Ever Fallen In Love? des Buzzcocks est le genre de chanson si mémorable que l’on en oublierait presque que le groupe n’était pas seulement l’aventure d’une nuit. Pendant des années, il était mal vu de la passer aux platines dans les bars, tant elle était jouée. Aujourd’hui, cette affirmation serait, somme toute, plus difficile à défendre. Le rock (et ses tubes) n’est plus cette forteresse imprenable qu’il faut contester. Au contraire, affirmons ses évidences et son souffle à travers l’actualité et ses classiques. Singles Going Steady (1979) fait incontestablement partie de cette seconde catégorie. Certains en seraient peinés pour les Buzzcocks. Pas tant à cause du caractère culte de la chose, mais de la nature scolaire derrière l’idée de classique. La lecture du passé selon un schéma établi se prête bien mal à la nature contestataire du punk. Peu importe en réalité. Ce disque continue, quarante-deux ans après sa sortie, de vous sauter à la gueule et de créer une vive excitation. Plus que les trois (très bons) albums du groupe, Singles Going Steady condense l’essence et la grandeur des Buzzcocks. Cette compilation, publiée en 1979 uniquement pour le marché nord-américain, offre l’une des plus grandes salves de chansons pop de la fin des seventies. Le disque est finalement publié au Royaume Uni en 1981 en guise d’adieu, tant il était populaire en import. Les huit premiers 45 tours du groupe pour United Artists sont réunis sur cette compilation, dans l’ordre chronologique, avec les faces A sur la première face et les B de l’autre coté, toutes produites à la perfection par Martin Rushent (The Stranglers, Generation X, The Human League, Téléphone…). Un objet parfait pour les passionnés méticuleux et psycho-rigides : cette présentation neutralise le choix à la hache des best-of de groupes. Il manque ainsi le fondateur Spiral Scratch EP, mais le disque démarre sur le non moins fantastique Orgasm Addict (1977) et sa pochette, un collage saisissant, signée Linder Sterling (Ludus). Cet oubli n’en est pas forcément un, puisqu’après le départ d’Howard Devoto, parti fonder Magazine, les Mancuniens se recentrent sur Pete Shelley, épaulé de Steve Diggle passé à la guitare. Le groupe délaisse le punk pur et dur de Boredom et écrit des chansons pop d’amour. Le groupe y trouve un terrain de jeu peu exploré par les camarades de promo (Sex Pistols, The Damned, The Clash) dans lequel il excelle. L’enchaînement de tubes survoltés de la face A en témoigne. Le groupe est touché par la grâce et dispense les grandes chansons à un rythme soutenu, certaines faisant moins de deux minutes.
La première moitié est absolument parfaite, et Ever Fallen In Love ne sera plus forcément votre préférée tant la concurrence est ici relevée. Comment ne pas succomber à What do I Get, I don’t Mind, Love You More ou encore la géniale Everybody’s Happy Nowadays ? Comme les Ramones, les Buzzcocks ont le sens de l’accroche, mais l’expriment toutefois d’une manière plus subtile que les New-Yorkais. Ils convoquent parfois les Who des débuts (The Kids are Alright, Can’t Explain) en associant les mélodies à la vitalité de l’électricité. La seconde partie, plus punk, n’est pas aussi immédiatement gratifiante.
Elle offre cependant son lot de sucreries acidulées comme Lipstick ou la lancinante (et curieusement longue) Why Can’t I Touch It? Si Spiral Scratch fut l’an zéro de DIY punk britannique, la compilation Singles Going Steady forme presque les tables de la loi de l’indie-pop. Avec quelques autres (Orange Juice, The Monochrome Set, TVP’s…), les Buzzcocks font tomber de sacrées barrières pour les punks. Il est possible de s’inspirer du passé (les groupes sixties, T-Rex) en étant moderne. Ce n’est pas niais d’écrire sur l’amour ou des sujets personnels. Le groupe aura des héritiers très directs dans les années quatre-vingt (Soup Dragons ou Pop Will Eat Itself avant leur virage baggy/grebo) mais son influence ne se démentira pas au cours des années, inspirant des groupes aussi variés que Supergrass ou Hüsker Dü.