Le décès de Lamont Dozier ne fera peut-être pas les gros titres, pourtant sa contribution à la musique pop telle que nous l’aimons est monumentale. Auteur (seul ou à plusieurs) de quatorze numéro uns aux États-Unis et quatre au Royaume-Uni, il appartient à notre mémoire collective. Tout le monde a certainement déjà fredonné ou dansé sur une chanson qui porte sa signature.
Le musicien afro-américain fait ses armes à la fin des années cinquante dans The Romeos, un groupe de doo-wop dans la région de Michigan. Il rejoint la Motown et forme en 1962, avec les frangins Brian Jr et Eddie Holland, le célèbre trio Holland-Dozier-Holland. Plus qu’aucune autre équipe d’auteurs de l’iconique label, Holland-Dozier-Holland va propulser le label de Detroit dans les foyers du monde entier grâce à une série de tubes aussi impressionnante que mémorable. Le trio connaît ses premiers succès avec Martha & The Vandellas (Heat Wave, Quicksand, In My Lonely Room…) ou Marvin Gaye (Can I Get a Witness), mais il sera surtout architecte du succès colossal des Supremes et Four Tops. Lamont Dozier et les frères Holland écrivent, en effet, dix des douze numéros un du groupe de Diana Ross. Baby Love, You Keep Me Hangin’ On, You Can’t Hurry Love, Where Did Our Love Go, Stop! In The Name Of Love… Nous avons tous dansé sur ces chansons du trio pour le girl group. Holland-Dozier-Holland ne consacrent pas leur temps uniquement aux Supremes ; The Four Tops offrent également l’opportunité aux trois musiciens d’écrire parmi les plus belles pages de la musique populaire américaine des années soixante. Reach Out I’ll Be There, I Can’t Help Myself, Standing In The Shadows Of Love, Seven Rooms Of Gloom, Bernadette sont autant de merveilles d’écriture, des symphonies miniatures propulsées par le rythme exalté des musiciens de studios de la Motown et la voix dramatique de Levi Stubbs.
Entre 1964 et 1967, le trio et la Motown semblent intouchables, mais une dispute sur les droits d’auteurs désagrège la relation entre les auteurs et le label de Berry Gordy. Holland-Dozier-Holland tentent alors l’aventure de leur côté et créent les labels Invictus et Hot Wax. Le trio, encore en procès avec son ancien employeur, adopte alors le pseudo d’Edith(e) Wayne. Si cette période n’est pas aussi connue et populaire que la précédente, le parcours d’Holland-Dozier-Holland n’en demeure pas moins passionnant et riche. Avec Freda Payne, Holland-Dozier-Holland retrouvent la magie de leur hits Motown sur Band of Gold (US #3, UK #1) ou Unhooked Generation tandis que The Chairmen of the Board nous font découvrir la voix incroyable du General Johnson sur les sublimes Give Me Just a Little Time (US #3, UK #3) ou (You’ve Got Me) Dangling on a String (US R&B #19, UK #5).
En 1973, Lamont Dozier quitte les frères Holland et se lance en solo sur le label ABC. Si le succès commercial est mitigé, le chanteur aligne des disques de soul très qualitatifs, quelque part entre Leon Ware et Bobby Womack. Sans avoir une voix hors norme, il excelle dans les mid-tempo soyeux arrangés avec soin. Black Bach (1974), son deuxième album, devient une source intarissable de samples pour le hip hop. Il sait aussi appuyer (un peu) le tempo, notamment sur le classique disco Going Back To My Roots, extrait du très bon Peddlin’ Music on The Side (1977). Ce titre, repris par Richie Havens ou Odyssey, explore les racines africaines du musicien et de la communauté noire américaine sur presque dix minutes. En France, il inspire même Alexandrie, Alexandra à Claude François, avec qui il chanta en duo sur le plateau de Jacques Martin.
À partir des années 80, les interventions de Lamont Dozier sont plus sporadiques. Il collabore avec Phil Collins en 1988 sur la bande originale du film Buster. La chanson Two Hearts lui permet d’obtenir un nouveau numéro un – en tant qu’auteur – aux États-Unis, plus de vingt-cinq après ses tout premiers hits. Simply Red ou Alison Moyet font également appel à lui à cette époque.
Les chansons de Lamont Dozier, seul et (surtout) avec les frères Holland ont marqué au delà des années soixante. Les nombreuses reprises, d’artistes prestigieux (The Who, Linda Ronstadt, Dusty Springfield, The Jam, The Zombies, The Rolling Stones, Soft Cell, Tower of Power, The Doobie Brothers, Vanilla Fudge, Motörhead, Fleetwood Mac…) témoignent de l’influence profonde du musicien afro-américain sur de nombreux pans de la musique que nous aimons, depuis le funk, jusqu’au classic rock, en passant par la synth-pop. Dressez bien l’oreille, car il y a toujours un peu de Lamont Dozier dans beaucoup de vos groupes et artistes préférés…