Elvis Perkins, Creation Myths (MIR Records)

Creation Myths by Elvis PerkinsIt’s always long goodbyes *

Creation Myths est un disque sorti au début du mois d’octobre 2020, mais je le découvre plus tard, au milieu du dernier hiver, à l’occasion de mon anniversaire. Il m’est offert par mon meilleur ami, Jean-Sébastien; nous aimons tous deux Elvis Perkins depuis ses débuts, à la fin des années 2000, depuis Ash Wednesday, son premier disque. Avant Creation Myths, Elvis Perkins a publié trois disques, et nous aimons particulièrement celui de 2015, I Aubade. Nous gardons d’ailleurs un souvenir fort et ému du concert qu’Elvis Perkins, venu défendre ce disque, a donné dans notre ville, sur une péniche amarrée le long de la Saône. Et le bateau tanguait et, pour notre plus grande joie, le concert telle une valse infinie, ne semblait pas vouloir finir. Le disque m’est offert quelques jours avant un week-end dans la région vallonnée du Haut-Bugey, et Jean-Sébastien connait mon amour des petites routes et des lacs de l’Ain, et le disque, il en est certain, collera parfaitement aux espaces traversés.

Sébastien Berlendis
Photo : Sébastien Berlendis

J’attends d’avoir quitté l’autoroute, après Ambérieu-en-Bugey pour caler le disque dans le poste. Dès les premières notes du premier morceau, Sing Sing, et alors que je m’apprête à entrer dans la vallée aimée de l’Albarine, ce que j’aime chez Elvis Perkins, depuis I Aubade, est immédiatement là. J’aime ce folk ou cette pop légèrement psychédélique qui tourne son regard vers l’Angleterre, celle de Ray Davies et de son piano parfois triste, celle de John Lennon aussi ; et sur I Know You Know, la proximité de la voix d’Elvis Perkins avec celle du chanteur de Liverpool se révèlera troublante. J’entends d’abord des claviers qui bourdonnent à faible volume, des grincements gracieux de guitares, une ligne de basse en cascade et la voix de Perkins pleine d’échos et de brumes. Je retrouve avec joie l’impression ou la certitude que j’entre dans une chanson qui en contient plusieurs et plus largement dans un disque qui va dériver, qui fera des pauses, une chanson et un disque qui refuseront la narration claire. Cette dérive apparaît aussi dans la voix d’Elvis Perkins, discrètement lyrique, une voix de fin de carnaval un peu ivre, et magnifiée par des arrangements complexes, luxuriants, baroques en un mot. Une myriade de claviers côtoie les cordes, les cuivres et les cors anglais, et l’ensemble évite toujours l’emphase. Malgré cette complexité et alors même que les chansons se hasardent sur des chemins de traverse, celles-ci restent toujours étonnamment mélodieuses, accueillantes sans être séductrices.

J’entre dans la vallée de l’Albarine, et les mots d’Elvis Perkins m’accompagnent, des mots et des bouts de phrases suffisamment obscurs pour que la rêverie me prenne. Les phrases semblent sortir directement du subconscient du chanteur américain ; il les associe sans réel souci de sens et ceci n’est sans doute pas étranger à leur inexplicable attrait. Sont-elles des souvenirs obscurs, des bouts d’histoires transmises, des constructions mythologiques ainsi que le suggère le titre du disque ? Après tout, ne pas savoir, ne pas tout discerner importe peu. Ce qui est davantage impératif, c’est d’être saisi, et c’est pour moi le cas. Néanmoins, lorsque je suis attentif aux mots chantés, je comprends, et cela ne dissipe pas le mystère, qu’il est question dans Sing Sing, par exemple, d’un esprit rempli de pluie et souhaitant oublier l’océan, un esprit qui prie pour se tenir debout, et qui chante et qui chante alors que celle que le narrateur aime est à des kilomètres. L’étrangeté de ce que raconte Elvis Perkins est encore plus forte dans le très soul See Monkey, le titre le plus entrainant de l’album, avec ses cuivres qui prennent une partie de l’espace. Je devine des images de bouche d’incendie dans des étoiles en feu et je me demande à qui Elvis Perkins adresse ces larmes qui s’enroulent sur le rivage.

Et la voiture longe au plus près les deux lacs à la sortie d’un village dont le nom m’a toujours intrigué: La cluse des hôpitaux. J’écoute plusieurs fois I Know You Know, et la voix d’Elvis Perkins monte doucement dans les aigus, et ses questions se multiplient et certaines phrases résonnent en moi. Does anyone Ever really love Another /You say you’ve always Loved me Like no other/ No other No other. Je ne parviens pas à savoir si Elvis Perkins devient poignant ou inquiétant lorsqu’il demande à celle qui se refuse à lui Why can’t you belong to me ? D’autres questions restent en suspens dans les chansons suivantes. Qui est cette muse partie pour l’été dans My Muse Has Gone Away For The Summer Today, et pourquoi ne peut-elle pas être plus proche de lui, se demande Elvis Perkins devenu, le temps de deux titres, Mrs And Mr E et The Half Life, un chanteur de country parfait et nonchalant, un chanteur de saloon pleurant doucement une vie à moitié vécue. A ce moment-là du disque, je crois entendre Townes Van Zandt chanté par Harry Nilsson.

Photo : Sébastien Berlendis
Photo : Sébastien Berlendis

Les questions demeurent en l’air, mais j’ai comme Elvis Perkins l’âme sentimentale sur ces routes connues et j’aime ces chansons d’amour qui s’échappe et mes yeux se brouillent un peu à l’écoute du très beau Iris et de ces lignes, Such a sweet pain/ At the thought of losing Iris. Je quitte la vallée de l’Albarine, c’est le milieu du jour, il me reste une paire d’heures avant de retrouver la ferme au bord du lac de Ceyzérieu. Alors la voiture grimpe sans difficulté en direction du col de Richemond, traverse le village de Don et son château aux murs d’enceinte effondrés. Des cascades sortent des falaises avant de chuter sur près de quatre cent mètres, je n’étais jamais monté si haut, le paysage devient plus aride et le vent et le froid me prennent par surprise. Au bord de la route de la corniche Valromey, quelques traces de neige résistent à la douceur des jours passés; j’arrête la voiture à l’entrée du hameau de Grange Haute, j’ouvre les vitres, et la fin du disque gagne en tension, la guitare répète le même riff, les cordes et les cuivres dramatisent le moment, la voix s’élève encore et Elvis Perkins voit son identité se dérober à lui et Creation Myths se termine par ces mots ou ces suppliques : Oh I want you Oh I want you Oh how I want you Oh how I want you. Dans le poste, le disque repart pour un tour alors que la fin du jour et la ferme, qui m’accueillera deux nuits, se rapprochent.


* Phrase extraite du cinquième titre du disque, Iris.
Creation Myths de Elvis Perkins est sorti sur le label MIR Records.

Une réflexion sur « Elvis Perkins, Creation Myths (MIR Records) »

  1. cher Sébastien Berlendis j’étais présent ce soir lors la et je garde moi aussi un souvenir très vif du concert de ELVIS PERKINS circa 2015 à la péniche Sonic à Lyon , je me souviens aussi de la chaleur accablante du à la canicule durant le concert

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