Climats #10 : Bitter Springs, Judith Perrignon, The Avengers

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Certaines brumes

Je ne sais pas pourquoi – sans doute par recherche de légèreté – je me suis mis à l’heure anglaise. À bien y réfléchir, je me souviens du moment exact où cela m’est arrivé. En fait, un courageux vend quelques disques sur le marché. Il n’y a pas grand monde à regarder son stock et le type se pèle le jonc avec des yeux de gamin bouleversé. Je me suis ainsi retrouvé à reproduire ces gestes oubliés : faire défiler avec mes doigts des disques posés sur tranche, en soulever un et le regarder. Il y avait pas mal de trucs qui m’ont donné le bourdon. Il faut dire : cela enclenche directement la bande-son d’un monde perdu. Et puis, je suis tombé sur un disque des Bitter Springs. Benny Hill’s Wardrobe (Vespertine, 1999). Album de batailles sentimentales, d’alcool par intraveineuse et de poésie douteuse. On voyait bien que cet album était là depuis une éternité et que personne n’en voudra, avant bien longtemps. Pourtant, il y a des chansons splendides comme seuls les anglais peuvent les imaginer. Via Sex est une remarquable vignette mélancolique, Blasted Neighbour est une pop song idéale pour les lendemains de cuite. Un voile de tristesse, une lumière sourde – la pop anglaise. J’ai acheté ce disque une misère, la quasi-gratuité. Et pourtant l’immense réservoir à souvenirs que renferme l’album des Bitter Springs demeure inestimable. Cela m’a donné envie de passer ma journée entière pour trouver le bon dosage d’un Dry Martini sans écouter les infos.

Le crachin d’antan

Et l’heure anglaise s’est poursuivie avec l’enquête de Judith Perrignon. La journaliste replonge – avec une certaine gourmandise – dans les années Thatcher. Le jour où le monde a tourné semble faire de la politique de la Dame de Fer, un laboratoire insensé. Il est ce lieu d’avant-garde ultra-libéral qui explique totalement le monde occidental d’aujourd’hui. Tous les souvenirs produits par ces années de plomb varient selon les témoignages. Il y a les nostalgiques, ceux et celles qui demeurent encore en colère et les autres qui n’ont pas connu cette période. L’énumération des lieux et des noms donne une tessiture mélancolique au récit. On lit sous la plume de Perrignon, surtout, les résonances avec ce qui peut se penser et se produire aujourd’hui. Et puis, le grand intérêt de ce livre est de donner envie d’écouter Morrissey et de relire le Testament à l’Anglaise de Jonathan Coe.

Des éclaircies sur les plaines

Dans un carton, un vieux coffret. La saison 4 de Chapeau Melon et Bottes de cuir. L’heure anglaise se poursuit avec l’accent sulfureux et hautain de Diana Rigg et Patrick McNee. Le superbe noir et blanc fait oublier le montage hasardeux et les doublures grotesques. Beaucoup d’épisodes tournent autour du complot, de la sûreté nucléaire. On a décidément rien inventé. Quelle grâce dans les gestes, dans la manière de se servir et de boire un alcool. Et cet humour blindé de sensualité et de pudeur. Rien n’est frontal ni binaire dans cette série, tout se déroule comme dans un rêve. Steed a ce génie des longues virées dans les campagnes anglaises avec sa voiture d’un autre temps. Que toute cette lenteur me paraît émouvante, inaccessible et désirable. Un disque indignement bradé, un livre avec Maggie et ses outrages puis The Avengers, l’heure anglaise mérite bien que l’on s’y attarde.


 

Une réflexion sur « Climats #10 : Bitter Springs, Judith Perrignon, The Avengers »

  1. « Ton Pipi Sent Les Sugar Puffs » extrait de cet inoubliable album des Bitter Springs, Diana Rigg dans ses deux saisons de The Avengers et Jonathan Coe. Ok, j’embarque immédiatement, mais je garde le volant car « tu es beau, mais tu n’es pas capable de conduire ».

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