Balladur, La Vallée Étroite (Le Turc Mécanique)

Depuis une demi-douzaine d’années, Balladur enchante les salles de concerts et autres squats avec un live unique en son genre, placé au milieu du public, avec un set-up plutôt léger constitué de machines, guitare et micros. En un sens, Balladur est une expérience qui dépasse le cadre classique du concert où le spectateur est passif. L’ensemble évoque ainsi tout autant, si ce n’est plus, les fêtes traditionnelles comme les musiques de processions dans les villages thaïlandais (Phin Prayuk). La musique du duo de Villeurbanne traduit, à bien des égards, la recherche de communion et de partage au cœur de la démarche du groupe. Si l’ensemble est dédié à la danse, il garde une éminente dimension politique. Et ce, jusqu’au titre de ce nouvel album, La Vallée Étroite, une référence directe aux migrants tentant de traverser la frontière italienne à travers les montagnes. En trois longs-jeux, la formation a affiné un son unique, syncrétisme d’influences aussi diverses que le dub, les musiques du monde entier (sous leur forme folklorique ou populaire), la dance music avec une éthique punk et DIY, si tant est que le terme signifie encore quelque chose. En un sens, difficile d’imaginer la formation française ailleurs que chez Le Turc Mécanique (Bracco, Tôle Froide, Jardin). Groupe et label partagent en effet un goût pour les chemins de traverse, ceux qui font chier les puristes et ravissent les curieux. La Vallée Étroite est peut être le meilleur album du duo à ce jour. Il convoque l’auditeur à une célébration œcuménique où chacun peut participer et laisser libre cours à son imagination. Dès l’entame, l’hypnotique Kuda Lumping (une cérémonie indonésienne traditionnelle), Romain De Ferron annonce : « C’est la fête, tout le monde s’agite » dans un maelström de guitares post-punk signé par l’autre larron, Amédée De Murcia. L’ensemble semble avoir un pied quelque part en Asie, du coté de l’Indonésie, et l’autre à Cologne dans la salle de répétition de Neu!, un orteil se baladant sur le dancefloor. La reprise du classique Angka Satu du musicien de Dangdut, Caca Handika, offre l’occasion à Balladur d’explorer une facette plus pop de leur musique. Le duo s’approprie la chanson originale tout en respectant son essence profonde, en créant un petit tube déviant. Le groupe rend en parallèle hommage à Joy Division à travers Les Poches Vides, un long crescendo extatique, tunnel de lumière déchirant la brume. Le groove chaloupé d’Islero évoque une improbable rencontre entre le reggae digital jamaïcain et le punk növö de Marie et les Garçons dans cette diction si particulière. La Vallée Interdite, chanson titre, lui fait suite et constitue l’un des temps forts de l’album. Le texte poignant est sublimé par une composition délicate constituée de synthétiseurs et de strates de samples de voix entrelacés. Balladur pense heureusement à nous. L’atterrissage se fait en douceur avec Sonde Lambda puis Dans La 205, une odyssée shoegaze cotonneuse dont la mélodie rappelle étrangement celle du Téléshopping. En un peu plus d’une demie-heure, Balladur signe l’un des albums les plus attachants et originaux de l’année. Libre dans sa forme, dans son propos, ouvert sur le monde, La Vallée Étroite est une célébration politique et culturelle de la fraternité.

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