HiFi Sean & David McAlmont : « Notre album aurait pu s’intituler What The Fuck’s Going On »

HiFi Sean & David McAlmont
HiFi Sean & David McAlmont

On les connaissait tous les deux. Depuis longtemps – trois décennies pour le second, et même un peu plus pour le premier. D’un côté, Sean Dickson qui, avec The Soup Dragons, a contribué à conférer quelques-unes de ses plus belles lettres de noblesse à l’indie-pop écossaise dans la seconde moitié des années 1980 avant d’achever, sous le pseudonyme de HiFi Sean, sa métamorphose, musicale et personnelle, au tournant du siècle dans l’univers des musiques électroniques. De l’autre, David McAlmont, dont les immenses qualités d’interprète ont pu s’exprimer au fil d’une discographie, solo ou collaborative, devenue malheureusement de plus en plus clairsemée alors qu’il s’orientait vers le monde académique. Au centre, Happy Ending, très grand album de soul contemporaine, réaliste et flamboyante, où les vocalises acrobatiques de McAlmont s’enchâssent harmonieusement dans les pulsations électroniques et les arrangements de cordes confectionnés par Dickson. Quelques messages et un Zoom plus loin, les voici réunis pour en partager quelques-uns des secrets de fabrication.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

HiFi Sean : J’ai publié un album en solo il y a environ six ans – Ft., 2016 – pour lequel j’avais invité plusieurs artistes à collaborer. David était l’un d’entre eux. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois physiquement pour enregistrer une chanson. Nous sommes devenus amis et nous avons commencé à passer du temps à discuter de musique et puis surtout à en faire. Nos passions partagées de fans des mêmes musiques ont fini par aboutir à cet album. C’est la réponse la plus synthétique mais c’est à peu près ça ?

David McAlmont : Oui, tout à fait. Je me souviens que nous avions commencé à échanger sur Facebook quelques années auparavant. Au début, je n’avais pas du tout fait le lien avec les Soup Dragons. C’était les premières années des réseaux sociaux et j’étais très heureux de discuter avec plein de nouveaux amis virtuels.

HFS : Aujourd’hui, tu y regarderais peut-être à deux fois avant de m’accepter comme ami alors ?

DMA : Peut-être bien, oui. (Rires) En tous cas, j’ai fini par réaliser que ce type qui s’appelait HiFi Sean était un ex-Soup Dragons. Il faut dire que tu as toujours beaucoup changé au fil des ans ! La première fois que j’ai vu Sean à la télévision, ça devait être en 1987, quand il interprétait Soft As Your Face sur Channel 4. Et puis, trois ans plus tard, j’ai entendu I’m Free et j’avais l’impression de découvrir un autre groupe. Je me suis dit : « Mon Dieu ! Qu’est ce qui leur est arrivé ? «  Enfin, quinze ans après, je suis devenu ami avec un certain HiFi Sean et je n’avais aucune idée qu’il s’agissait de la même personne.

HFS : Oui, j’aime bien me renouveler de temps en temps. (Sourire). C’était bizarre avec les Soup Dragons : nous plaisions à certains pays et beaucoup moins à d’autres. Je crois que ça marchait plutôt bien pour nous en France au début des années 1990. Pas tout à fait autant qu’en Angleterre et aux USA mais pas loin. Je me souviens qu’on avait fait pas mal de télévision. Notamment cette émission inspirée du Saturday Night Live

Les Nuls, l’émission ?

HFS : Oui, voilà ! C’était très bizarre. Il y avait tous ces sketchs entièrement en français et personne ne nous expliquait ce qui se passait. On ne comprenait rien. A un moment, on s’est retrouvés dans une scène ou tout le monde faisait semblant de se tirer dessus avec des armes à feu pendant qu’on jouait une chanson en live. C’était vraiment une très bonne période, d’autant plus que Jim McCulloch – le guitariste des Soup Dragons – et moi étions vraiment fan de pop française des années 60. J’adore toujours Françoise Hardy.

HiFi Sean & David McAlmont
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Vous avez tous les deux commencé vos carrières musicales dans un contexte où les frontières entre les chapelles musicales étaient très étanches et très strictes. Cela ne vous a pas empêché de les franchir allégrement. Les Soup Dragons ont participé aux premiers hybrides entre les cultures indie et dance. Et David, tu as enregistré plusieurs albums de pop orchestrale mâtinée de soul avec Bernard Butler alors qu’il était encore le guitar hero de la Britpop. Est-ce que cette attirance pour le mélange des genres fait partie de vos points communs ?

HFS : Franchement, je n’ai jamais pensé qu’il y avait une énorme différence entre I’m Free et les albums que nous avions enregistrés auparavant. C’est devenu un problème, à l’époque, pour une partie de la presse et des commentateurs mais, à mes yeux, il s’agissait vraiment d’une progression naturelle et continue. Tout comme l’album que nous avons enregistré avec David s’inscrit dans la continuité des premiers morceaux sur lesquels nous avons commencé à travailler l’an dernier. Les choses changent, la musique évolue : c’est inéluctable. Si on essaie de composer toujours le même album, c’est d’un ennui mortel pour ceux qui l’écoutent. Et d’un ennui mortel pour ceux qui le font. Quelque soit son domaine, un artiste se doit toujours d’explorer de nouveaux horizons. Pour ce qui me concerne, en plus, j’ai le niveau d’attention d’un poisson rouge. (Sourire.) Je n’ai jamais été diagnostiqué par un médecin mais je me demande même si je ne suis pas atteint d’une sorte de syndrome de déficit d’attention musicale. Il faut en permanence que je sois stimulé par de la nouveauté pour rester concentré et motivé. Est-ce que c’est un problème ? Pas pour moi, en tous cas.

DMA : Je pense que c’est devenu plus intéressant d’être un songwriter depuis la fin des années 1980. Il y a eu des artistes comme Bowie ou comme Prince et, curieusement, leur éclectisme n’a jamais été remis en cause. C’est vrai que les médias ont tendance à assigner les artistes à des catégories ou des formats définis de façon souvent très étroite, en se fondant la plupart du temps sur des critères très superficiels : la couleur de peau, le genre. Peut-être qu’il y a encore des gens qui, à partir de ces considérations, essaient de nous mettre, Sean et moi, dans des cases. Mais nous n’avons jamais été réductibles à des cases. Je constate simplement qu’il y a beaucoup d’autres artistes qui n’ont jamais été confrontés à ce problème. George Michael mélangeait beaucoup d’ingrédients très différents dans ces chansons et personne ne s’est jamais demandé si c’était de la soul, de la pop, du soft rock ou que sais-je encore. La question n’est pas forcément dépourvue de sens mais je ne crois pas que ce soit aux artistes d’y répondre. Ce sont les radios seraient en mesure d’expliquer comment elles font leur travail de programmation.

Happy Ending m’est apparu comme un grand album de soul contemporaine et qui combine énormément d’éléments différents : des rythmes électroniques, des cordes inspirées par le Philly Sound, des arrangements très amples, à la Norman Whitfield. Comment avez-vous réussi à mélanger harmonieusement tous ces ingrédients ?

Voici la version courte de la réponse : Sean compose de la musique ! J’adore ce qu’il me propose et je fais de mon mieux, de mon côté, pour rester au niveau pour les paroles et l’interprétation. Je pense que tu as raison : c’est un album très contemporain et très singulier.

HFS : Ce n’est pas tout à fait aussi nettement dissocié. Nous avons travaillé en collaboration étroite sur tous les morceaux. Nous sommes tous les deux passionnés à la fois par le passé, le présent et le futur. Je ne sais pas si c’est vraiment un album de soul dans la mesure où il ne cherche pas à se limiter aux canons d’un genre très noble mais très daté. Mais c’est un album qui possède une âme, c’est sûr. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Nous y avons mis tout notre cœur, ça oui. Et si les gens l’entendent, c’est que nous avons bien fait notre travail. C’est comme si nous avions invité les gens à entrer dans notre univers, nos cœurs et nos âmes pour une heure et se réfugier quelques minutes en dehors de ce monde merdique. Et, si j’en crois les premiers retours que j’ai pu avoir sur l’album, certains ont l’air d’avoir pris plaisir à partager ces émotions intimes.



La plupart des chansons évoquent des aspects, parfois très précis et concrets, du monde contemporain.

DMA : C’est certain que ces chansons ont été imprégnées par l’environnement dans lequel elles ont été conçues. Nous avons commencé à travailler ensemble en 2016. Bowie, Prince, George Michael : ils sont morts tous les trois en 2016. C’est aussi l’année du Brexit. Et de l’élection de Trump. C’est dans cette ambiance très particulière que j’ai soumis mes premières idées pour les paroles à Sean. Consciemment ou non, j’ai essayé de saisir un peu de ce monde dans lequel nous étions plongés : l’angoisse envahissante du nouveau millénaire, cette sensation d’apocalypse imminente. Et puis la pandémie s’est rajoutée à tout cela et j’ai également continué d’écrire une partie des textes pendant cette période.

HFS : En même temps, je trouve que c’est un album très ouvert. J’habite au dix-huitième étage d’un grand immeuble londonien et j’y ai composé presque l’intégralité des morceaux. J’ai la chance d’avoir cette vue presque panoramique sur toute la ville : les nouveaux faubourgs autour du stade olympique sur la droite, les vieux quartiers chics un peu plus loin à l’horizon. Je vois les gens qui fourmillent tout en bas dans les rues mais aussi les nuages qui se forment et se dispersent. C’est un endroit très spectaculaire et très propice à l’inspiration musicale. Je n’en avais pas nécessairement conscience au départ mais, en réécoutant l’album achevé, j’ai l’impression d’y retrouver la vision que nous pouvions avoir de la ville depuis ce poste d’observation au dix-huitième étage. Je me souviens que, quand j’ai emménagé, le précédent locataire m’avait dit que vivre à cette altitude constituait une expérience très spéciale. A l’époque, je ne l’avais pas vraiment cru ni compris. Mais j’ai réalisé qu’il avait raison. Il y a quelque chose d’assez particulier qui tient à cette position de surplomb : j’étais sans doute un peu plus serein, presque en dehors du monde. C’est un album qui évoque le bouillonnement du monde, mais vu d’en haut. C’est une position qui permet plus aisément d’appréhender aussi une forme de beauté dans un univers très sombre.

HiFi Sean & David McAlmont
HiFi Sean & David McAlmont

DMA : Pour le premier couplet de Beautiful, j’avais écrit :  » We’re higher than the mountains and deeper than the sea.  » Sur le deuxième, j’ai rajouté :  » We’re higher than the towers and deeper than the streets. «  Ce sont vraiment des paroles qui s’inspirent de cette expérience de vie au dix-huitième étage. L’autre jour, je me suis promené dans Londres en écoutant l’album au casque et c’était vraiment super. C’est un album très étroitement lié à la vie urbaine. Et qui me paraît refléter toute son ambivalence : je serais bien incapable de dire si certaines chansons sont gaies ou tristes ; elles sont toutes très nuancées. Maybe, par exemple : s’il n’y avait pas ce refrain – « Maybe we just fell in love » – il serait presque impossible de savoir qu’il s’agit d’une chanson d’amour tant les couplets sont violents.

HFS : Il y a beaucoup de bonnes chansons tristes et de bonnes chansons qui suscitent l’euphorie. Mais c’est beaucoup plus difficile de mélanger les deux. Les Français sont plutôt doués pour ça. Françoise Hardy, Message Personnel : c’est une des chansons les plus déprimantes et les plus euphorisantes que je connaisse. J’adore cette chanson et c’est l’une de celles que j’ai le plus écouté en travaillant sur cet album. Ce contraste saisissant entre le désir amoureux et le désir de mourir : c’est tellement puissant.

Plusieurs des morceaux s’ouvrent d’ailleurs sur des sons ou des bruits enregistrés sur le vif : est-ce que c’était un moyen d’évoquer d’emblée cette présence du monde extérieur ?

HFS : Nous avons conçu l’album tout entier comme une sorte d’hommage à nos vies dans cet environnement urbain. Ces bribes de field recordings au début des chansons sont bien une manière de souligner la continuité entre les chansons et le monde réel. Sur le premier morceau, ce sont des adeptes de Hare Krishna que David a enregistrés à l’improviste sur son téléphone. Il y aussi un fragment d’une conversation qu’il avait accidentellement enregistrée dans la rue. Un ami m’a dit l’autre jour que ces petits interludes concrets lui rappelaient des passages du même genre sur The White Album, 1968 et qui sont, pour l’auditeur, de petites invitations à entrevoir la manière dont l’album a été construit. C’est un peu pour la même raison que nous avons décidé de publier les paroles sous forme de livret un mois avant la sortie de l’album : ça a permis à ceux qui ont eu envie de lire ces textes d’avoir une idée plus précise de la structure des chansons avant de les écouter.

Certaines chansons, notamment The Skin I’m In et Aurora, expriment un point de vue plus explicitement critique sur certains aspects du monde et font même référence à des événements précis : les violences policières aux États-Unis.

DMA : J’ai tendance à me laisser aller parfois, peut-être un peu trop, sur ce genre de sujets. Je publie de temps en temps des billets d’humeur sur ma page Facebook quand je suis choqué ou bouleversé par un événement particulier. Quand le mouvement Black Lives Matter a commencé à émerger aux USA, une des manifestations – je crois que c’était en 2020 – a été réprimée de manière particulièrement violente : les manifestants ont été copieusement aspergés de gaz lacrymogène et pourchassés par la Garde Nationale que Trump avait décidé d’envoyer. Pour moi, c’est le moment où tout ce que nous avions pu redouter à propos de Trump s’est brutalement concrétisé. J’ai commencé à écrire un billet, à chaud. Un peu plus tard, quand Sean m’a envoyé les premiers éléments musicaux pour The Skin I’m In, j’ai immédiatement pensé à What’s Going On, 1971. Sans prétention aucune, je me suis dit que je devrais essayer d’imaginer la chanson comme l’élément manquant sur le chef d’œuvre de Marvin Gaye. Il fallait absolument que ce soit une chanson politique, une protest song. Plutôt que de tout recommencer à zéro, j’ai repris ce texte que j’avais publié sur les réseaux et j’ai commencé à en découper et à en coller quelques fragments. J’étais un peu inquiet quand je l’ai envoyée à Sean : j’avais peur que ce soit trop engagé, trop commercial ou trop politique. Sean m’a rassuré et a même insisté pour que ce soit le premier single.

HFS : On en avait plaisanté quelques fois. On s’était dit qu’on devrait peut-être intituler l’album What The Fuck’s Going On !

DMA : Pour Aurora, c’est un peu différent. Sean m’avait envoyé cette musique très majestueuse et cinématique. En l’écoutant pour la première fois, j’ai immédiatement pensé au titre : Aurora s’est imposé comme une évidence. Après, il a fallu que je cherche ce que ce mot pouvait bien signifier ! (Sourire.) Le texte est né ensuite de la métaphore : Aurora, l’aube, quelque chose qui se répète à l’identique. Pourquoi est-ce que vous nous traitez toujours de la même manière ? J’ai cheminé sur ce thème à partie de cette première intuition.



Vous avez tous les deux été impliqués dans de nombreux projets musicaux collectifs. Par comparaison, comment appréciez-vous ce travail en duo ?

HFS : David et moi sommes vraiment sur la même longueur d’ondes et c’est particulièrement appréciable.

DMA : Le contexte particulier – notamment la période de confinement – nous a permis de travailler sur ces chansons sans aucune interférence extérieure. Autrefois, il y avait toujours un représentant du label ou un manager qui venait en studio pour donner son avis sur tel ou tel aspect. Cette fois-ci, grâce à l’état du monde et à la technologie, nous avons tout enregistré sur l’ordinateur de Sean, au dix-huitième étage de sa tour, en tête à tête, sans personne pour nous expliquer quoi faire ou comment le faire.

HFS : C’est sans doute pour cette raison que ces chansons ont des résonances si personnelles et si intimes.


Happy Ending par Hifi Sean & David McAlmont est disponible sur le label Plastique Recordings.

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