Barrabás, Barrabás (1972, RCA)

En 1972, le batteur madrilène Fernando Arbex est déjà un vétéran de la scène rock ibérique. Passé par le groupe pionnier Los Estudiantes, il est surtout un des piliers de Los Brincos, une des très grandes formations espagnoles des années soixante. Après l’expérience Alacrán, en compagnie du chanteur Iñaki Egaña (ex-Los Buenos), il monte Barrabás, un sextet, chantant en anglais. Le groupe se compose de nombreuses personnalités de la scène rock nationale d’alors : les frangins, d’origine philippine,  Ricky et Miguel Morales (ex-Brincos et frère d’Antonio « Junior »), le Cubain Tito Duarte et le Portugais Juan Vidal (ex-Los Grimm). Dans les pas d’Osibisa, Mandrill, El Chicano et Santana, Barrabás expérimente avec les rythmes africains et latins. Festive et dansante, leur musique est une bacchanale de percussions. Arrangées, avec un sens aiguisé du détail, les huit compositions originales de leur premier album, généralement intitulé Barrabás, démontrent un savoir faire à la hauteur de leurs références. BarrabásMoins rock que le groupe du moustachu mexi-californien, leur son offre de l’espace à de sémillantes flûtes et de chaleureux orgues. La guitare est certes de la partie, mais utilisée avec économie et sans excès. L’album s’ouvre sur Wild Safari. La chanson connaît un succès certain en Europe, notamment dans l’hexagone. Au coté de la géniale Soul Makossa de Manu Dibango, également parue en 1972, la chanson contribue à développer le goût des petits français pour les musiques du continent africain. Elle inspirera des copies telles que, par exemple, le groupe Kongas. Cependant, le véritable tour de force de Barrabás ouvre la face B. Woman devient un hit de discothèque aux États-Unis. Joué par le Dj David Mancuso au Loft, le morceau touche une sensibilité naissante des pistes de danse new-yorkaises. À la voix virile caricaturale, répond un groove ondulant porté par une vague intense de percussions. Le tube fait ainsi connaître un groupe espagnol de pop en dehors de ses frontières. Il y a d’ailleurs là peut être un paradoxe Barrabás : la formation est parfois un peu délaissée de l’imaginaire rock ibérique. Sa musique et son approche profondément internationale n’en font pas un représentant emblématique des courants qui traversent la scène espagnole. Comme en France, le rock hispanique s’éprend massivement du rock progressif britannique. La musique funky pour les discothèques de Barrabás tranche avec le sérieux affiché ailleurs. Pourtant Barrabás a de véritables atouts.

En dehors du malvenu Rock and Roll Everybody, pastichant Canned Heat, les musiciens latins élaborent une recette qualitative et originale pour l’époque. Le funk-rock de Chicco vieillit particulièrement bien, avec un travail harmonique vocal très soigné. Cheer Up délaisse le dancefloor mais swingue sans forcer. L’orgue de Juan Vidal illumine Try and Try d’envolées jazz-funk du meilleur effet. Barrabás nous plonge dans une période de transition où le métissage offre de nombreuses perspectives excitantes à la musique pop occidentale. De ce terreau fertile naitra notamment la disco quelques années plus tard. Barrabás suivra le mouvement général, à sa manière, produisant quelques autres tubes dans le genre, notamment le classique Hi-Jack (repris par Herbie Mann).Pour autant, leur premier album est peut être leur œuvre la plus mémorable, celle d’un groupe, qui bien qu’expérimenté, découvre un nouveau terrain de jeu avec enthousiasme et passion.


Barrabás par Barrabás est sorti en 1972 sur le label RCA.

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