Fontaines D.C. : « La pandémie est la meilleure chose qui pouvait nous arriver »

Fontaines D.C.
Fontaines D.C. / Photo : Filmawi

D.C., c’est Dublin City, le berceau de ces cinq garçons débarqués en 2019 sur nos scènes et devenus, en un album, phénomène. Menés par le charismatique Grian Chatten, ils convainquent par la puissance de leurs textes (l’amour de la poésie les lie), leurs guitares acérées et leur vigueur, comparable à celle de leurs voisins et amis anglais, Shame. Après avoir enchaîné les salles et les festivals jusqu’à l’épuisement, les lads migrés à Londres ont profité du repos imposé par la pandémie pour se retrouver et se rappeler d’où ils venaient. Skinty Fia, paru ce jour sur Partisan Records, est un hommage à l’Irlande, car comme l’explique le batteur Tom Coll dans cet entretien récemment accordé à Section 26, le sentiment d’appartenance à son pays n’est jamais si fort qu’une fois qu’on l’a quitté.

Votre troisième album, Skinty Fia, paraît ce 22 avril. Comment vous sentez-vous ?

On a super hâte. C’est toujours excitant une sortie, mais là on le ressent encore plus. Ça fait un an qu’il est prêt et qu’on attend, un an qu’on est les seuls à pouvoir l’écouter, donc ça va être génial de savoir que d’autres personnes l’écoutent aussi.

Votre premier album [Dogrel, 2019] a été nominé au Mercury Prize, le deuxième [A Hero’s Death, 2020] aux Brits, aux Grammy, aux Ivor Novello Awards… Quelle pression pour le troisième ?

Le fait que les deux premiers albums aient plutôt bien marché, c’est vrai que ça met un peu la pression. Dans le groupe, on se sert des uns des autres pour savoir si ce qu’on fait est bien ou pas, si on en est contents. C’est tout ce qui compte ; pas le fait d’être nominés pour des prix, ces prix ne nous évoquent pas grand chose. Je pense que l’important c’est qu’on soit fiers de nous.

Dans Skinty Fia, j’entends beaucoup l’influence du rock alternatif des années 1990, que ce soit dans les guitares saturées de Big Shot, qui rappellent Sonic Youth, ou l’introduction de Jackie Down The Line, qui m’a fait penser aux débuts des Smashing Pumpkins

Je crois que nos deux plus grosses influences pour cet album étaient Death in Vegas et Primal Scream, qu’on était vraiment en train d’explorer. L’album XTRMNTR a été une inspiration pour beaucoup des titres de l’album. De mon côté, j’étais à fond dans la drum and bass. J’écoutais Roni Size, Prodigy et des trucs électroniques. C’était vraiment intéressant au niveau des percussions, j’essayais d’incorporer ça dans mon jeu de batterie. Pour Death in Vegas, je trouve que ça s’entend dans les guitares très noisy de Carlos [O’Connell].

Sur cet album, vos origines irlandaises sont mises en avant, de son titre aux paroles des morceaux, voire jusqu’à l’accordéon qui rappelle inévitablement The Pogues. Ce n’était pas le cas dans votre deuxième album. Pourquoi y être revenus ?

On a écrit cet album quand on a déménagé à Londres. Pour le premier, on vivait à Dublin et c’était tout ce qu’on connaissait, c’était les limites de notre univers. Pour le deuxième, on était ailleurs, en tournée, donc il n’a pas été écrit à un endroit en particulier. Cette-fois ci, on était à Londres et j’ai l’impression que quand les Irlandais déménagent à Londres, ils deviennent plus Irlandais qu’ils ne l’étaient lorsqu’ils vivaient en Irlande. Je me promenais dans Londres avec des trucs très irlandais, je voulais le montrer… C’est un peu une vibe, tu veux être fier d’être Irlandais, et je pense que c’est ce qui est ressorti dans l’album, la conscience d’être Irlandais en-dehors de l’Irlande.

J’ai l’impression qu’à vos débuts, on vous décrivait comme un groupe de post-punk mais en fait, vos influences sont très variées et il est difficile de vous catégoriser, si ce n’est pour dire que vous faîtes du rock.

Je pense que c’est une bonne chose. Ça nous ennuyait quand on était plus jeunes, le post-punk est un genre très spécifique alors qu’on aime plein de trucs, qu’on veut faire plein de trucs. On ne veut pas être limités à faire du post-punk, quelle qu’en soit la définition. C’est bien, et ça fait plaisir de l’entendre.

Comment se sont passés vos débuts ? On a l’impression que tout a été très rapide…

On s’est rencontrés à la fac [au British and Irish Modern Music Institute de Dublin], on étudiait la musique. On faisait des concerts, on composait beaucoup mais on ne sortait pas de musique, on était juste contents d’être un groupe. Après, on a eu un manager à Dublin, qui est toujours notre manager aujourd’hui, on a sorti quelques singles par nous-mêmes, puis on a eu l’opportunité de sortir notre premier album avec Partisan Records. Tout ça s’est fait sur quatre ou cinq ans, donc ça faisait un moment qu’on jouait ensemble, ce qui était super sauf qu’on ne sortait rien [rires]. Je crois qu’on avait vraiment besoin d’un manager pour nous pousser à publier notre musique.

Selon toi, en quoi le nouvel album est différent des autres ?

Celui-ci contient beaucoup plus de bangers je pense. Notre deuxième album était plutôt déprimant, lent, très indie… Je crois qu’on était dans un meilleur état d’esprit quand on a écrit le troisième. Il me paraît plus enthousiasmant.

Je trouve que Skinty Fia reste un album plutôt sombre, non ?

Oui il l’est, c’est vrai, il y a des éléments très sombres, mais on ne fait rien qui ne soit pas sombre, tu sais [rires]. Je pense juste qu’il est plus énergique, en tout cas j’espère.

Tu dis que vous étiez dans un meilleur état d’esprit quand vous l’avez écrit. Peux-tu en dire un peu plus sur le contexte dans lequel ça s’est fait ?

C’était la pandémie, en 2020. On écrivait tous séparément pendant le confinement, et puis on s’est réunis à Dublin durant l’été pour écrire le titre d’ouverture ensemble, après trois mois sans s’être vus. C’était une belle expérience. Ensuite, à la fin de l’année, on a déménagé à Londres, et on a continué à écrire. On était tous dans un bon état d’esprit, la pandémie est la meilleure chose qui pouvait nous arriver, vraiment. Les tournées nous avaient vidés. Ça nous a permis de faire une pause et de nous retrouver en tant que groupe.

Je sais que l’été 2019 a été très intense pour vous. J’imagine que la pandémie a été salvatrice en vous permettant de vous reposer, mais n’avez-vous pas eu peur qu’elle vous « fauche en plein vol », alors que vous étiez en train de développer votre notoriété ?

Il y a eu de ça aussi, pour être honnête. C’était un moment très anxiogène. Je pense que tous les musiciens ont vécu une sorte de crise existentielle. On se disait que les concerts ne reprendraient peut-être jamais, ce qui était super flippant [rires]. Mais bon, avec le recul je pense que ça nous a été très bénéfique, de ralentir, retourner à la maison… J’ai vécu avec ma mère pendant trois mois, c’était génial. Vraiment, on en avait besoin.

Je me souviens que vous aviez annulé votre concert à la Villette Sonique en 2019. C’était lié à une sorte de burn out, n’est-ce pas ?

Oui, ça a été vraiment dur. On n’avait pas l’habitude de tourner et du jour au lendemain, on s’est retrouvés à devoir voyager constamment. Nos vies ont changé du tout au tout très soudainement, on était exténués et on ne savait pas comment le gérer. On s’est dit que le meilleur moyen de surmonter ça serait de commencer à écrire notre prochain album, alors on a pris la décision d’annuler trois ou quatre festivals. Il nous semblait que c’était la seule manière de retrouver de la joie et de redevenir amis. Tu sais, on n’avait pas l’habitude de jouer les dix même chansons tous les soirs. Du jeudi au dimanche on faisait des festivals, on atterrissait à Dublin et on dormait tout le lundi et le jeudi, c’était reparti. Aussi, on faisait tout ça avec un petit budget, donc on dormait deux heures par nuit, on prenait nos avions à 4 heures du matin…

Tu penses que vous pourriez de nouveau tourner en suivant ce même rythme ?

J’espère, parce qu’une année complète de tournée nous attend [rires]. Mais j’ai hâte, je pense que ça va être différent car on a une grande équipe avec nous maintenant, ça nous facilite énormément la vie. Ce ne sera pas aussi intense, il n’y aura plus de vols à des heures folles qui te cassent pour le reste de la journée, ce sera plus gérable. Je reste quand même un peu inquiet car c’est une année entière, ça fait un peu peur, mais en même temps ça fait deux ans qu’on n’a pas pu faire de vraie tournée alors ça devrait être cool.

Tu as des souhaits pour le futur du groupe ?

Écrire un nouvel album bientôt, j’espère ! Ce serait génial, c’est tout ce que je souhaite pour être honnête. J’ai hâte de faire cette année de concerts et puis après, se poser et écrire un nouvel album, c’est ça qui m’enthousiasme le plus…


Skinty Fia par Fontaines D.C. est disponible aujourd’hui sur le label Partisan, distribué par PIAS.

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