Peut-on écouter les deux premiers albums des Tindersticks au printemps ?
Et le premier album du Velvet Underground joué au ukulélé, c’est un blasphème ?
Climats met en avant disques et livres selon les aléas de la météo.
Journée de cendre
Cette impression persistante que, vingt après, le feu a été cherché dans la nuit. Une descente frontale dans un nocturne constellé de brasiers – c’était le constat d’un pays déclinant – l’Amérique. Yankee Foxtrot Hotel a bien été ce tournant radical où rien ne fut identique, après. Replonger dans la lave de ces souvenirs est troublant. Pochette à l’inquiétante étrangeté prise avant les événements du 11 septembre, titres étincelants et quasi-messianiques comme Ashes of American Flags… Ce disque, dès sa sortie, a engendré un mythe. Wilco et son œuvre indépassable. Vingt après, la réédition de ce vertige fascine toujours autant. En fouillant ces archives, on est aussi saisi par ce duel terrible et dramatique entre Jeff Tweedy et Jay Bennett. On ne reviendra pas sur le documentaire de Sam Jones montrant cet affrontement. Le montage massacrant honteusement l’image et la personne de Jay Bennett. En écoutant tout ce travail de mixage, de sons coupés, malaxés, dilués et fantasmés, on a forcément une pensée pour cet homme. Bennett avait pour mentor Alex Chilton. Ce dernier vécut presque le même enfer durant l’enregistrement d’un autre chef d’œuvre nommé Third/Sisters Lovers. Les rivalités douloureuses ont souvent, étrangement, accouchées de créations pures. Dans le givre de la haine demeure la bonté première d’un sentiment très fort. Il y avait, entre Bennett et Tweedy, un immense amour et ce disque en possède les cendres.
La pluie ardente
C’est sans doute le documentaire le plus bouleversant que j’ai pu voir ces dernières années. Werner Herzog n’a pas son pareil pour retirer d’un incendie, les vies les plus fascinantes qui soient. Maurice et Katia Krafft. Ce couple de vulcanologues alsaciens a collecté des images somptueuses, terribles et incomparables. Herzog rend hommage, dans un premier temps, à ce travail de cinéaste. Maurice et Katia avaient une vision unique. Leurs plans séquences sont beaux à en chialer vertigineusement. Il y a aussi cette histoire tragique : celle de leur mort, sous une pluie ardente au Japon. Leur passion les mènera à la disparition. Disparition de l’écran, de la vie et de ces lieux tant aimés. Et c’est ce que combat Werner Herzog, l’oubli. Il récolte, analyse et commente les images inlassablement. La force et la maladresse de Katia y sont fascinantes. La bonhommie de Maurice, constante. Ces deux personnages louvoient avec la mort, inlassablement au bord du précipice. Cette attirance/répulsion est le moteur de leur activité. Il s’agit bien d’un requiem qu’offre, Herzog, aux amants Krafft. Un documentaire incandescent.