Climats #42 : Jim O’Rourke ou Burt Bacharach, Maria Stepanova

Crépuscule à Roncherolles-sur-le-Vivier / Photo : Viktor der Panini Joe
Crépuscule hivernal à Roncherolles-sur-le-Vivier / Photo : Viktor der Panini Joe

Peut-on écouter Elvis Costello sans avoir envie d’être déjà en été ?
Et il faut l’avouer : Burt Bacharach en février, ça dégèle n’importe quelle matinée.

Climats met en avant disques et livres selon les aléas de la météo. 

Les petits crépuscules de février

Il avait toujours trouvé que découvrir un artiste par un autre avait ce parfum d’inachevé. Sans doute, les souvenirs détestables de ses années de lycée y étaient pour quelque chose. Vague souvenir d’un adolescent clamant que la nouvelle chanson de Kurt Cobain était fantastique. The man who sold the world de Bowie n’existera jamais pour certain.e.s. En musique, l’importance de la première fois peut amener à un changement d’identité. En s’allumant une clope, le tabac le mena sur ces réflexions. Il se dit que lui aussi avait rencontré ce parfum d’inachevé. C’était avec la version de Something Big de Jim O’Rourke. À bien y réfléchir, pour lui, Burt Bacharach était mort ce jour-là. Il n’a jamais pu apprécier cette chanson que par le biais de Jim O’Rourke. Il était bien allé emprunter à la médiathèque les disques de l’illustre Burt, il essaya de savourer la virtuosité du compositeur, son opulence, sa solarisation des mélodies. Il essaya mais rien ne pouvait remplacer sa première fois avec O’Rourke. Alors, lui aussi, dans ces instants-là ressemblait à cet adolescent clamant la supériorité de la version de Kurt Cobain sur celle de Bowie. La musique nécessite une rencontre, se dit-il. Il finit par griller ses lèvres avec sa clope et il regarda le verre de cognac qui s’avérait prometteur. La journée se terminait et il écoutait le Walk on By de Dionne Warwick. Il embrassa la nuque tiède de Lena et se dit que Burt Bacharach avait bien droit à une renaissance.

Le printemps dans les tiroirs

Comment interpréter les phrases d’un.e mort.e ? Sans doute s’agit-il d’une nouvelle variante de la traduction. Il y a eu des exemples malheureux avec Blaise Pascal notamment. C’est une trahison à bien y réfléchir. Dans En mémoire de la mémoire, Maria Stepanova accueille courageusement tout un passé, une vie. Quel intérêt de faire résonner tout ce qui ne sera plus ? C’est là que le livre de Maria Stepanova est splendide. L’autrice crée des échos entre ses aïeux et de grandes figures artistiques. Lorsque Stepanova, à la mort de sa tante, vide l’appartement de ses souvenirs, une constellation de fantômes fourmillent entre les murs. Étrange occupation que de traduire leur présence. C’est dans cette tension permanente, entre la vie et la mort, que Maria Stepanova signe ses plus belles pages notamment celles consacrées à Francesca Woodman. Disparue à vingt-deux ans, Woodman demeure pourtant éternelle. Stepanova s’interroge sur ces formes de brièveté qui ressemblent à s’y méprendre à l’intemporel. On pourrait appeler cela – l’Insolence…


En mémoire de la mémoire par Maria Stepanova est sorti chez Stock.
Something Big par Jim O’Rourke est sorti en 1999 sur l’album Eureka / Simple Songs chez Domino / Drag City.


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