Brigid Mae Power, Head Above The Water (Fire Records)

C’est par la voix que se livre ici l’essentiel. Cette subtile incarnation celtique de l’art du décrochage qui suggère à merveille toutes les petites fêlures indicibles qui se nichent encore à la surface du squelette. Tout le reste n’est qu’accessoire et, d’ailleurs, tout le reste a presque disparu. Sur son deuxième album, The Two Worlds (2018), Brigid Mae Power se confrontait directement à la violence d’une relation amoureuse destructrice et aux abus de la domination patriarcale. Deux ans plus tard, elle semble avoir franchi les étapes de la résilience à grands pas et cherche désormais la sérénité de la survie dans un cadre intime et familier, où les blessures se soignent en s’exposant à la bienveillance des personnes choisies. I Had To Keep My Circle Small, chanson-clef, livre ainsi la formule de la reconstruction confiante : exiger davantage de ceux qui vous entourent, à commencer par l’écoute stable et apaisée.  » Neutrality, I just could not afford/I needed a team/I needed you to favour me/That is not a bad thing at all. »

C’est donc avec le soutien de cette équipe réduite que la musicienne irlandaise maintient la tête hors de l’eau : cinq accompagnateurs dévoués, au premier rang desquels figurent son mari, Peter Broderick ainsi qu’Alasdair Roberts, suffisent amplement à suggérer, au travers des nuances discrètes des arrangements qu’ils confectionnent, les inflexions de la pente ascendante, la succession inéluctable des bons et des mauvais jours, la linéarité vers le meilleur qui reste à construire en dépit des fléchissements. Impossible de cheminer sur de telles pentes sans balise. La tradition folk demeure ainsi le point d’appui qui ne se dérobe jamais, la référence indispensable à un passé d’autant moins dangereux qu’il n’appartient plus vraiment à quiconque et qu’il ne risque donc pas de vous sauter au visage. Une fois les bases étayées, on peut s’autoriser à construire son propre édifice, dans le respect des fondations et le souci de la retouche pertinente : les méandres presque psychédéliques de la pedal-steel de On A City Night, l’effleurement des percussions du très beau I Was Named After You. Le recours aux instruments traditionnels – bouzoukibodhrán ou violon – ne relève jamais de cette fonction ornementale qui suggère parfois que la réflexivité esthétique l’emporte sur la sincérité de l’expression. Tout au long de ces dix titres, Brigid Mae Power chante tout aussi droit qu’elle pousse. Au point d’accepter même de reprendre d’autres mots que les siens – la reprise de l’air traditionnel de The Blacksmith – et d’y accueillir au refrain la présence harmonieuse d’une voix masculine. Presque un symbole pour ce disque où la vérité précède de quelques notes la réconciliation.

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