Diane Tell, Chimères (1982, Polydor)

Le Québec a souvent eu des artistes et groupes admirables, mais peu d’entre eux furent en mesure d’aller se glisser dans nos disquaires hexagonaux et se faire un place au soleil, ici en France. Diane Tell est, à ce titre, certainement une exception. S’il fallut trois albums à la chanteuse québécoise pour percer en Europe, elle est depuis devenu une valeur sûre de la variété française, s’installant même dans nos contrées. Chimères (titre original), ou Souvent, Longtemps, Enormément (titre français) est son quatrième album. Il sort dans la foulée du succès massif de son précédent disque : En Flèche, renommé Si J’étais un Homme en France. Paru en 1980, le long-jeu connaît une carrière heureuse grâce au slow Si J’étais un Homme, énorme tube, deux ans après sa sortie. Initialement boudée par les radios à cause de sa longueur et sa structure inhabituelle, NRJ craque dessus et la met en importante rotation sur ses ondes. Le titre est devenu depuis un classique, un morceau que tout le monde connaît sans forcément savoir qui en est l’autrice. Le genre de chansons que vous pouvez entendre dans un film, sur Nostalgie ou dans votre Franprix. La carrière de Diane Tell décolle, en conséquence, en France. Chimères bénéficie ainsi d’une distribution hexagonale importante. Disc’AZ mise sur la chanson Souvent, Longtemps, Enormément mais celle-ci n’embrase pas le Top 50, avec le même enthousiasme que Si J’étais un Homme. Peut-être le public attendait-il que Diane Tell lui livre d’autres slows et chansons romantiques. Au lieu de ça, la chanteuse québécoise, offre, avec Chimères, un grand disque d’AOR francophone, peut être même l’une des plus grandes réussites du genre dans la langue de Michel Polnareff et Robert Charlebois. L’album n’a cependant rien d’une anomalie dans la carrière discographique de Diane Tell. Passée par le conservatoire, musicienne accomplie et curieuse, Diane Fortin développe une pop tonique et rythmée aux accents brésiliens et jazz sur ses deux premiers (et excellents) disques. Elle écrit seule la majorité de son répertoire et travaille avec des musiciens québécois versés dans le jazz, le funk ou la disco. Sur Chimères, elle fait appel au groupe de jazz fusion UZEB en plus d’autres fidèles tels que le producteur Allan Katz ou le percussionniste Jimmy Tanaka. Tout ce beau monde joue à la perfection ce son westcoast si attrayant. Moins janséniste que Steely Dan, suave et velouté comme les disques de Brenda Russell ou Michael McDonald (Doobie Brothers), Chimères est un plaisir d’esthètes adeptes des divinités de la danse et de l’écriture pop. Mon Ami-e, tube yacht-rock du disque, est une merveille de  précision. Arrangements resserrés autour de pianos électriques, synthétiseurs analogiques polyphoniques et guitares, la chanson déroule un groove aussi séduisant que méticuleux. L’impression se confirme à l’écoute des autres chansons. Tes Yeux dodeline à une allure modérée, parfait pour apprécier le soin apporté à l’enregistrement. Il condense les techniques de studios des années soixante-dix (la musique organique) et certaines avancées de la décennie suivante (synthétiseurs). Chimères est à la croisée de deux époques, il semble vouloir conclure la période sur un feu d’artifice. L’album démontre aussi que les francophones sont capables d’écrire et produire des disques qui sonnent aussi bien et justement que les contemporains américains et anglais. Alors que l’usage du français reste encore un problème en France de nos jours, Chimères l’utilise sans complexe et le fait sonner à merveille. Si certains textes de Diane Tell peuvent surprendre (Le Bonhomme Digital, Les Trottoirs du Boulevard St Laurent), leur musicalité est elle toujours acquise. Produit de son époque, certes, Chimères n’en vieillit pas moins très bien grâce à sa sincérité et son appétence pour l’excellence : sa vitalité est réjouissante à entendre.


Chimères par Diane Tell est sorti en 1982 chez Polydor.

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