« Tous ces bonbons cachent pas le goût du Spasfon »
Voilà, j’ai replongé, j’ai plein de nouvelles activités, label et tout. La difficulté, c’est de continuer à écrire sur la musique des autres, parce que quand on s’occupe de la sortie de disques qu’on adore, joués par des gens qu’on aime, on a tendance à avoir un effet tunnel (les gens qui ont un gros stress connaissent ça), c’est à dire qu’on se focalise sur un truc, dont on a une image un peu déformée d’ailleurs et le reste du paysage disparaît, et surtout des choses importantes peuvent nous passer sous le nez sans qu’on bronche. On peut aussi facilement croire qu’il n’y a que ce qu’on sort qui est intéressant. Il ne faut pas que ça dure trop longtemps, parce qu’on peut perdre la joie d’écouter des nouvelles choses, de se laisser aller, et il est aisé de sombrer dans la compét’ surtout, de regarder le voisin en chien de faïence, tiens. Heureusement, il sort plein de disques qui arrivent à te tirer de cet horizon morbide et autocentré.
Les Chiens de faïence, donc, m’avaient contacté il y a quelques semaines et j’avais tout de suite ressenti quelque chose à l’écoute de leur musique : un truc frais, un son amical, et comme souvent, comme j’ai été élevé dans les musiques anglo-saxonnes des années 90-00, je les ai rattachés à un groupe que j’aimais bien à l’époque et dont j’avais acheté l’album de 1995 et qui jouissaient d’une certaine aura culte : les Papas Fritas. Mon cerveau est impayable (Sinaïve = Spacemen 3, Thomas Pradier = Galaxie 500… Il me faut toujours ce point d’entrée anglo-saxon). Pour que ça fonctionne dans la pop à guitares, il me faut quelque chose qui me rattache à ces musiques de mon adolescence (attardée). Je n’y peux rien. Le groupe n’y est pour rien non plus, hein, je ne suis même pas sûr qu’ils aient écouté ce groupe (enfin, dont je ne connais que le premier album). J’imagine que les Chiens ont dû avoir un contact avec la scène anti-folk peut-être, moi non, j’étais déjà trop vieux (enfin si, j’ai vu Kimya Dawson à l’époque, et Adam Green même). Bref.
Peu importe, disons que Chiens de Faïence manie une musique d’apparence simple, deux voix fille-garçon, une guitare acoustique et quelques percus, une basse aussi (dans le coin, dans les mediums) et joue avec cet art compliqué de la chanson. Pas de filets, pas de bruits pour se cacher, pas d’intermèdes expé pour botter en touche quand ça chauffe : le trio joue à oilpé, les voix bien en avant. Et c’est là qu’on peut tous applaudir parce qu’ils s’amusent avec la langue en balançant leurs petites comptines l’air de rien, avec des petits moments de bonheur ou de malheur (mais jamais dans l’emphase ni dans la tragédie : « j’crois que tu viendras jamais, alors là tant mieux »). Bon, les Chiens de Faïence ne sont pas en sucre, et leur pop dégagent aussi un truc tout à fait actuel, avec une acuité sur l’époque. Des vrais petits punks, héritiers d’Olympia qui aurait croisé la fausse innocence de Lio, ou l’humour léger et observateur de Katerine (L’éducation anglaise), voire la poésie étrange de Joni Île. On peut aussi les rapprocher des bordelais Pierre Gisèle. Après, il y a quand même cette beauté immédiate qui fait surtout qu’on a l’impression d’écouter des classiques instantanés de poésie sommaire, de chansons folk minimales, un disque de proximité, un disque pour nous, pour soi. Tant pis, si les autres ne comprennent pas. On chérira.
Voilà, je disais plus haut que pour diverses raisons, on peut se déconnecter facilement du flux et perdre le fil, mais quand les Chiens de Faïence balancent Les animaux en verre soufflé, ça suffit à tout ce qu’un monde s’illumine à nouveau et qu’on reparte à écrire comme en 40.