed a le mérite d’élargir le sujet en proposant des chansons de Loulou interprétées par d’autres.
Tout n’est certes, pas fou, mais on y retrouve la version lactée de Sweet Jane par les Cowboy Junkies.

Et donc, nous y voilà, l’album de reprise de saison du Velvet, façon tropézienne, de saison. Certes le casting est ok sur le papier, et malgré notre appréhension, nous allons néanmoins écouter ensemble cet énième tarte à la crème, reprenant le concept Castle Face (soit le premier album, dans l’ordre) et coïncidant à quelques semaines près (ce sera sur Apple TV le 15 Octobre prochain) avec le relativement attendu documentaire de Todd Haynes sur le sujet****. C’est probablement tout à fait fortuit.

Sunday Morning par notre trop rare et toujours chéri Michael Stipe (R.E.M.), on voudrait être ému mais sérieux, c’est hyper chiant et prétentieux. L’intro fait un peu Laibach par contre, ça me donne une idée pas si farfelue.

I’m Waiting For My Man par Matt B du groupe The National
Pour des raisons de camaraderie et de respect mutuel qui remontent à loin, j’aurais du mal à dire publiquement que cette reprise est une purge totale (And Also The Trees aurait fait bien mieux), et pourtant. Le clip est absolument super sympa et vraiment digne, aussi.

Femme Fatale par Sharon Van Etten
Faut se calmer sur le CBD, l’emphase et le fait de croire que ta commu va te sauver, mémère. Le riff circulaire sur la fin fait croire à une petite velleité de saleté, ça ne sauve en rien du ridicule mais je vous rappelle que le film récent préféré de Godard Jean-Luc reste Ace Ventura, détective pour chiens et chats (1993).

Venus In Furs par Andrew Bird et Lucius
Bonne option pour adapter ce cloaque impérial dans une version folk un peu obsolète comme un fait exprès. Ce que les plus perspicaces avaient déjà soupçonnés sur la version démo de 1965 présent sur le coffret Peel Slowly And See (1995). Mais n’est pas Fairport ou l’Incredible String Band, ni même Malicorne qui veut. Ni surtout Emmanuelle Parrenin. Et à ce propos ses concerts récents ou le final de A Sailor’s Life de Fairport Convention (Unhalfbricking, 1969) ont surement plus à voir avec ce Velvet-là que tes pitoyables adaptations en hennins avec tes hobereaux des faubourgs d’Orleans, mon petit pote. Pars vite en courant, ça empeste le mouflon.

Run, Run, Run par Kurt Vile
Pas si mal et pourtant je l’ai déjà dit, j’ai beaucoup de mal avec les types qui prennent la période convertie de Dylan comme une hostie. Kurt a le mérite de faire le lien entre le Zizim et le Loulou, on l’oublie trop souvent. On entend un peu de guitare, il y a de l’idée, c’est une vraie adaptation. Mais en comparaison avec celle de Spiritualized (Run, sur l’album récemment réédité Lazer Guided Melodies, 1992) c’est quand même pas dément voire un peu nul.

All Tomorrow’s Parties par St. Vincent et Thomas Bartlett
Bien vu le poti clin d’œil vocoder très chouchou à la veuve (Laurie Anderson), mais sinon, vous, on ne va pas pouvoir vous garder. Purge prétentieuse absolue. On ne saurait décemment pas totalement feindre la surprise en même temps.

Heroin par Thurston Moore et Bobby Gillespie
L’un des seuls morceaux à sauver. Mais je ne suis pas très objectif. Pas plus que la somme de ses côtés, c’est déjà ça. Thurston magnifie la scansion folk d’Heroin sans en rajouter excessivement niveau tabasse et Bobby fait son Bobby. C’est au moins imparfaitement honnête, voyez-vous.

There She Goes Again par King Princess
Chaipacéki, surement une artiste en développement. C’est random potable mais globalement osef.

I’ll be your Mirror par Courtney Barnett
Christa fait un triple salto arrière dans son mausolée. Gros problème de CBD également. NUL. Hors Sujet. Très très TRÈS vilain.

The Black Angel’s Death Song par Fontaines D.C.
J’ai jamais pu saquer ce putain de morceau et c’est même pas tolérable par le meilleur groupe britannique depuis longtemps. Ca a le mérite d’être bref mais comme tétanisés par l’ampleur de la tâche, les irlandais s’en tirent à peine, il y avait pourtant de quoi mettre un peu plus de hargne, de bruit et de sang.

European Son par Matt Sweeney et Iggy Pop
Enfin un peu d’urgence, ce qui ne fait pas de mal après toutes ces merdes. Ca pourrait être cynique, c’est juste assez glorieux et enfin fidèle à ce disque toujours toxique, toujours génial mais désormais familier.

Je tiens à remercier pudiquement les personnes qui se sont donnés ce mal avec moi, l’un parce qu’il a écrit la première biographie d’un groupe que j’ai lu et l’autre parce que sa recette léthale de spritz au Campari nous a permis de subir sans trop pâtir ce qui n’est autre qu’une énième (et souvent très fade) tarte à la crème. Un comble. VU le sujet. (photo du Professeur Rollin hilare)


I’ll Be Your Mirror, A tribute To The Velvet Underground & Nico est disponible chez Verve/Universal.

* Las, on me souffle dans l’oreillette que ledit Noel Godin est toujours parmi nous, voyez comme j’ai mauvais esprit…
** Spoiler : à part en concert, pas besoin de gâcher de la bande pour ça.
*** Leur roster comprenait pas moins que CuD et les Mock Turtles, des noms qui ne disent rien aux moins de cinquante ans, par contre j’en vois AU MOINS DEUX qui se gaussent au fond de la salle.
**** D’une part il y a Jojo, ça suffirait presque, d’autre part Bertand Loutte l’a vu à Cannes et n’a pas regretté sa soirée, et j’ai une certaine confiance en cet homme libre et affranchi de tout affects par rapport au sujet, soyons-en convaincus.

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