C’est con, mais c’est ainsi. L’annonce de cette mort-ci m’a bouleversé davantage que toutes les autres, émergeant du flot presque ininterrompu des faire-part de décès qui s’écoule au gré des réseaux sociaux et ne s’accompagne, la plupart du temps, que du ronronnement convenu des condoléances et des hommages, parfois sincères mais rarement plus émouvants qu’un discours compassé d’entrepreneur de pompes-funèbres. Nous écoutons une musique de vieux, il faut s’y faire, et nous avons pris depuis longtemps l’habitude de voir des pans de notre discothèque soudain jumelés avec le coin de cimetière où s’amoncèlent les dépouilles des idoles. Comme dans la vie, ces lieux dédiés où s’alignent les sépultures ne sont pas vraiment propices au surgissement des émotions : trop glaçants, trop imprégnés du formalisme décalé des cérémonies qui s’y déroulent pour qu’y retentisse la vraie brutalité du deuil. Pas cette fois-ci. Bien sûr, je ne connaissais pas Adam Schlesinger et les quelques larmes versées dans la nuit du 1er avril ne proviennent que de cette part du souvenir où continuent de s’entremêler les chansons et ce que nous projetons d’intime en elle.
Le terreau était sans doute déjà favorable : je me suis souvenu de ces autres nuits, peu après la sortie de Sky Full Of Holes (2011) – le dernier album de Fountains Of Wayne et, certains jours, le meilleur – où je rêvais de The Summer Place et de vacances en compagnie de Schlesinger et Collingwood , des séances thérapeutiques consacrées à décortiquer les résonances de ces songes ainsi que celles d’un autre morceau, Action Hero, dont le deuxième couplet me plongeait à chaque écoute dans un état de mélancolie proche de l’épanchement lacrymal. Qu’écrire alors sur lui qui n’ait pas surgi en moi ? Pas grand-chose peut-être, et pourtant, l’accumulation considérable des témoignages admiratifs de ses pairs au cours des deux dernières semaines tend à souligner le génie singulier d’un songwriter pas comme les autres, capable d’imprégner de son style immédiatement reconnaissable et d’un sens unique du gimmick les œuvres de commande les plus apparemment négligeables, de donner vie à une galerie de personnages terriblement humains- et donc universels dans leurs moindres particularités – qui peuplaient les micro-drames suburbains et dérisoires des chansons mémorables coécrites avec Chris Collingwood. Dernier descendant des auteurs de l’ombre, héritier de Graham Gouldman, ou encore de Jerry Kasenetz et Jeffry Katz, Schlesinger mettait toute son âme et son savoir-faire au service de la confection du bubblegum, érigeant même le pastiche au rang des arts quasi-majeurs dans l’un des meilleurs films sur la pop – That Thing You Do ! (de Tom Hanks, 1996)– ce biopic non pas d’un groupe mais d’une chanson. Il considérait avec une égale dignité le chanteur de Hanson et le guitariste des Smashing Pumpkins – tous deux associés au sein de Tinted Windows en 2009. Tout cela se retrouve dans cette sélection hétéroclite de 26 morceaux : pas de Stacy’s Mom – sa sœur jumelle s’appelle Just The Girl, composée pour The Click Five, et demeure bien moins usée ; pas non plus de titres extraits du premier album de Fountains Of Wayne – certains jours, le moins bon. Et Fire Island pour conclure, évidemment – encore une qui parvient régulièrement à extraire sa larmichette : « We’re old enough by now to take care of each other. » Vrai, sans doute. Mais ces chansons y aident.