Guy Cabay, Cabaycédaire (Tricatel)

On connaît les capacités impressionnantes du monde de la musique à recycler : d’un pensionnaire discret plutôt habitué au bac à soldes dans son pays, la Belgique (dixit des habitants tout à fait renseignés), le label Tricatel, terrassé par un coup de foudre, a mis tout son pouvoir pour donner une nouvelle vie à des chansons enregistrées dans les années 70 par Guy Cabay. Et on peut les remercier parce qu’on a le même coup de foudre.

Guy Cabay
Guy Cabay il y a quelques temps / Photo via Tricatel

Du diable vauvert surgissent des chansons intemporelles – elles auraient pu sortir dans les années 60 chez Barclay, sur une compilation concept des Disques du Crépuscule dans les années 80 ou chez Crammed dans les années 90 – aux ingrédients surprenants et pour certains inconnus. En effet, l’auteur, âgé mais toujours bien vivant, manie une langue non identifiée par le commun des mortels (moi), un dialecte wallon de Liège, aux sonorités bien spéciales. En gros, on dirait des mots cuits à l’étouffée et grandis dans des vapeurs exotiques et tropicales et avalés tout rond, assez proches du créole de La Réunion. Dans le swing généré par ce chant étrange, on serait pas loin d’un Dick Annegarn adapté par Alain Peters, ou l’inverse, non, pas l’inverse. C’est-à-dire qu’on saisit des mots, on en déduit parfois le sens, mais le tout reste au final bien brumeux, comme une conversation saisie à travers les voiles d’une forte sieste sous substance (enfin, de ce que je me rappelle).

Et c’est là que c’est fort puisque justement, Guy a choisi de croiser son idiome avec une musique brésilienne complètement globale, bossa, samba, tout ça : enfin, c’est revu et corrigé bien sûr, mais ça dégage cette fluidité originelle tout à fait adaptée à son langage. Cette musique brésilienne plus largement qui a enflammé la planète entière et qui ne cesse d’agiter les esprits français (de Vassiliu à Julien Gasc en passant par Moustaki – Balancé, une des mes chansons préférées de tous les temps, surtout cette version télévisée – et Katerine, bien sûr, une autre de mes chansons favorites, Les jours bénis, j’en ai plein, j’avoue). Enfin, je veux bien laisser ça aux spécialistes du Brésil, parce que j’écris surtout ce que je ressens, c’est sans doute pas très juste d’un point de vue musicologie.

Justement : la musique de Guy Cabay n’est pas du tout réservée aux spécialistes des incongruités ou aux collectionneurs connoisseurs. Au contraire, les chansons sont d’une immédiate chaleur, dansantes, touchantes – essayer ce tube des profondeurs comme Pove Tiesse, on a l’impression de l’avoir entendu, il sommeillait dans votre reptilien depuis votre naissance. Ou le précurseur anti-auto Li Sabat D’Sinte Mère L’Ôto qu’on dirait mené par un sample incroyable de flute (mais non, c’est un musicien) et des chœurs minimaux et impeccables… Ou cette ballade poignante Julia Deus avec cette orgue tournoyant ou Camamele et Cataplame dont les mots mêmes (à la gloire d’un couple de pharmaciens !) nous bercent (prononcer le titre plusieurs fois pour descendre en pression « camamele et cataplame ».

Un disque de chansons jazz chantées – on dirait parfois le timbre d’une jeune Brigitte Fontaine apaisée – magnifiquement arrangées et présentées au diapason en 30 cm – vinyle – pochette ouvrante avec un mot de Bertrand Burgalat et du fameux Louis Philippe Auclair pour disserter, tel un disque de la collection Nouveau Chansonnier International du Chant du monde des années coco, sur leur fameuse trouvaille en termes élogieux et en quelque contexte utile. C’est amoureusement fait, comme le point final d’une histoire qui se termine bien, pour Guy Cabay, et pour nous, qui gagnons  un de ces disques à la mélancolie légère, à nul autre pareil, dans une langue qui pourrait être inventée, ou que plus personne ne parle, c’est tout comme, quelle plus belle image de la condition du musicien ?


Cabaycédaire par Guy Cabay est sorti sur le label Tricatel.

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