Mon année 2020 a été marquée par une expérience télévisuelle intense : la série américaine Devs raconte l’histoire d’un laboratoire très secret de recherche et développement, mis en place par une entreprise de haute technologie qu’on devine hégémonique (à la GAFAM). Installée dans une forêt à quelques kilomètres de San Francisco, Amaya, c’est son nom, est dirigée par une sorte prophète de l’informatique, Forest, qui ressemble au Brian Wilson barbu de 1977, et qui a mis au point, avec son équipe, un ordinateur ultra puissant, objet de nombreuses convoitises. Ce thriller ne s’arrête heureusement pas à ce postulat, entre espionnage et hard science, mais déroule un monde passionnant qui s’étend sur huit épisodes sans aucune faiblesse, se permettant même d’aboutir à une fin satisfaisante – chose de plus en plus rare – qui boucle une intrigue serrée, sans en affaiblir la portée follement stimulante.
Le responsable de ce mini-feuilleton est le réalisateur britannique, jusque-là assez discret, Alex Garland. Scénariste auprès de Danny Boyle et réalisateur de deux films ambitieux mais pas tout à fait accomplis (Ex Machina et Annihilation), il a trouvé, dans ce format TV, un flux qui lui convient à merveille, alternant dialogues étirés (à noter des acteurs qui jouent la même partition sur un mode de basse tension, comme des robots plongés dans une introspection qui les ronge), pics d’adrénaline (des scènes d’action microscopiques parfois très violentes), tentations contemplatives (San Francisco comme une île isolée dans le brouillard marin) et expériences visuelles (la statue géante de cette enfant plantée au milieu du campus Amaya, les fabuleuses images neigeuses issues du super calculateur). Il serait criminel d’en dévoiler plus, mais sachez qu’il est possible, au visionnement de la série, de ressentir un sacré vertige existentiel pour peu qu’on se laisse aller dans son sofa avec une bonne tisane au chanvre. Je la re-visionne en ce moment pour la quatrième fois depuis sa première diffusion au printemps, compagnon parfait de confinement, et le coup de foudre initial perdure !
Théâtre d’ombre aux frontières de la vallée dérangeante, Devs, s’appuie sur une bande sonore à la hauteur de ses ambitions informaticiennes de tragédie quantique : l’effet hypnotique, au diapason de son rythme éthéré, sort renforcé par des choix fort habiles de design sonore. Que ce soit la parcimonie avec laquelle une chanson plus ou moins connue ouvre ou ponctue un épisode (Congregation de Low, Oh I Wept de Free, ou Guinevere de Crosby, Stills & Nash), que ce soit des œuvres plus étranges qui s’intègrent à merveille dans cette atmosphère futuriste et planante (des chants Inuits revisités, Come Out de Steve Reich…) et que ce soit les compositions originales présentes au score. Ces thèmes, souvent très courts, ont été écrits à plusieurs mains : d’abord Ben Salisbury et Geoff Barrow (qu’on ne présente plus), en solo ou à deux, et une entité nommée The Insects. Toujours justes, leurs pièces émouvantes, parfois flippantes, très homogènes, sont non seulement magnifiées par la réalisation qui n’hésite pas, dans la série, à leur laisser toute la place, le premier rôle même, mais peuvent vivre leur vie toutes seules, sur disque. Cordes solitaires et appuyées (quelques frottements qu’on rapprocherait bien de ceux de Mica Levi pour Under The Skin), cuivres aériens, percussions ethniques ou synthés cotonneux (coucou Angelo), attaque de bruit plus ou moins blanc, toutes ces textures tissent la toile parfaite pour les projections glacées et métaphysiques d’Alex Garland. Et qui sait ce qui se passe vraiment en ce moment dans les laboratoires du Googleplex ou dans les machines quantiques mis au point par la Chine ? Impossible à savoir, mais on en a déjà la bande-son pointue.
une serie de haut vol comme on aimerais en voir plus souvent ,par contre sur la bo je suis plus réservé ,j’aime beaucoup certains themes instrumentaux mais pas du tous les partie chanté